Centrafrique,
la semaine diplomatique chargée du président Touadera
Par
Aza Boukhris, Mondafrique - 7 octobre 2020
Le
président Touadera a repris ses voyages internationaux. Du 30 septembre au 8
octobre 2020, il s’est rendu successivement à Bruxelles, Rome et en Russie. Le
renforcement de la coopération avec l’Union européenne, les bonnes relations
avec le Vatican et l’extension du partenariat militaire et les échanges
bilatéraux avec la Russie étaient à l’agenda de ces visites, à moins de trois
mois des élections générales du 27 décembre 2020
Prévue de longue
date, en marge de la 75ème Assemblée générale de l’ONU, une réunion de
Haut niveau s’est tenue, le 1er octobre 2020, en viséoconférence. Coprésidée par
Faustin-Archange Touadera, déjà arrivé à Bruxelles, elle a regroupé les
principaux dirigeants de l’ONU, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de
la Ceeac et plusieurs ministres des affaires étrangères dont Jean-Yves Le
Drian.
Il ressort de cette
réunion que la plupart des intervenants se sont félicités des progrès réalisés
dans l’application de l’ Accord politique pour la paix et la réconciliation en
Centrafrique ( APPR-RCA) du 6 février 2019, » le seul viable pour le
retour à la paix ». En dépit du contexte peu favorable à une consultation
électorale, le président Touadera a donné les assurances du bon déroulement du
processus électoral.
Les intervenants
ont réaffirmé que la date du 27 décembre 2020 n’ était pas modifiable. Ils ont
néanmoins insisté pour que ces élections générales soient » crédibles,
libres, sécurisées, transparentes, inclusives, respectueuses des délais
constitutionnels ». Jean- Pierre Lacroix, le Secrétaire général adjoint de
l’ONU et chef des Opérations de maintien de la paix a averti : » ce que le
pays a le plus besoin, c’est la stabilité
institutionnelle ».
On peut se demander
s’il ne s’agit pas aussi de la stabilité politique, avec la réélection de
Faustin- Archange Touadera.
Cette vision de la
situation actuelle ne semble pas correspondre aux réalités de terrain, notamment
en ce qui concerne l’ application de l’ APPR- RCA et le déroulement du processus
électoral.
Si le gouvernement centrafricain a accompli la plupart de ses engagements, en revanche, on voit difficilement les avancées du côté des quatorze groupes armés, notamment de l’UPC d’ Ali Darass et du mouvement 3 R de Abass Sidiki. Dans ces régions, qui échappent à l’autorité de l’ État, les populations sont toujours sous la coupe du terrorisme de ces rebelles. Il est un peu surréaliste de prévoir des élections libres, crédibles et sécurisées dans ces régions. Ali Darass » administre » déjà près de 90 0000 km2 et devrait pouvoir faire élire des deputes de l’ UPC. Représenté au gouvernement, il ne risque rien.
Quant à Abass
Sidiki et son mouvement 3 R, en conflit ouvert avec la Minusca, il s’oppose à
toute ingérence de l’ Etat dans son fief mouvant. Il faut aussi ajouter que la
plupart des 600 000 réfugiés à l’étranger seront privés de vote et que la
diaspora sera largement écartée des élections du 27 décembre 2020. Quant à
l’Autorité Nationale des Élections ( ANE), elle cumule illégitimité,
incompétence et alignement sur le pouvoir. Cette courroie de transmission sera
le principal motif du probable rejet des élections. Enfin, les aléas sanitaires,
avec la pandémie covid- 19, et climatiques, avec les inondations dramatiques,
devraient davantage être pris en considération. Avec ces élections du 27
décembre 2020 et évidemment les résultats attendus, tout est réuni pour une
crise majeure en Afrique centrale, déjà très fragilisée. On comprend
l’impatience de la Russie pour renforcer son implantation
militaire
Le président
Touadera a pris ses habitudes en Belgique. Il est vrai que l’Union européenne
est le principal partenaire de la Centrafrique et que Faustin- Archange Touadera
y a établi de solides réseaux avec comme représentant personnel, le belgo-russe
Dimitri Mozer. Le consul honoraire wallon a ses entrées à la Commission
européenne, après l’énorme contrat remporté, en 2016, pour le déménagement des
locaux de cette Commission européenne. La ville d’Anvers, centre mondial du
diamant, est également une ville importante pour la Centrafrique officielle et
officieuse. Le jeudi 1er octobre 2020, en plein Conseil européen, le Vice-
président de la Commission et Haut représentant pour les affaires étrangères et
la politique de sécurité, l’Espagnol Joseph Borrell, avec deux autres
commissaires, a pu néanmoins rencontré le président
Touadera.
