L’ATTENTE DE LA DIASPORA DES NOUVELLES AUTORITES CENTRAFRICAINES - «INTERVIEW DE BERTRAND KEMBA DANS LE JOURNAL LE CONFIDENT»
Le Confident (LC)) : Bonjour Mr Bertrand KEMBA
Bertrand
KEMBA (BK) : Bonjour
!
Votre
association la DIAMESCA (Diaspora de l’Emergence Centrafricaine) a par le passé
et aussi récemment donné son point de vue sur la vie sociopolitique de notre
pays au gré de l’actualité ; que pensez-vous donc des dernières évolutions
en Centrafrique avec l’élection d’un nouveau
Président ?
Merci
de nous donner cette occasion pour un nouvel échange sur l’actualité récente de
notre pays. Notre association du fait de la diversité d’opinions de ses membres,
après un débat interne n’avait pas souhaité s’immiscer dans le processus de
l’élection présidentielle en prenant partie pour tel ou tel
candidat.
En
tant qu’association apolitique, notre neutralité politique est gage de notre
crédibilité; ce qui n’empêche pas nos membres d’être adhérents à des partis
politiques ou militer pour un candidat à partir de leur conviction
personnelle.
Maintenant
que l’issue des élections est connue, nous ne pouvons que suivre la voie choisie
par le peuple. Ainsi nous avons adressé nos félicitations au nouveau Président
Son Excellence Faustin Archange TOUADERA en lui souhaitant bonne réussite dans
l’immense tâche de la reconstruction du pays qui l’attend et que s’instaure sous
son mandat une véritable réconciliation entre nos différentes
communautés.
Le
Président lors de son passage en France a rencontré la diaspora centrafricaine,
votre association était-elle de la partie ? Aviez-vous présenté des
doléances à cette occasion?
Le
Président comme il a expliqué lui-même était de passage en visite privée. Le
moment n’était pas opportun pour une rencontre avec toute la communauté.
Certains d’entre nous se sont déplacés pour saluer le Chef de l’Etat. Il leur a
consacré un petit moment d’échange en promettant une rencontre plus solennelle
ultérieurement pour mieux discuter avec la diaspora afin de chercher ensemble
les voies et moyens à la résolution des nombreux problèmes qui se posent à notre
communauté expatriée..
On
sait que la diaspora a toujours été l’épine dorsale du pays à travers les
nombreux cadres qu’elle fournit ou encore les nombreux projets qu’elle
entreprend, mais elle subit en même temps beaucoup de critiques car ses projets
ne sont souvent palpables comme cela se fait ailleurs et surtout on reproche à
la diaspora de ne viser que le pouvoir, les postes politiques. Quel message
adressez-vous aux nouvelles autorités à ce
sujet ?
Nous
avons à travers notre association régulièrement fait de communication pour
dissiper les malentendus entretenus à dessein par certains pour nuire à la
diaspora et surtout ne pas chercher les véritables causes de la méfiance
réciproque pouvant exister entre les personnes de cette même communauté certains
vivant au pays d’autres à l’étranger.
La
diaspora n’est pas exempte de reproches. Mais on prend souvent des cas isolés
pour jeter l’anathème sur toute la communauté expatriée en occultant ses apports
au pays. Cette vision de stigmatisation est contreproductive à la longue en
semant les grains pour décourager les bonnes initiatives.
La
diaspora si elle est organisée et soutenue peut être source de créativité et de
richesses pour le pays beaucoup plus que l’aide internationale dont nous sommes
tributaires tout le temps. .
Ces
dernières années on a constaté une volonté des gouvernements à travers le monde
en Afrique notamment de faire des diasporas un vecteur des décisions et
d’échange qui peut apporter une contribution significative au développement à
tous les stades possibles de par l’expérience et l’expertise acquises à
l’étranger.
Notre
pays a organisé un forum en 2010 qui était censé réfléchir et trouver des
mécanismes d’incitations à mettre en place pour les investissements de la
diaspora. Il n’y a pas eu de suite malheureusement. Le contexte de l’époque ne
s’y prêtait pas peut être.
Les
actions actuelles de la diaspora au pays ne se limitent qu’à des initiatives
privées pas souvent palpables aux yeux de la population, alors qu’une véritable
politique d’encouragement par les pouvoirs publics aurait permis la réalisation
des grands projets et créer des nombreux emplois.
Puisque
rien de concret ne s’est fait en faveur de la diaspora pour l’instant
qu’attendez-vous des nouvelles autorités pour corriger les erreurs du passé et
rattraper le retard dû à ce jour?
