Au deuxième tour, on choisit.

 

 

Souvenez-vous ! Je proposais dès 2014 que la gouvernance de transition devait s’achever le plus vite possible par l’élection d’un Président qui aurait la lourde tâche de remettre le pays en ordre de marche constitutionnelle, institutionnelle et économique.

 

J’appelais la gouvernance de transition et la communauté internationale à organiser un scrutin à partir d’un collège de grands électeurs représentatifs des traditions de notre pays, collège suffisamment élargi pour conférer au président élu d’être investi d’une légitimité incontestable et légale.

 

Au lieu de cela, la gouvernance de transition nous offre le spectacle d’une mascarade dont elle porte la responsabilité.

 

 

1 – Pourquoi tant de haine ?

 

Les élections présidentielles en RCA sont un révélateur de la crise politique que traverse notre pays. Si les 30 candidats validés à concourir ont signé un code de bonne conduite, leurs partisans et zélateurs se défoncent : entre invectives, dénigrements, insultes et dénonciations calomnieuses, les commentaires ne sont ni tendres, ni amènes, ni bienveillants. Ils transpirent la haine de l'autre et, parfois, la haine de tous.

 

Passe encore pour le Centrafricain lambda qui, fatigué par tant d'années de souffrance et d'avanies, libère sa colère de manière brutale et impulsive. Mais que dire des commentaires proférés par ceux qui se prétendent journalistes, c'est-à-dire des personnalités douées de raison et d'une capacité d'analyse, ou se qualifient d'intellectuels, producteurs d'idées et de concepts ? Leur  comportement donne la mesure de la déchéance morale de tout un peuple.

 

Ici et là, la haine ethnique tient lieu d'argumentaires. Au lieu de qualifier des faits, stigmatiser des comportements ou dénoncer des pratiques politiques objectives, on verse dans le rejet systématique et une condamnation globale sans examen. On traite tel candidat de « mollasson » à la solde d'un président étranger sans apporter quelque preuve que ce soit d'une quelconque allégeance, on traite tels autres candidats de « politicards » au prétexte qu'ils sont donnés « grands favoris », par la presse elle-même.

 

A l'inverse, on vole au secours de la victoire supposée d'un « outsider », le couvrant de feuilles de vigne, oubliant que ce dernier fut durant cinq ans, sans discontinuer, le premier-ministre du président déchu François Bozizé, si décrié par tous !

 

Erreur ou manipulation ? Entre deux maux, choisissons le moindre et voyons, dans ces réactions épidermiques, un simple manque de lucidité politique.

 

2 – Entre la confusion et la mascarade, il y a la pagaille.

 

Le dépouillement des votes du premier tour des élections présidentielles tourne à la confusion des membres de l'Autorité nationale des élections (ANE). Publiés au fil de l'eau, les résultats partiels sont livrés bruts de décoffrage. A partir de 25 % des votes exprimés à Bangui la capitale, on extrapole des pronostics. On oublie que les résultats, concernant des régions entières ou des villes importantes, ne sont ni reçues ni encore dépouillées.

 

En choisissant cette stratégie, l'ANE pensait sans doute faire preuve de transparence. L'exercice sème la pagaille et oblige les observateurs au constat d'un grand désordre, dans l'organisation, la réception et le stockage des urnes avant leur dépouillement. Outre les constats objectifs des fraudes avérées que l'on peut craindre, ces dysfonctionnements récurrents depuis le test du référendum attestent de l'inutilité de l'ANE, organe budgétivore s'il en est, mis en place pour rassurer les oppositions politiques, mais qui déçoit tout le monde. Celle-ci se défend en invoquant son rôle de collecte et de publication des données recueillies, et se réfugie derrière la responsabilité de la Cour constitutionnelle, qui a en charge la validation des résultats.

Pris en flagrant délit d'amateurisme, les membres de l'ANE accusent les candidats qui contestent ces manquements de ne pas avoir délégué des observateurs auprès de l'institution, comme si l'honnêteté des scrutateurs et commissaires officiels ne devait pas suffire à assoir la crédibilité des scrutins.

 

Observons, pour être juste, que les candidats et leurs partis politiques, qui dénoncent ces risques de fraudes et ne veulent pas être « complices de cette mascarade électorale », doivent au préalable balayer devant leur porte et modifier leur comportement : quarante-cinq candidatures aux présidentielles pour un petit pays de 4,5 millions d'habitants, voilà où se situe la mascarade. Ils en sont les acteurs présomptueux, pas les complices !

