La
Centrafrique et le spectre
De la
démocratie introuvable
Les élections présidentielle et législative auront
bien lieu en Centrafrique, malgré le tumulte actuel des violences. L’opération
débutera le 13 décembre 2015, dans un mois jour pour jour, par l’organisation
d’un referendum constitutionnel.
Ce scrutin permettra de tester la validité du corps
électoral et l’efficacité du dispositif de sécurité. Les autorités de la
transition ainsi que tous les démocrates pourront à cette occasion vérifier la
fiabilité des listes électorales et leur sincérité, en particulier pour ce qui
concerne les réfugiés à l’étranger ou les déplacés de l’intérieur du pays. On
pourra ainsi vérifier si les hypothèses émises pour imposer le vote de ces
derniers correspondent bien à la réalité, c’est à dire qu’ils sont dans leur
majorité des Centrafricains de confession musulmane. Si tel n’était pas le cas,
on aura délibérément menti.
La tenue du referendum sera également l’occasion de
tester la validité du dispositif de sécurité mis en place par les forces
internationales pour assurer l’intégrité physique des populations ainsi que leur
libre accès aux différents bureaux de vote.
1 – La
démocratie falsifiée.
A notre humble avis, rien n’est gagné aussi bien sur
la forme que sur le fond, pour accréditer la sincérité des différents scrutins à
venir.
Sur la forme, rien n’a changé sur le terrain, après
trois reports successifs pour cause d’insécurité. Depuis le 26 septembre
dernier, les exactions et violences perdurent et s’intensifient. Elles auront
fait une centaine de morts et plus de 300 blessés. Cependant, tous les acteurs
de la crise semblent se satisfaire du maintien du statu quo.
Les autorités de la transition, malgré leur véhémente
dénégation, ont démontré leur incroyable talent, celui de l’impuissance et de la
duplicité, à faire traîner les choses. Elles auront duré deux ans au pouvoir,
sans apporter les solutions indispensables pour rétablir la sécurité et la
paix.
De leur côté les « généraux » de l’ex
rébellion Séléka ont intérêt à la poursuite du statu quo. Voilà pourquoi ils
militent pour le non réarmement des forces armées centrafricaines (FACA). Qu’il
s’agisse d’Al Kathim à Sibut, de Zoundéko à Bambari, d’Ali Darass à Kaga-Bandoro
ou de Nourredine Adam à Birao, tous bénéficient des mesures dites de confiance
qui leur permettent de prospérer dans les trafics et les rackets divers,
soumettant les populations civiles à la rançon. Cantonnées mais non désarmées,
les troupes rebelles de l’ex-Séléka tirent ainsi profit de la neutralité
bienveillante des forces internationales de la Sangaris et de la Minusca ;
elles consolident ainsi leur pouvoir de nuisance et de
négociation.
En ce qui les concerne, les milices partisanes du
président déchu François Bozizé, rebaptisées anti-Balaka, essaient de tenir le
haut du pavé. Hier déclarés ennemis de la paix, les voci désormais courtisées
par le chef de l’Etat de la transition qui n’hésite plus à les appeler au
gouvernement ou dans son cabinet. Il en est ainsi de la nomination de Sébastien
Wénézoui au ministère de l’environnement et, récemment, la désignation de l’ex
procureur de Bangui, Joseph Bindoumi, comme ministre de la défense nationale. Ce
dernier s’était fait une réputation en décrétant l’ « épuration
ethnique » des Yakomas au lendemain du coup d’Etat manqué du 27 mai 2001
attribué au général André Kolingba. Par la suite, il oeuvrera comme ministre de
la justice du président François Bozizé en requérant le non lieu dans le dossier
de la disparition de l’ancien ministre d’Etat Charles Massi, chef du mouvement
rebelle CPJC. Démis de ses fonctions par le même Bozizé pour une sombre
suspicion de complot, le parquetier Bindoumi retrouvera ses lettres de noblesse
en succédant au premier ministre de la transition Nicolas Tiangaye, comme
président de la ligue centrafricaine des droits de l’homme…. Un vrai parcours de
caméléon. Mais il n’est pas le seul de ce point de vue.
Elles et ils sont nombreux, dans la classe politique
centrafricaine, à se couvrir du manteau de Nésus, à chaque changement de
régime.
2 – La
trahison des clercs
Sur le fond, le projet de constitution qui sera soumis
à l’approbation des populations centrafricaines soulève d’importantes réserves.
