Reconstruire la République Centrafricaine :

Peste ou choléra voilà leur programme.

 

La Cour constitutionnelle de transition vient de rendre sa décision. Elle valide les résultats du premier tour tels qu'ils ont été rapportés par l'Autorité nationale des élections. Les Centrafricains auront donc à choisir, dans le cadre d'un second tour que nous espérons moins chaotique,  entre Anicet Georges Dologuélé et Faustin Archange Touadéra.

 

Ainsi, les recours formés par MM. Martin Ziguélé, Karim Méckassoua, Désiré Kolingba et Sonny Colé ont été rejetés. On ne commente pas une décision de justice. Je prends acte de cette décision quelles qu'en soient les motivations. Il est toutefois à craindre que ces ex candidats n'appellent au boycott du second tour, au prétexte que les élections législatives, qui ont été organisées dans les mêmes conditions que ces présidentielles, ont été annulées compte tenu des nombreuses irrégularités.

 

Cependant, si les candidats en piste pour le dernier tour de magie électorale avaient bien lu mes articles, ils auraient pris la peine de lire mon programme de redressement du pays. Au lieu de cela, ils se sont moulés comme une goutte d'eau dans le marécage des mauvais travers de nos politiciens qu'ils n'ont cessé de fréquenter.

Eux qui ne souffrent pas dans leur chair d'être des laissés pour compte, ils proposent au peuple de la République Centrafricaine, qui lui souffre tous les jours, le choix entre deux programmes qui tiennent de la peste ou du choléra.

 

J'attends toujours un signe de leur part, mais un vrai signe par lequel ils promettent devant le peuple centrafricain, devant la communauté africaine, devant l'ensemble de la communauté internationale, oserai-je écrire, et devant Dieu, de s'engager sur la voie de l'honnêteté politique, économique, de se battre contre la corruption et de faire punir les corrompus.

 

1 – Un inventaire à la Prévert !

 

Oui, les programmes des deux candidats en lice pour le second tour ressemblent à l'inventaire du poète français Jacques Prévert. Tout y figure, l'essentiel et le superficiel, l'important et l'accessoire. Pour n'oublier personne, on ratisse large, quitte à promettre la lune.

 

Partant d'un constat identique et accablant, les deux projets se valent et se distinguent, non pas à la marge, mais sur ce qui constitue le cœur même du système qu'ils entendent réformer. Il existe donc deux manières de dire une même chose. Le style c'est l'homme, en effet.

 

L'un proclame : « je souhaite désormais consacrer au service de notre pays, toute mon énergie et la très riche expérience multiforme que j'ai accumulée ».

L'autre soutient : « Je vous dis en m'appuyant sur mes modestes expériences de cinq années à la tête du gouvernement où j'ai pu me rendre compte non seulement de l'immensité de la tâche de reconstruction de son pays, mais surtout de ses atouts si nous gardons le meilleur cap ».

 

Entre les deux, l'homme sage choisit la voie de la modestie, celle qui rassemble de préférence à celle qui veut contraindre les êtres.

 

2 – Le programme du candidat Dologuélé.

 

Fondé sur une lecture quasi biblique, le projet de société du candidat Anicet Georges Dologuélé, soutenu par le parti Kwa na Kwa du président déchu François Bozizé, est bâti comme un temple sur quatre piliers, et s'intitule « Bâtir ensemble une nouvelle Centrafrique ».

Selon le signataire de cet appel, il s'agit « de faire passer notre pays de la phase de l'assistanat à une phase de développement durable », avec l'ambition de « faire de la RCA un pays à revenu intermédiaire d'ici 2030 ».

Deux objections s'imposent à la lecture de ce vaste programme qui ne fait l'impasse sur aucun secteur, au risque de la dilution.

La première objection concerne le terme du prochain mandat présidentiel. Ne serait-il pas 2021 mais 2030 ? Le candidat Dologuélé envisage t'il secrètement de modifier la constitution qui vient à peine d'être votée par référendum, mais non encore promulguée, pour briguer un troisième mandat ? Le diable se loge souvent dans le souci du détail. A trop vouloir bien faire, on se prend le pied dans le tapis.

La seconde objection vise le financement de ce imposant programme. Les besoins de financement exprimés par le candidat prennent la forme d'un vaste « plan de sauvetage » estimé à 2 000 milliards de francs CFA, financement qui sera sollicité auprès de la communauté internationale. On s'interroge : ainsi, pour sortir de l'assistanat, il faut recourir à l'assistanat ? Cruel dilemme.

Une chose est de compter sur la solidarité internationale, une autre est de tout attendre de l'extérieur au lieu de compter d'abord sur ses propres forces.

Ce plan de sauvetage a un arrière goût de déjà vu ; c'est la nouvelle version du plan Marshall en faveur du Centrafrique si cher  naguère à André N'Zapayéké, premier ministre de la transition de la présidente Catherine Samba-Panza, sanctionné par un échec retentissant.