 

Sur les 30 candidats validés, 25 ne franchiront pas le seuil symbolique du 1 % des suffrages exprimés ! Là résident, et le scandale et la tromperie.

 

3 – Au second tour, on choisit.

 

Le 20 décembre dernier, j'indiquais les six critères qui, selon moi, devaient permettre de départager les 30 postulants au premier tour de la présidentielle.

 

Les dépouillements des votes sont en cours. Comme on l'a noté ci-dessus, ces opérations se déroulent dans la douleur. Alors que 25 % seulement des bulletins ont été dépouillés, une vingtaine de candidats contestent les premiers résultats partiels rendus publics par l'Autorité nationale des élections. Ils exigent l'arrêt du processus électoral.

 

L'ANE aurait tort de leur donner raison. Les autorités de la transition, qui se verraient bien perdurer,  auraient également tort d'accéder à cette folle requête, alors que 71 % des Centrafricains en âge de voter se sont partout déplacés pour exercer leurs droits. Il convient donc d'aller au bout du processus. Il appartiendra in fine à la Cour constitutionnelle, compte-tenu des recours qui lui seront soumis, d'analyser, de valider ou d'invalider s'il le faut les résultats qui ne seraient pas conformes aux règles de droit. Encore une fois, l'élection au suffrage universel indirect du président de la République à partir d'un collège de Grands Electeurs (chefs de terre et de village), telle que je le préconisais dès février 2014, nous aurait permis d'éviter le charivari actuel, en attendant des temps apaisés. La communauté internationale et les fétichistes de la démocratie élective en ont décidé autrement.

 

Sans préjuger des résultats du scrutin et des voies de recours éventuelles, en tout état de cause, le  candidat  qui sera choisi, sera à la fois un président mal élu et un mauvais président.

 

Le candidat qui sera élu en dernier ressort sera un président mal élu.  Il le sera car celui qui arrivera en tête au premier rassemblera moins de 25 % du corps électoral. Son rival fera moins bien encore. Dès lors, ce président mal élu ne rassemblera pas l'adhésion d'une majorité de la population centrafricaine. Il sera choisi par défaut.

Le président ainsi mal élu, pourrait être aussi un mauvais président, on peut le pronostiquer. Il convient en effet de relever que 4/5 des 30 candidats du premier tour sont d'anciens premiers-ministres ou ex-ministres, des présidents Ange-Félix Patassé (qui a fait appel aux miliciens mouvement de libération du chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, actuellement devant le Cour pénale internationale, pour avoir martyrisé son peuple) et François Bozizé (qui a fait appel aux Libérateurs tchadiens pour prendre le pouvoir en mars 2003, soumettant la souveraineté du pays au bon vouloir d'un pays étranger). Ces candidats des 4/5ème partagent donc la responsabilité collective du chaos actuel en Centrafrique. Le président qui en serait élu ne pourra s’exonérer de son incapacité à exercer ladite fonction.

 

Il convient de prendre en compte le fait que le prochain président centrafricain, quelle que soit sa personnalité, sera sous tutelle de la communauté internationale et ne pourra agir à sa guise. Toutefois, afin d'aider nos compatriotes à faire un choix en toute connaissance de cause, le candidat par défaut devra présenter deux viatiques :

 

porter un projet politique mettant en avant les alliances politiques qu'il entend nouer pour le second tour, à condition d'éviter de ramener au pouvoir tous les présomptueux qui ont joué les margouillats au premier tour ;

présenter un programme de gouvernement détaillant les mesures qu'il envisage pour rétablir la sécurité et la libre circulation des personnes et des biens, pour redéployer les fonctionnaires de l'Etat et améliorer l'efficacité de l'administration, pour relancer l'activité économique ;

promettre d’abandonner les mauvaises et vieilles habitudes des politiciens peu vertueux.

 

Oui, j’avais raison avant tout le monde.

 

J’appelle donc tous les candidats, leurs « lieutenants », les journalistes et les intellectuels à faire preuve de sang-froid. Il en va de l’unité du peuple centrafricain. Il en va de la vie de la République centrafricaine.

 

Vive la République, vive la RCA !

 

Paris, le 6 janvier 2016

 

Prosper INDO

Président du CNR