Centrafrique
– Catherine Samba-Panza : « La politique, ce n’est pas mon truc ! »
Par
Dorothée Thienot – jeuneafrique.fr - le
22 mars 2016 à 19h28
Catherine
Samba-Panza, le 2 mars, à Washington. « Oui, j'ai travaillé avec Michel
Djotodia, admet-elle. Mais qui n'a pas travaillé avec qui ? » © DOROTHÉE THIÉNOT
POUR J.A.
En
avril, la présidente de la transition quittera le pouvoir avec, dit-elle, le
sentiment du devoir accompli. Accusée de népotisme et même de corruption, elle
affirme avoir appris à encaisser les coups
À
quelques semaines de la fin de son mandat, Catherine
Samba-Panza construit sa légende.
Invitée par la Banque Mondiale à Washington, du 27 février au 3 mars, elle s’est
plu à se poser en « mère de la nation », soulignant la difficulté de
la mission qu’elle avait acceptée. Accompagnée de sa fille, Christelle Sappot,
et de sa ministre de l’Économie, Florence Limbio, la présidente de la transition
a été reçue au département d’État et au FMI. Interrogée par Jeune Afrique, elle
revient, dans un discours rodé et messianique, sur son temps passé à la tête du
pays. Et puisque Faustin-Archange
Touadéra prendra sa succession le 1er avril,
elle tient à ce que cela se sache : elle est disponible !
Jeune
Afrique : Vous étiez maire de Bangui quand vous avez été chargée de présider la
transition, en janvier 2014. Pourquoi avoir accepté cette mission
?
Catherine
Samba-Panza :
Dans le cadre de mes fonctions à la mairie, j’étais souvent en contact avec des
organisations de femmes. Quand il a été décidé, à N’Djamena, que Michel Djotodia
devait partir, elles sont venues vers moi et m’ont dit : « Les hommes n’ont pas
pu régler les problèmes du pays, il est temps que les femmes se positionnent
davantage. Nous pensons que vous pourrez faire l’affaire. » J’ai d’abord refusé,
puis je me suis sentie interpellée. J’ai pensé que je n’avais pas le droit, en
tant que citoyenne centrafricaine, de refuser cet appel. Mais, contrairement à
ce que j’ai pu entendre, je n’ai jamais eu d’ambitions politiques – ce n’est pas
pour cela que j’ai accepté. D’ailleurs, je ne me suis jamais intéressée à la
politique.
Vous
avez pris la tête du pays dans un contexte de crise, dans un milieu dominé par
les hommes et alors que le pays était sous la tutelle de la communauté
internationale. À quelles difficultés vous êtes-vous heurtée ?
Quand
j’ai accepté la mission, je savais qu’elle serait difficile. Mais je n’imaginais
pas qu’elle le serait à ce point. J’ai découvert qu’il y avait beaucoup
d’antagonismes et d’intérêts divergents aussi bien au niveau national qu’au
niveau sous-régional. Cela n’a pas été facile, mais il m’a fallu me construire
une vision de ce que je voulais faire de la Centrafrique et garder ce cap. Le
plus important, c’était la réconciliation et le dialogue. Lorsque j’ai pris mes
fonctions, mes premières paroles sont allées à mes enfants anti-balaka et à mes
enfants Séléka. Je me suis tout de suite positionnée en mère de la nation, j’ai
été ouverte à toutes les tendances, à toutes les communautés, et c’est ce qui
m’a permis d’avancer.
J’ai
nommé ma fille, et alors? Sarkozy et Mitterand ont bien nommé leur fils
!
Vous
avez évoqué publiquement la « gouvernance catastrophique » de Michel Djotodia,
qui vous avait nommée à la mairie de Bangui et auquel vous avez ensuite succédé
à la tête du pays. Quelles relations entretenez-vous avec lui ?
Michel
Djotodia voulait une femme à la mairie. Il avait travaillé au ministère du Plan
avec mon mari. Alors, quand mon nom a été proposé, il a tout de suite dit oui.
On a travaillé environ six mois ensemble. Beaucoup en ont alors conclu que
j’étais pro-Séléka, mais je vous le demande : qui n’a pas travaillé avec qui
?
Par
ailleurs, je maintiens que sa gestion a été catastrophique, mais il n’y a pas eu
que lui ! Avant, il y a eu Bozizé…
Vous
dites que vous voulez servir « [votre] pays, l’Afrique, voire le monde ».
Libérée de vos engagements, à quel poste vous verriez-vous ?