Il
ne nous appartient pas de dicter au gouvernement ce qu’il doit faire dans
l’intérêt de son peuple. Mais à notre avis un gouvernement quel qu’il soit qui
n’intègre pas la composante diaspora dans sa politique commet immanquablement
une erreur.
Au
lieu de débaucher des meilleurs cadres de la diaspora pour des postes ce qui est
tout à fait normal, mais si on organisait une entité à travers un bureau de
liaison au pays rattaché directement à la présidence ou à la primature pour
regrouper ces cadres pour être des conseillers du gouvernement dans divers
domaines, le pays gagnerait beaucoup en expertises de
qualité.
Le
principe de la création du bureau de liaison de la diaspora avait été accepté
par le gouvernement de transition lors du forum, il appartient maintenant au
gouvernement à venir sous l’impulsion du Président de la République de se
pencher sur sa faisabilité et son opérationnalité à plus ou moins brève
échéance.
Ce
bureau de liaison de la diaspora dont vous réclamez la mise en place ne
sera-t-il pas un nouveau système en trop quand on sait qu’il existe déjà par le
passé des pléthores des conseillers à la Présidence et à la Primature ? En
outre comment sera-t-il financé quand on connait les maigres moyens de l’Etat
pour faire face aux dépenses publiques?
Il
ya beaucoup de domaines où l’expertise de la diaspora est de mise. C’est à
travers un échange ou sur la base d’un cahier de charges qu’on peut énumérer ce
que la diaspora peut faire pour le pays. Les apports ne s’analysent pas en
termes de concurrence avec le gouvernement mais en termes de complémentarité.
C’est pour cette raison que le bureau de liaison doit être transversal à tous
les départements ministériels et dépendre de ce fait directement de la
Présidence ou de la Primature pour plus de célérité dans ses
actions.
Dans
tous les cas, les projets présentés par la diaspora qui ont l’aval du
gouvernement ne peuvent passer que par les Ministères pour leur mise en œuvre,
un partenariat sera mis en place pour cela.
Pour
ce qui est du financement du bureau de liaison, la diaspora étudiera son
mécanisme pour éviter que cela ne soit une charge pour les finances publiques.
La diaspora en cas d’organisation bénéfiçiant du soutien de l’Etat drainera
beaucoup de projets au pays. Le bureau de liaison sera financé à travers ces
projets.
De
manière concrète, quel genre de projet la diaspora peut amener pour bénéficier
de plus d’attention des autorités au-delà de ce qui a été fait
jusque-là?
C’est
sous la primature du Président actuel en 2010 qu’il y a eu le 1er
forum chargé de réfléchir aux problématiques des investissements de la diaspora
en Centrafrique. La préparation de ce forum a permis de passer en revue les
obstacles qui freinent les projets de création d’entreprises de la diaspora. Des
solutions ont été proposées, mais
leur mise en œuvre a toujours posé de problèmes faute de volonté
politique avérée.
Comme
nous avons dit ci-haut, nous sommes dans un nouveau contexte où le Président a
été élu massivement par le peuple qui attend en retour des actions concrètes et
surtout un bilan à la fin de la mandature.
Le
discours d’investiture du Chef de l’Etat a posé le décor de ses actions futures.
La volonté politique étant là, la contribution de tous est de mise pour la
réussite du quinquennat. Nous ne pouvons qu’encourager le Chef de l’Etat en
cette période difficile de reconstruction de notre pays.
Pour
ne pas revenir sur nos publications passées, mais au nombre d'institutions
ou de politiques à mettre en place
que souhaite la diaspora, il y a lieu de citer:
1°
le Centre de Gestion Agréé:
Il créé les mécanismes d'accompagnement des promoteurs dans leurs gestions, tout
en élargissant et sécurisant l'assiette fiscale en passant par l'organisation de
l'économie informelle.
2°
Le fonds d'investissement:
mesure phare dont la diaspora demande la mise en place. Il permet de combler les
insuffisances des capitaux propres des opérateurs quel qu’ils soient (locaux
comme ceux de la diaspora).
3°
Un nouveau code des PME/PMI adapté
à la relance de l'économie du pays dans un contexte de sortie de crise mettant
en place des mécanismes de création d'une bourgeoisie
nationale.
4°
La création d'un bureau de liaison de la diaspora qui
peut être à la fois conseil du Gouvernement en matière d'investissements et
autres projets socio-éducatifs et surtout permet de drainer des grands projets
venant de la diaspora vers le pays pouvant bénéficier de l'appui du Gouvernement
etc. Comme vous pouvez le constater, nous n'avons cité que quelques-uns des
projets que la diaspora peut initier ou susciter. Beaucoup d'autres seront
présentés le moment venu.