La première est de pure forme : à un mois du
scrutin, on ne connaît pas encore l’intitulé de la question exacte qui sera
posée aux Centrafricains.
En second lieu, le texte intégral du projet de
constitution n’a pas été adressé aux électeurs et, à ce jour, aucun débat
national n’a été lancé sur ce thème. Curieuse conception de l’exercice
démocratique.
On se souvient en effet des exigences formulées par
les partis politiques et associations de la société civile en faveur de la tenue
à Bangui d’un forum destiné à choisir, entre Centrafricains, des voies et moyens
propres à résoudre la crise. Ce symposium a eu lieu, aux frais de la communauté
internationale.
Précédé d’une vaste entreprise de consultations
populaires à la base, le forum intercentrafricain de Bangui s’est déroulé une
semaine durant et a abouti à la signature de plusieurs recommandations,
dont :
-
la cessation immédiate des
hostilités armées entre les milicies et factions rebelles ;
-
le rejet de toute idée
d’amnistie générale ;
-
le rejet de tout projet de
création d’un sénat, chambre haute du nouveau parlement centrafricain.
C’est donc avec étonnement que l’on peut lire dans le
projet de constitution qui sera soumis au referendum du 13 décembre prochain, le
principe de la création d’un sénat dans l’année qui suivra l’élection du nouveau
chef de l’exécutif. Soit le Comité de suivi du forum intercentrafricain de
Bangui n’a pas lu le projet de constitution, soit les membres du Conseil
national de transition se sont distraits des recommandations du forum de Bangui.
Le referendum à venir est donc bâti sur un malentendu.
Il est une trahison de la volonté populaire par les « élites »
politiques.
La création d’un sénat n’a pas d’autre ambition que
celle de satisfaire les exigences des recalés du suffrage universel, à savoir
les membres du bureau du CNT, le chef de l’Etat de la transition et les membres
de ses gouvernements successifs, lesquels n’ont pas le droit de se présenter aux
prochaines élections présidentielles et législatives, aut titre de la Charte
constitutionnelle de la transition. Chassés de la « mangeoire »,
ceux-ci se retrouveront dans un an autour de l’ « abreuvoir », une
structure ad hoc, qu’ils auront créée spécialement pour les besoins de la cause.
Le peuple aura été abusé par ses clercs !
Cette trahison porte en elle les germes d’une fuite en
avant mortifère pour la démocratie.
Si le corps électoral centrafricain est logique et
cohérent, il devra rejeter le projet de constitution qui lui sera soumis, et
donc voter NON au prochain referendum du 13 décembre 2013. Ce vote négatif
bloquera le processus électoral en cours.
A l’inverse, si le projet de constitution est voté tel
quel, alors le prochain président de la République devra sous la pression
organiser en 2017 des élections sénatoriales, à la condition d’accorder
l’amnistie générale à tous ceux qui sont aujourd’hui dans le viseur de la
communauté internationale ou sont suspectés de crimes contre l’humanité, crimes
de guerre etc…
Or le sénat tel qu’il est envisagé n’apportera aucune
plus-value à la démocratie centrafricaine. Il traduira un mécanisme
supplémentaire de confiscation du pouvoir au profit de ceux qui ont mis le pays
à feu et à sang.
C’est pour éviter un tel piège que les protagonistes
des consultations populaires à la base ont voté contre la création d’une chambre
haute dans le cadre du forum intercentrafricain. Cet organe aurait pu être
valablement remplacé par la création, dans le cadre de l’extension de la
démocratie à l’échelon local, d’assemblées territoriales délibératives à
vocation régionale constituées par l’ensemble des autorités traditionnelles,
chefs de terre, chefs de village et chefs de quartiers. Ces instances locales
auraient fait sens.
On le pressent, la République centrafricaine ne prend
pas encore le chemin de l’apaisement. Il suffit de constater la précipitation
des candidats…. A la condidature présidentielle. A voir leur nombre pléthorique,
on se croirait dans la fable de Jean de la Fontaine, « les animaux malades
de la peste ». Asinus asinum fricat !
C’est dans ce contexte surréaliste que le Pape
François se rend à Bangui les 29 et 30 novembre prochains. Sans doute,
l’ouverture de la « Porte Sainte » en la cathédrale Notre Dame de
Bangui permettra aux catholiques de rentrer en pénitence en faisant profession
de foi. Prions pour que sa Sainteté trouve les mots forts pour porter à
l’espérance ceux qui n’ont pour seule voie de salut que le martyr.
Paris, le 13 novembre 2015
Prosper INDO
Président du CNR