Je
ne vise aucun poste. Je me rends simplement disponible au cas où l’on aurait
besoin de moi pour partager mon expérience. J’aimerais m’investir dans la
consolidation de la paix en Centrafrique. J’ai un projet de fondation et de
mémorial, et je suis d’ailleurs à la recherche de financements. J’ai le défaut
d’être nationaliste et d’aimer vivre dans mon pays, mais s’il y a une
opportunité intéressante ailleurs, pourquoi pas !
À
lire aussi :Catherine
Samba veut encore servir
Pourriez-vous
envisager de vous présenter dans cinq ans et d’accéder au pouvoir par les urnes
?
Les
gens me disent souvent de me préparer pour les prochaines élections. Je leur
réponds que si le nouveau chef de l’État travaille bien, il pourra obtenir un
deuxième mandat. J’ajoute que, dans cinq ans, j’aurai un certain âge (elle a 61
ans) et je préférerais avoir une activité moins stressante : je ne suis pas de
ceux qui, à 75 ans, veulent se présenter ! Et puis la politique, ce n’est pas
mon truc. J’ai servi mon pays de tout cœur, avec toute l’abnégation et tous les
sacrifices qu’il fallait, et j’ai le sentiment d’avoir rempli ma mission. Il y a
eu une campagne de dénigrement à mon encontre, mais j’ai encaissé les coups, je
me suis fait une carapace. J’ai résisté et j’en suis fière. Je ne savais pas que
la politique pouvait descendre aussi bas : je l’ai
découvert.
À
quoi faites-vous référence ? Aux accusations d’enrichissement personnel ? À
l’affaire du don angolais, ces 10 millions de dollars dont une partie a disparu
des caisses de l’État ? Aux postes que l’on vous reproche d’avoir offerts à vos
proches ?
Je
n’ai pas d’explication à donner. J’ai posé des actes et je vais assumer. Le jour
où les services d’audit ou judiciaires de mon pays se rapprocheront de moi, je
saurai m’expliquer. Toujours est-il que le FMI est venu faire un audit et a
estimé qu’il n’y avait pas eu de détournement. C’était juste une question de
procédure. Mais tous les justificatifs ont été donnés et le FMI a rendu un
rapport sur cette affaire : l’Angolagate est mort de son propre
poison.
Et
quand on relaie le fait que vous
placez votre fille ou certains de vos proches
?
Je
vous rappellerai que Sarkozy a nommé son fils à un poste important, que
Mitterrand a nommé son fils à un poste important… Je vous rappellerai que
beaucoup de chefs d’État africains ont nommé leurs enfants auprès d’eux. Ma
fille a des capacités, elle a une valeur, je ne vois pas pourquoi elle paierait
parce que sa maman est chef de l’État. Elle mérite aussi une promotion, et
j’assume.
Après
deux ans à la tête de la transition, estimez-vous que certains acteurs
internationaux ont été trop interventionnistes ? En concevez-vous une certaine
amertume ?
Les
gens brodent sur des faits qu’ils ne maîtrisent pas. J’ai par exemple les
meilleures relations avec le président François Hollande ou avec le ministre
français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Ils m’ont accompagnée et soutenue.
Cela étant dit, j’ai une vision pour mon pays, qui ne va pas forcément dans le
sens de ce qui m’est proposé. Je suis une femme de caractère et j’avance dans le
sens de ce que je veux, mais cela ne veut pas dire qu’il y a des problèmes entre
les gens.
J’ajoute
que la sous-région aussi m’a aidée, que la solidarité africaine a joué, et que
je me devais d’avoir de bonnes relations aussi bien avec le président de la
CEEAC de l’époque, en l’occurrence Idriss Déby Itno, qu’avec le médiateur
désigné [Denis Sassou Nguesso]. Là encore, les gens ont beaucoup parlé et il y a
eu des incompréhensions, mais je n’ai pas de problèmes fondamentaux avec mes
pairs de la sous-région.
Durant
la campagne, on vous a accusée de soutenir Martin Ziguélé, puis Faustin-Archange
Touadéra…
C’est pareil : il y a trop de supputations et de rumeurs. J’ai donc décidé de me placer au-dessus de la mêlée et d’adopter une position d’impartialité. J’avais autour de moi des candidats de valeur et j’ai toujours dit que celui qui y arriverait serait le président de tout le monde. Je les ai tous reçus. Il se trouve que je connais Martin Ziguélé depuis longtemps. S’il vient me voir, c’est en tant que frère et en tant qu’ami. Anicet-Georges Dologuélé est également un ami. Touadéra, je le connais beaucoup moins et j’avoue que je ne le voyais pas arriver. Mais je n’ai pas soutenu un candidat plutôt qu’un autre. J’ai permis un retour à l’ordre constitutionnel et j’ai le sentiment d’une mission accomplie.