Centrafrique:
le chef de guerre Noureddine Adam menace de "marcher sur Bangui"
Par
Amaury HAUCHARD, AFP, jour 26.12.2017 à 10:00
Il
se dit "homme de paix" mais Noureddine Adam, l'un des principaux chefs de groupe
armé qui sévissent en Centrafrique, fait la guerre et veut la
continuer.
Dans
un entretien exclusif à l'AFP, il parle d'une "ligne rouge" dont "le
gouvernement s'approche" et qui pourrait le pousser à lancer ses hommes, comme
en 2013, sur Bangui.
Leader
d'une large coalition de groupes armés impliqués dans de nombreuses exactions
ces dernières années en Centrafrique, il sert le thé à ses invités. Parfumé,
dans un boubou soigné, Adam arbore un large sourire. Ses paroles restent
guerrières.
"Un
jour, on va devoir prendre nos responsabilités pour libérer le pays",
menace-t-il depuis Birao, capitale de la Vakaga, région du nord de la
Centrafrique, et quartier-général de son groupe armé, le Front populaire pour la
Renaissance de la Centrafrique (FPRC).
Physique
longiligne et lunettes fines, il se dit faiseur de roi dans le pays le moins
développé du monde, revendiquant "5.000 à 8.000" hommes au FPRC et une myriade
de groupes armés sous ses ordres.
"Nous
en sommes au même point qu'en 2012", quand la coalition pro-musulmane de la
Séléka - dont il est cofondateur - s’apprêtait à prendre le pouvoir, dit-il en
pesant ses mots.
Assis
dans la cour sablonneuse de la résidence du sultan de la Vakaga, - l'une des
rares habitations en dur de Birao - il affirme avoir toujours autorité sur
toutes les anciennes factions de la Séléka, et ce malgré de violents
affrontements et dissensions entre elles ces derniers
mois.
-
Touadéra le 'criminel'-
Il
s'est allié en 2015 à un groupe armé antibalaka (milices prétendument créées
pour se défendre contre l'ex-Séléka musulmane) et ancien ennemi: "Avant tout, il
faut qu'on lave les cœurs. Intégrer ces gens, c'est y participer". Ce ralliement
a des allures de prise de guerre.
L'homme,
une pierre précieuse verte au doigt, prétend - comme de nombreux autres chefs de
milices et groupes armés - "vouloir la paix avant tout".
Mais
Noureddine Adam reste un chef de guerre, et le président Faustin-Archange
Touadéra est aujourd'hui sa cible principale.
Après
le départ de la Séléka provoqué par l'intervention militaire française Sangaris,
suivi de deux ans de transition, Touadéra a été élu en 2016, soutenu par la
France et l'Onu qui ont vu en lui un espoir démocratique dans un pays qui n'a
connu depuis son indépendance en 1960 que coups d'Etat et instabilité
politique.
"C'est
un criminel", assène Adam. "Il n'a aucune chance de finir son
mandat".
Retranché
chez lui, dans la Vakaga, aux confins des frontières du Soudan et du Tchad, il
répète à l'envie le mal qu'il pense du pouvoir actuel, qui soutiendrait et
armerait selon lui les antibalaka à travers tout le pays.
Alors
que l'imam de la mosquée voisine appelle à la prière du soir, Noureddine Adam
continue sa diatribe guerrière. La force de l'ONU (Minusca, présente dans le
pays depuis 2014) est "l'avocate du gouvernement; ce n'est pas son rôle",
accuse-t-il.
Seules
les sanctions onusiennes et américaines - interdiction de voyager, gel des
avoirs - lui semblent "normales": "Ce n'est pas seulement moi qui a été visé, il
y a aussi les ex-présidents Michel (Djotodia) et Bozizé. Il y a des crimes qui
ont été commis du côté musulman et du côté chrétien. On ne peut pas contrôler
tout le monde. Depuis 2002, on est en train de
s'entretuer."
"Je
n'ai pas peur d'aller me justifier à Bangui", dit-il, affirmant néanmoins qu'il
faut d'abord rétablir la paix "avant de voir qui a tué qui, et qui a commis des
crimes."
Mais
"on ne peut pas juger (ces crimes) sans être au pouvoir", ajoute-il d'emblée,
laissant paraître une volonté prononcée de revenir à Bangui, où il a été
quelques mois chef des renseignements sous Djotodia. Et accusé d'avoir
commandité dans ces fonctions des actes de torture selon
l'ONU.
-
Finie la sécession -
Entouré
de son état-major et de sa garde rapprochée, il se voit président: "Si c'est
pour amener la paix et la sécurité, pourquoi pas?".
Plus
question de la sécession du nord, comme il l'a prôné par le passé après la perte
de Bangui par la Séléka, son but est de nouveau la
capitale.
Et
si la communauté internationale s'y oppose? "Ca sera
dommage".
Alors
qu'il se dit victime, il commande depuis son bastion désertique les attaques de
ses hommes armés, au nombre généralement estimé à plusieurs centaines. Ceux-ci
sont impliqués dans le meurtre de civils et le déplacement de dizaines de
milliers d'autres dans le pays.
Noureddine
Adam réfute les accusations de recrutement de mercenaires étrangers, mais
n'hésite pas à menacer: "si les Faca (l'armée centrafricaine) sont déployées
dans nos zones, c'est fini, c'est le chaos", martèle-t-il. "Nous sommes les fils
de ce pays, nous avons un rôle important à jouer."
Fin
2017, en Centrafrique, un civil sur deux dépend de l'aide humanitaire et près
d'une personne sur cinq a dû fuir son domicile.
Mi-décembre,
l'Onu a autorisé la Russie à donner des armes au gouvernement de Touadéra. "Avec
cette livraison, on approche de la ligne rouge", prévient, calme, Noureddine
Adam.