Elections
présidentielles en Centrafrique :
Les grandes manœuvres
ont commencé.
Alors que la Cour
constitutionnelle de la Transition n'a pas encore rendu sa décision sur les
résultats issus du scrutin présidentiel du 27 décembre 2015, alors que le
président français François Hollande agite la menace d'un rapatriement prématuré
des troupes de l'opération Sangaris, déjà les chantres de la Françafique lancent
leur épervier dans le marigot centrafricain.
Sous le titre « le
banquier et l'ingénieur », signé du directeur de la rédaction François
Soudan, l'hebdomadaire Jeune Afrique prend position en faveur du candidat Anicet
Georges Dologuélé. Le magazine brosse le portrait du président idéal :
« le bon candidat est aussi celui qu'on a vu à l'oeuvre et qui a su tenir
ses promesses, loin de toute démagogie », et entonne l'hymne à saint
Anicet :
« Ce banquier
mondialisé, …, a laissé l'image d'un Premier ministre patriote, compétent et
autonome, capable d'assainir les finances publiques, de renouer avec la
communauté internationale, de restaurer l'autorité de l'Etat, de dialoguer avec
l'opposition et les syndicats. Surtout, il a été le seul pendant la campagne à
réellement tenir le discours de rassemblement, alors que les partisans de son
adversaire pour le second tour développent un discours clivant sur fond de
tensions entre chrétiens et
musulmans ».
Et François Soudan de
conclure : « A l'évidence, Dologuélé est une chance pour les
Centrafricains. Sauront-ils la
saisir ? ».
Nous citons in extenso
le traité du directeur de la rédaction de Jeune Afrique pour éviter tout procès
en sorcellerie. Libre à François Soudan de dresser le panégyrique de son
protégé, c'est son droit et cela tient autant de la liberté de la presse que de
la liberté d'opinion. On ne peut toutefois laisser passer sans réagir, des
affirmations péremptoires ou insidieuses.
J'ai déjà exprimé par
ailleurs mes critiques vis-à-vis du prétendant Anicet Georges Dologuélé,
lorsqu'il fut ministre des finances et du budget dans le gouvernement du Premier
ministre Marcel Gbézéra-Bria, actuel ambassadeur de la RCA à Paris, puis
lorsqu'il fut nommé à son tour Premier ministre par le président Ange Félix
Patassé, le 3 janvier 1999, cumulant cette fonction avec celles de ministre de
l'Economie nationale, des finances, du budget et des relations internationales.
Il sera mis fin à ces fonctions par le président Patassé le 1er avril 2001,
après que les parlementaires du MLPC, le parti présidentiel, votèrent une motion
de censure à son encontre. Pourquoi ?
Sans reprendre ces
critiques, je rappellerais quelques faits
simples :
Anicet Georges Dologuélé n'est pas le
seul « banquier mondialisé » du pays. Au poste de Premier ministre, il
y eut au moins deux précédents : Jean-Pierre Le Bouder et Enoch Dérant
Lakoué, et d'autres banquiers lui succèderont à la Primature, comme Leroy
Gaombalet ou Elie Doté. Cette propension à céder à la tentation de ce que
j'appelle la « bulle financière » en faisant appel à des banquiers
pour gérer les Etats en Afrique noire, tient surtout à la pression du FMI et de
la Banque mondiale. Il s'agissait, pour l'Occident – depuis 1945, les Etats-Unis
dirigent la Banque mondiale et l'Europe (via la France depuis 1963) le FMI - ,
pompeusement baptisé communauté internationale, d'instaurer dans les années 80
la dérégulation de l'économie, c'est-à-dire d'instaurer partout
l'ultra-libéralisme. L'économiste américain Milton Friedman en serait
l'inspirateur. Cette stratégie a provoqué partout des crises politiques et
sociales graves, dont les pays africains portent encore les stigmates. En
Europe, la Grèce en est le dernier exemple. Concrètement, on assiste à ce que
Albert O. Hirschman appelle « le dépérissement de l'Etat et de ses
administrations ».
En Centrafrique, cette politique de
libéralisation de l'économie s'est traduite sous la Primature d'Anicet Georges
Dologuélé par des mouvements de protestation de masse pour dénoncer les
conséquences sociales de cette stratégie de dérégulation : journée ville
morte, grèves dans la fonction publique, concerts de casseroles etc…. En
réaction, le régime procède à des arrestations, dont celles de syndicalistes
reconnus, comme Sonny Cole, qui furent bastonnés en pleine rue et humiliés en
public etc…. Ainsi, la gestion saine et le dialogue avec les syndicats, prêtés
par François Soudan à Anicet Georges Dologuélé, relève de
l'utopie.
De même, prétendre que les partisans de
Faustin Archange Touadéra, l'actuel challenger inattendu de Dologuélé, délivrent
des discours clivants qui entretiennent les tensions entre chrétiens et
musulmans, est insidieux, malveillant et contraire à la réalité. Il est de
notoriété publique qu'un accord a été conclu entre Anicet Georges Dologuélé et
le Kwa na Kwa, le parti du président déchu François Bozizé dont se réclament les
anti-Balaka. Prétendre le contraire reviendrait à insinuer que Dologuélé serait
le protecteur ou l'otage des minorités actives syro-libanaises et arabophones de
Centrafrique. C'est un glissement sémantique dangereux auquel nous nous
garderons bien de céder.
Que François Soudan se
rassure, le peuple centrafricain est sans doute l'un des six plus pauvres de la
terre, mais il a de la mémoire. Il n'oublie pas que Saint Anicet était originaire de Syrie et gouverna
l'église, comme dixième pape depuis saint Pierre, en des temps très troublés par
les hérésies, de l'an 155 à l'an 166. Il se donna pour objectif la sauvegarde de
la paix et de l'unité de l'église. Et
finit en martyre.
Si j'avais un conseil
personnel à délivrer à l'impétrant, c'est celui de l'exactitude. Non pas celle
des principes, mais celle de l'heure dont le respect scelle la vertu des
Princes. Je lui rappellerai qu’il n’est point céans, lorsqu'on est l'hôte d'une
grande Dame, veuve de surcroît d'un illustre de ses prédécesseurs à la
Primature, d'honorer son invitation avec deux cents quarante minutes de
retard ! A s'en tenir à l'heure africaine, les convives mangent
froid.
Paris, le 18 janvier
2016
Prosper
INDO
Président du CNR