Le lundi 5 octobre,
le président du Conseil européen, Charles Michel, a reçu son ami et vieille
connaissance, depuis son passage à la Primature, Faustin-Archange Touadera. Ces
rencontres exceptionnelles, montrent à quel point le président Touadera peut
compter sur le soutien politique et financier de l’Union européenne. Le
difficile bouclage financier du processus électoral, la coopération et
l’assistance dans la formation des forces de sécurité, la question récurrente de
l’embargo sur les armes, le financement de l’aide alimentaire d’urgence pour 60%
de la population et la prolongation du trust fund Bekou, pour le relèvement de
l’Etat, ⁰ont été notamment
au menu de ces rencontres.
Le Secrétaire
d’État, numéro 2 du Saint-Siège, Pietro Parolin, a reçu le président Touadera,
le 2 octobre 2020, pour une rencontre qui consolide certes les bonnes relations
entre les deux États mais qui a aussi des relents de campagne électorale pour
toucher les électeurs catholiques. Il n’est pas sûr que ces électeurs seront
sensibles à cette visite, tant ils paient un lourd tribut aux exactions des
groupes rebelles dont l’ UPC, partenaire du président
Touadera.
Évidemment,
le Vatican connaît parfaitement la situation en Centrafrique. Le cardinal
Dieudonné Nzapalainga, proche du Saint-Père, est une voix qui compte et qui
donne la réalité de la situation dans son pays. Le religieux ne cesse de mettre
les politiques devant leurs lourdes responsabilités, de stigmatiser la course
aux armements et les exactions sont victimes d’innombrables innocents et de
réclamer la mise en place urgente d’un véritable dialogue national pour retisser
une cohésion nationale. La visite de courtoisie à la Communauté Sant’ Egidio a
ravivé l’accord mort-né du 19 juin 2017 qui concernait pourtant tous les
signataires de l’ APPR- RCA du 6 février 2019, mais également l’Assemblée
nationale et les principaux partis politiques qui y avaient été étroitement
associés. C’était avant la visite du président Touadera à Sotchi, en
octobre 2017…
Le 6 octobre 2020,
le président Centrafricain s’est rendu à Moscou, afin d’ avoir des entretiens de
Haut niveau notamment avec le ministre Sergueï Lavrov et des chefs militaires de
l’ Etat- major général des Armées. Cette visite en Russie ne figurait pas dans
le programme initial de la semaine. Elle aurait peut-être été diversement
appréciée à Bruxelles et lors de la réunion de Haut niveau. Nul doute que les
États-Unis d’Amérique et accessoirement la France, désormais hors-jeu,
apprécieront modérément cette visite. Le renforcement de la coopération
militaire était apparemment le principal objet de cette visite surprise et
dérangeante.
Outre la question
de l’embargo sur les armes, la Russie soutient totalement financièrement et en
matériel l’ accroissement des armements en Centrafrique. Évidemment, les accords
conclus le 6 octobre 2020 sont sous le sceau du secret. Néanmoins, on apprend
que vingt véhicules blindés légers seront acheminés rapidement à Bangui,
certainement avant le 27 décembre 2020. On ne sait jamais…
La création d’un
bureau militaire en Centrafrique, avec ses antennes régionales, devrait être
opérationnel à la fin du mois d’ octobre 2020. Des officiers généraux et des
dizaines de spécialistes militaires y seront déployés. La base militaire de
Berengo pourrait y être un centre névralgique. Le hub centrafricain pour
l’Afrique centrale de la Russie est en construction. En contrepartie, il est
probable que les autorités russes aient demandé une mansuétude envers les
dirigeants de deux sociétés d’exploitation minière liées au groupe Wagner,
récemment frappées de sanctions par le Trésor américain. Enfin, dans le cadre de
l’amitié qui le lie au président Poutine, Faustin-Archange Touadera devrait se
rendre, le 7 octobre 2020, à Sotchi, pour lui souhaiter un bon soixante-huitième
anniversaire. Le partenariat entre le régime de Bangui et la Russie n’ a jamais
été aussi intense. Les élections générales du 27 décembre 2020 devraient pouvoir
en bénéficier….
Ainsi donc en une
semaine le président Touadera aura rencontré toutes les personnalités qui
comptent dans la crise centrafricaine. On ne s’étonnera guère de l’ absence de
la France qui fait désormais illusion. L’avenir du pays en se joue plus à Paris.
Faustin-Archange Touadera peut compter sur la disponibilité de la Chine qui a
fourni le matériel électoral du parti présidentiel et assure la fourniture de la
campagne électorale. Les aides financières pour les projets de développement et
de rétablissement de l’Etat sont habilement siphonnés dans l’indifférence
générale pour alimenter les caisses du régime.
Enfin, la Russie
assure la sécurisation du président Touadera. Par les militaires du groupe
Wagner et par ses conseillers, la Russie devrait permettre une facile
réélection du président Touadera.
Cette semaine
passée à l’étranger lui aura été bien plus importante que d’éventuelles tournées
à l’ intérieur du pays, où sa présence n’aurait pas été
bienvenue.
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