Cardinal Nzapalainga: «Je ne suis pas devenu cardinal pour chercher à être pape»

Par Jean-Jacques Louarn  RFI - mardi 29 novembre 2016

 

Cardinal Nzapalainga: «Je ne suis pas devenu cardinal pour chercher à être pape»
L'archevêque de Bangui, en RCA, Mgr Dieudonné Nzapalainga, a été nommé cardinal par le pape François. AFP

Dix-sept cardinaux ont été créés le 19 novembre par le pape François. Parmi eux, l'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, qui devient ainsi le premier cardinal de l'histoire de la Centrafrique. A 49 ans, il est aussi le plus jeune des cardinaux. Mais les armes parlent à nouveau dans son pays, où la paix reste bien fragile. De passage à Paris, le cardinal Nzapalainga appelle à un sursaut national. Jean-Jacques Louarn l'a rencontré.

RFI : Un pape, Noir, Africain, est-ce pour bientôt ?

Mgr Dieudonné Nzapalainga : L’Eglise catholique est une Eglise universelle. Jusqu’à présent, la question ne se pose pas, la question de Noir, et de Blanc ou autres, on accueille seulement celui que les cardinaux pourront élire comme pape. Ça pourrait être un Blanc, comme ça pourrait être un Noir.

Vous avez compris le sens de ma question. Vous n’avez que 49 ans, vous êtes le benjamin des cardinaux. Ce prochain pape noir sera peut-être Centrafricain ?

Je ne suis pas devenu cardinal pour chercher à être pape. On n’est pas seulement cardinal pour son pays. On sert l’Eglise universelle en étant collaborateur du Saint-Père. Et c’est cela le plus important, quitte à ce que, en plus, plus tard faire des choix, ça c’est les cardinaux dans leur discrétion qui feront le choix.

Comment avez-vous appris et pris cette nomination comme cardinal par le pape François ?

J’ai appris cette nomination, j’étais en déplacement dans une ville qui s’appelle Bossembélé, à 160 kilomètres sur la route de Bouar. Je finissais une messe. J’étais en train de m’entretenir avec les chrétiens en les invitant à s’occuper de leurs prêtres. C’est là où le chancelier est venu, me tendant le téléphone en disant « Urgence. Il y a un appel pour vous ». A deux reprises, j’ai refusé. La troisième fois, j’ai pris le téléphone. C’était la nonciature qui m’annonçait que le pape vient de me créer cardinal. Donc je suis surpris.

Il y a un an, le pape François était à Bangui. Vous-même, vous avez multiplié depuis les gestes de réconciliation. Diriez-vous que cette réconciliation entre Centrafricains musulmans et catholiques est enfin en marche ?

On peut dire que c’est en marche. Musulmans, chrétiens, nous avons un seul destin. Avant d’être musulmans ou d’être chrétiens, nous sommes d’abord Centrafricains.

Le président Faustin-Archange Touadéra n’a toujours pas les moyens de rétablir la sécurité dans l’intérieur du pays, de rétablir l’autorité de l’Etat. On pourrait presque dire que Faustin-Archange Touadéra est pour l’instant le président de Bangui en quelque sorte ?

Je l’ai dit à beaucoup de gens. Je suis allé à Bandoro. Le préfet ou le sous-préfet, ils sont sous-préfets de nom, mais dans la réalité, ils n’ont pas de militaires pour les protéger. Ils ne peuvent pas intervenir. Quand vous allez à Bambari, ce n’est pas le préfet qui dirige. Quand vous allez à Bangassou… Je peux multiplier le nom des villes. Donc ça veut dire que ce pays, il y a des seigneurs de guerre qui occupent des pans entiers du territoire et qui ont le droit de vie et de mort, et qui décident. Il est temps que le redéploiement de l’Etat puisse être accompagné d’une force pour dire que, force reste à la loi, et non au désordre ni aux hommes informels qui s’improvisent préfet, qui s’improvisent généraux et qui prennent en otage des populations centrafricaines.

Vous avez évoqué les seigneurs de guerre. De récents affrontements entre ex-Seleka, entre deux mouvements le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC de Nourredine Adam) et l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC d'Ali Darass) à Bria (400 km au nord-est de Bangui) ont fait plusieurs dizaines de morts, peut-être 85 au moins. Des affrontements en fait sur fond de gestion de mainmise sur des trafics lucratifs ?

Cette guerre ne cesse de profiter à certaines personnes. Nous savons aussi que le diamant de Centrafrique sort, passe par d’autres pays. On ne peut pas continuer à regarder ces groupes-là s’entretuer et tuer les civils. Nous avons les forces de la Minusca [Mission des Nations unies en RCA] qui ne sont pas loin, parfois à côté, et qui voient ces forces passer avec leurs armes et bagages. Les gens se posent des questions : à quoi sert la Minusca ? Si la Minusca ne peut pas intervenir, laisse l’UPC traverser, laisse le FPRC traverser, pour aller tuer les autres, pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Ce sont là les questions interminables que se posent les Centrafricains. Il y a aussi un message fort à envoyer : si on fait l’interposition et que les gens de l’UPC qui veulent traverser pour aller attaquer les autres, on peut les arrêter. Là, on aura économisé des vies. Mais si on les laisse aller s’entretuer ou intervenir plus tard, on a déjà eu des morts sur les bras, et on amplifie la guerre, on amplifie aussi le conflit. Nous pensons qu’il est temps d’envoyer un message, un signal fort.

L’opération française Sangaris a plié bagage. Vous avez peur de cette étape. Le président de l’Assemblée nationale, Karim Meckassoua, a déclaré que ce départ était, selon lui, « prématuré » ?

Le gouvernement français est souverain. Si les Centrafricains continuent à attendre toujours de l’extérieur, notre guerre sera pour 100 ans. Si nous avons nos intérêts particuliers, intérêts partisans, et que nous voulons prêcher pour notre région, pour notre ethnie, pour notre tribu, notre problème demeurera entier. Il est temps de voir plus grand, plus large, plus national, pour ne pas dire être un patriote.

La Centrafrique est bien partie ou est mal partie ?

La Centrafrique est en voie de sortir de cette crise. Il ne faudrait sombrer dans le pessimisme. La Centrafrique a un avenir et cet avenir commence d’abord dans la tête, dans le cœur des Centrafricains avant que la communauté internationale intervienne.

La Centrafrique aux Centrafricains ?

La Centrafrique aux Centrafricains et maintenant, les autres peuvent aussi venir aider. Mais je suis en train de provoquer un sursaut dans le cœur des Centrafricains pour qu’ils se disent : il est temps de bâtir ce pays, il est temps, il est temps… il est temps de voir ce pays et de travailler pour l’intérêt de ce pays.