L’armée
française veut dissuader le pape François de visiter la
Centrafrique
LE MONDE Le 11.11.2015
Un
soldat français patrouille dans le quartier de La Coquette à Bangui le 20 mai
2015. Crédits : PATRICK FORT /
AFP
Le
pape
François est un homme déterminé. Difficile de lui faire
changer
d’avis. C’est pourtant ce qu’espèrent le ministère de la défense
et l’état-major français, qui voudraient éviter
sa venue à Bangui, la capitale centrafricaine, les 29 et 30 novembre. Une
discussion est en cours entre le Vatican
et Paris
pour tenter
de le convaincre
de raccourcir,
voire d’annuler cette visite. « Nous avons fait savoir
aux services
de sécurité du pape qu’il s’agissait d’une visite à hauts risques »,
confiait-on dans l’entourage du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, en
marge du deuxième Forum pour la sécurité en Afrique
de Dakar, mardi 10 novembre.
Le
déplacement est prévu à quelques semaines d’élections à hauts risques, dans ce
pays déchiré depuis deux ans par des violences entre les milices musulmanes de
l’ex-Séléka au pouvoir
et les anti-Balaka à majorité chrétienne, et la crainte est grande que les deux
camps ne s’échauffent à cette occasion. A Bangui, les autorités de transition,
conduites par Catherine Samba Panza, ont le plus grand mal à rétablir
le calme dans le pays avec l’aide
des 9 000 casques bleus de la force des Nations unies (Minusca) et des 900
soldats français de l’opération Sangaris. Un référendum constitutionnel doit se
tenir
le 13 décembre, suivi d’élections législatives et présidentielle, afin
d’installer un gouvernement. En outre, la visite pontificale devrait attirer
des centaines de milliers de croyants venus des pays voisins, dont la venue en
masse ne manquera pas de fragiliser
durant quelques jours un pays en ruine.
Lire
aussi : Pourquoi la
Centrafrique est-elle en proie à de nouvelles violences ?
Aucun
renfort français
Le
message est clair : il n’y aura aucun renfort français pour la sécurité du
pape. La force Sangaris, dont l’action est concentrée sur la capitale,
« a une mission claire », ajoute-t-on dans l’entourage de M. Le
Drian : « c’est sécuriser
l’aéroport et permettre
l’évacuation en cas de crise. On ne pourra faire plus. » L’état-major a
amorcé ces derniers mois un désengagement de ses
effectifs, la force étant censée retrouver
en 2016 le niveau de l’ancienne force Boali, présente jusqu’à la fin 2013
(autour de 450 hommes). Mais la manœuvre a été contrariée. « Nous avons
constaté depuis plus d’un mois un regain de violence », a expliqué le
ministre. « Des groupes extrémistes se rendent compte que le processus
électoral est en train d’avancer, l’arrivée d’un pouvoir politique
élu peut inquiéter ». Sangaris, a précisé M. Le Drian, maintiendra 900
hommes pendant la période électorale. Ensuite, « il appartiendra à
l’autorité élue de dire
comment elle veut installer
son armée,
celle de la République centrafricaine ».
« Le
pape parle à Dieu, alors ce qu’on peut dire… »
Le
pape tient à être
présent à Bangui. Dix jours avant le début officiel de l’Année sainte de la
miséricorde, le 8 décembre, il veut y ouvrir
une « porte sainte » dans la cathédrale Notre-Dame. Ce serait la
première fois qu’un jubilé ne serait pas lancé par l’ouverture de la
« porte sainte » de Saint-Pierre de Rome. Ce serait le signe, a
déclaré le pape le 1er novembre, de « la proximité (…) de
toute l’Eglise envers cette nation si affligée et tourmentée ». Franchir
ces « portes saintes » permet aux fidèles d’accomplir un parcours
pénitentiel pour obtenir
le pardon de leurs péchés.
Du
côté de la défense française, on évoque plusieurs hypothèses, sans cacher
que la dernière est privilégiée : soit François effectue ses deux
demi-journées comme il l’a envisagé dans la capitale centrafricaine, soit il
limite sa présence à quelques heures, soit il accepte d’annuler. « Mais
vous
savez, le pape parle à Dieu, alors ce qu’on peut dire… », commente-t-on
dans l’entourage du ministre français. Pour l’heure, d’après les informations en
provenance du Vatican, le souverain pontife n’a pas changé
d’avis.
Nathalie
Guibert, avec Cécile Chambraud