 

Deux milles milliards de francs CFA correspondent à une aide internationale de plus de trois milliards d'euros. En comparaison, le crédit de 400 milliards de francs CFA mis à la disposition de la BDEAC (Banque de développement des Etats de l'Afrique centrale) par la BEAC (banque centrale des Etats en Afrique centrale) pour moderniser les infrastructures des six pays de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), donne la mesure du soutien exigé. Ce n'est plus de l'aide, mais de la « mendicité d'Etat ».

La mobilisation d'une somme de ce montant est voué à l'échec, pour diverses raisons :

 

la multiplication des crises politiques ou humanitaires sur toute la surface de globe, en particulier en Afrique, oblige régulièrement à la réorientation périodique des aides, la dernière crise éclipsant par ses conséquences les premières ;

l'impact de la crise économique qui sévit dans le monde depuis 2008, en Europe en particulier, et qui se traduit par la baisse tendancielle des cours du pétrole, limite les capacités de financement des institutions internationales ;

la mauvaise gouvernance et les crises politiques multiformes pénalisent la gestion saine de la RCA depuis l'indépendance et entretient la méfiance à l'égard de l'Etat centrafricain, considéré comme un pays à hauts risques ;

le récent détournement de l'aide financière angolaise a entamé parallèlement la crédibilité des autorités de la transition (Présidence, gouvernement, Conseil national de transition et Autorité nationale des élections) et rendu frileux les donateurs potentiels ;

enfin, la coopération bilatérale avec la France est incapable de dégager un tel effort de financement, celle-ci est depuis bien longtemps en dessous des standards de l'ONU, qui fixe à 0,70 % de leur PNB, le volume de l'aide publique que les pays développés doivent consacrer aux pays en voie de développement ; la part de la France atteint péniblement 0, 34 % par an et chute régulièrement depuis 2007.

 

Dans ces conditions, ce plan de sauvetage est un miroir aux alouettes. Il viendrait par hasard a être accordé que les conditionnalités placeraient la République Centrafricaine sous curatelle, brisant sa souveraineté et ce qui reste de son indépendance.

 

Au lieu de faire espérer au peuple une manne incertaine, il conviendrait au contraire de le mobiliser sur les efforts qu'il doit fournir pour atteindre des objectifs réalistes, dans les délais raisonnables d'une mandature présidentielle (5ans). Deux exemples : proposer la création d'une armée de métier excède les moyens du pays et confèrera aux forces armées centrafricaines la taille d'un lilliputien (premier pilier), promouvoir la culture et les sports en faveur de la seule jeunesse, c'est prendre le risque d'enfermer celle-ci dans l'opium d'une logique générationnelle contraire aux traditions africaines où les personnes âgées, nos Aînés, sont au cœur de la société (quatrième pilier).

 

3 – Le programme du candidat Touadéra.

 

Le dernier premier ministre du président déchu François Bozizé, le candidat Faustin Archange Touadéra, est celui qui devrait avoir en mémoire les observations pertinentes sur l'état de la RCA, avant le déferlement apocalyptique des troupes rebelles de l'alliance Séléka sur Bangui en décembre 2012. A ce titre, le projet de société du candidat indépendant se déroule comme une litanie qui se décline autour de dix axes. On part des « valeurs éthiques et de la lutte contre la corruption (axe 1) pour aboutir à la « promotion d'un secteur privé efficace, compétitif, capable de générer des richesses susceptibles de créer des emplois en faveur de la jeunesse » (axe 10).

 

Cette déclinaison paraît judicieuse, opérationnelle et donne au projet ainsi présenté l'allure d'un vrai programme de gouvernement – un gouvernement restreint de 10 membres – en fixant les secteurs prioritaires. Des statistiques en nombre limitées viennent soutenir des constats infaillibles et des propositions utiles, mais certaines cependant peu réalisables. Ainsi, pourquoi limiter à 3 mois la durée de la conscription. Ce délai, qui permet tout juste d'apprendre aux jeunes mobilisés le maniement des armes et l'entraînement aux tirs, est trop court pour permettre un vrai brassage social.

Le programme du candidat Touadéra a ainsi le défaut de sa qualité, il est minimaliste. Il fait l'impasse sur les besoins et les modalités de son financement.

 

Toutefois, le document les laisse suggérer. La stratégie en la matière distingue deux principes de base :

 

afin de promouvoir la bonne gouvernance, est-il écrit, « le gouvernement doit attacher une attention particulière à la mobilisation des ressources internes en vue de faire face aux dépenses régaliennes et celles relatives aux investissements dans les infrastructures essentielles de base ».

(à l'inverse), la promotion du « secteur privé créateur des richesses et d'emplois, … est un défi qui s'impose à nous tous et nous devons chercher les voies et moyens avec l'appui de nos partenaires privés, de le dynamiser pour le rendre utile et compétitif.