Ces
initiatives sont louables certes, mais si pour les projets d'investissements
vous demandez des exonérations douanières et fiscales, avec quels moyens l'Etat
peut fonctionner quand on sait que les recettes fiscales constituent la base des
ressources de l'Etat pour faire face à ses charges
régaliennes?
En
outre ces exonérations ne créent elles pas de distorsion de concurrence avec les
entreprises qui payent les impôts et taxes en donnant les moyens à l'Etat pour
fonctionner?
Assurément
pas. Nous sommes conscients des problèmes que rencontrer l'Etat si les systèmes
à mettre en place créent des effets pervers. C'est pourquoi une rencontre tripartite
Etat, Secteur privé et Diaspora permet de définir les domaines pouvant des
exonérations afin qu'elles ne soient pas contre-productives et nuisent au but
recherché de la relance de l'économie grâce aux apports de la
diaspora.
Nous
savons tous qu'il existe actuellement au pays des effets pervers des
exonérations accordées çà et là qui ne contribuent pas au bon essor d'une
économie centrafricaine déjà exsangue du fait des différentes crises. On peut
réajuster certains mécanismes au profit de la diaspora avec des conditionnalités
tenant compte du niveau d'investissement à réaliser et du nombre d'emplois à
créer.
Dans
tous les cas, les différents dispositifs à mettre en place n'ont pour objectif
que de favoriser une bourgeoisie nationale à la longue et mettre le pays à
l’abri de soubresauts politiques. En outre, les incitations ne doivent être que
temporaires et répondre à une politique bien précise des pouvoirs publics.
Certains
membres de la diaspora fourbissent beaucoup d'idées qui ne méritent d'être
encouragées. Que ce soit pour l'aménagement d'un site dédié à notre pays au port
de Douala pour l'entrepôt des marchandises au départ ou à destination de la
Centrafrique pour en réduire les coûts ou encore d'un grand projet agro-pastoral
qu'un compatriote est en train d'élaborer à Paris permettant la création de
millier d’emplois, la diaspora n'attend qu'un signal des nouvelles autorités
pour apporter sa contribution à la reconstruction du pays. Rien ne peut être
fait partout ailleurs sans le concours de l’Etat.
Pour
terminer nous allons aborder les problèmes des ONG au pays. Dans un rapport
publié l'année dernière, l’ONG international Crisis Group a sévèrement critiqué
la stratégie des Nations unies en Centrafrique qui ne prend pas en compte les
aspects économiques dans la reconstruction du pays. Que pensez-vous de ce
rapport et qu'elle doit être la vision de la communauté internationale par
rapport à la nouvelle situation mettant fin à la
transition.
Merci
d'aborder cet aspect à la fin de notre interview. Nous ne pouvons que remercier
la communauté internationale pour sa contribution significative qui a apporté la paix chez nous même s'il
reste encore du chemin à faire. Mais selon l'ONG Crisis Group, l'organisation
des élections à elle seule ne suffit pas à circonscrire les crises que le pays a
connues. Pour tirer les enseignements des précédents échecs des interventions
multinationales, en Centrafrique, l'assainissement des finances publiques et
leur réorganisation doivent être
les priorités de l’Etat.
Rien
de solide ne peut être engagé sans relance de l'économie accompagné d'une
meilleure gouvernance économique qui accompagne les mesures sécuritaires.
Malheureusement
dans les résolutions concernant la Centrafrique, le volet économie est
pratiquement inexistant à chaque fois. Un fonds Marshal permettant le
financement des différents projets mis à jour lors du forum économique de
septembre dernier ne peut que créer les conditions d'une paix durable à travers la création des entreprises
pourvoyeuses d'emplois pour le grand nombre de la
population.
La
DIAMESCA notre organisation a fait des préconisations en matière de DDRR pour
des actions à long terme. Le DDRR
s’il est bien mené créé les conditions pour une paix véritable. On peut
s’inspirer outre nos propres actions, des modèles initiés ailleurs ou on fixe
une date butoir pour la fin du DDRR en intégrant les ex combattants dans
différents projets. Ceux qui par calcul restent en dehors des actions proposées
subissent les rigueurs de la loi s’ils continuent à rester en marge de la
société pour déstabiliser le pays.
Nous
attendons de rencontrer les nouvelles autorités pour débattre de ce qui peut
être fait pour la relance de l'économie de notre pays avec l'apport de la
diaspora.
Nous
vous remercions.
Propos
recueillis :
Mathurin
C.N. MOMET