 

On peut résumer ainsi cette logique stratégique : à l'Etat centrafricain de financer ses missions fondamentales sur les ressources propres du pays, au secteur privé de nouer les relations internationales de droit privé propices à son développement.

Cette division des tâches nous paraît conforme à une éthique de la responsabilité. L'accepter revient à dire au peuple centrafricain qu'il mangera à sa faim à la sueur de son front. Mais pour que cet effort soit mesuré à sa juste valeur et accepté par les Centrafricains, il y faut un préalable dont je ne trouve pas trace à la lecture du document programmatique du candidat Touadéra, sauf erreur de ma part. Ce préalable touche à l'exigence d'un audit général des différents départements de l'Etat. Cet état des lieux exhaustifs devra être entrepris dans les premiers jours de la mandature, avec le concours des partenaires techniques et financiers habituels de la RCA.

 

4 – Voici venue l'heure du choix.

 

A l'heure du choix, l'homme honnête ne peut s'abriter derrière un faux fuyant ou un paravent. Il ne peut laisser la main au hasard, à la chance ou même à la « main invisible », si chère aux pères fondateurs de la science économique. Au second tour, on choisit. C'est ce que j'ai écrit. Je m'y astreins, moi aussi.

 

Comme je l'ai écrit plus haut, les deux candidats nous donnent à choisir entre la peste et le choléra, tant leurs programmes respectifs, identiques à tout point de vue, balaient chacun tout le spectre des propositions les plus diverses, des plus utiles aux plus utopistes, pour reconstruire la République Centrafricaine, notre pays. Chaque programme a ainsi ses forces et faiblesses, et chacun possède sa propre cohérence interne. J'ai essayé d'en traduire l'esprit, sans démonstration superflue.

 

Il appartient désormais à chaque Centrafricain de se faire une opinion, en fonction de son centre d'intérêt.

En ce qui me concerne, je reste convaincu qu'en face de la situation actuelle, trois objectifs prioritaires doivent être privilégiés :

 

-        A court terme (3 mois), la puissance publique doit garantir la libre circulation des hommes et des marchandises, en rétablissant la sécurité sur l'ensemble du territoire, en accordant aux forces de l'ordre (police et gendarmerie) un cadre juridique approprié. Voilà pourquoi j'ai réclamé dès février 2013 l'établissement d'un Etat d'urgence, dans l'esprit des dispositions de l'article 15 de la Charte constitutionnelle de la transition.

-        A moyen terme (6 mois), il faut redéployer les services publics de l'administration en affectant partout les fonctionnaires de l'Etat, compétents et en nombre suffisant, en veillant à leurs conditions de vie au travail afin qu'ils puissent, dans le cadre de leur mobilité professionnelle, accéder localement à des logements décents,  scolariser leurs enfants, soigner leur famille si besoin. Pour cela ils doivent être régulièrement payés.

-        A long terme (1 an et plus), moderniser et renforcer les bases fondamentales de l'économie, en accordant une attention particulière aux conditions de développement de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche et de l'artisanat, afin de favoriser la sécurité alimentaire des populations et d'assurer leur bien-être social conformément aux cinq exigences taxonomiques formulées par Barthélémy Boganda.

 

Si je ramène le programme des deux candidats en présence au second tour à ces trois séquences, deux critères de choix s'imposent à mes yeux : l'éthique de la responsabilité, qui commande au peuple centrafricain de compter d'abord sur ses propres forces et ressources pour émerger de la nuit noire des crises à répétition qui l'accablent d'une part et, d'autre part, la capacité de rassemblement de l'ensemble du peuple, non pour une réconciliation factice à l'occasion d'une énième « Conférence Vérité et réconciliation », mais autour de l'idéal de justice en réparations des préjudices subies ainsi que dans la sanction effective, pénale ou civile, des criminels reconnus coupables.

En effet, au delà des vols, des viols, des exactions de toute nature et des crimes divers, ce qui reste symbolique de cette dernière crise, c'est l'assassinat du magistrat Marcel Bria, le meurtre du médecin Joseph Kalité, ainsi que la disparition de tant d'êtres humains, hommes, femmes et enfants, morts dans l'anonymat. Ces crimes ne peuvent demeurer impunis.

 

Au regard des trois objectifs soulignés plus haut et des deux critères ci-dessus, mon choix se porte en faveur de Faustin Archange Touadéra. Voilà pourquoi je demande à tous les autres candidats, déçus du premier tour des élections présidentielles, à reporter leur voix et le vote de leurs partisans sur le candidat Faustin Touadéra, afin d'accorder à ce dernier le bénéfice d'un vaste rassemblement et de peser favorablement sur le destin à brève échéance de notre Patrie, la République Centrafricaine.

 

Paris, le 25 janvier 2016

 

Prosper INDO

Président du CNR