« La
Centrafrique ne peut pas se payer le luxe d’une nouvelle
transition »
Pour
Mankeur Ndiaye, le chef de la Minusca, il faut absolument que les élections
prévues fin 2020 se tiennent dans les délais constitutionnels.
lemonde.fr
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Carrie Nooten (New York, NU, correspondante), 18/11/2019,
20h00
Un soldat tanzanien de la Minusca à Gamboula, en Centrafrique, le 6 juillet 2018. FLORENT VERGNES / AFP
Le
mandat de la Minusca, la mission des Nations unies en Centrafrique,
a été renouvelé et élargi, vendredi 15 novembre à l’ONU : sa force de
13 000 soldats et policiers sera chargée de veiller au bon déroulement
des élections prévues en décembre 2020. Entretien avec le Sénégalais
Mankeur Ndiaye, chef de la Minusca.
Vous
aviez demandé au Conseil de sécurité d’élargir le mandat de la Minusca, il vous
a suivi et a confié à la force un mandat d’assistance à la coordination
électorale. C’est un signe de confiance encourageant pour
vous ?
Oui,
car le Conseil a voté la résolution 2499 à l’unanimité, alors que l’an dernier
il y avait deux abstentions. Il faut se féliciter dès que le Conseil parle d’une
même voix sur les questions de maintien de la paix. C’est une demande conjointe
que nous avons faite avec le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra.
Nous avons rappelé comment la Minusca a joué un rôle décisif dans les dernières
élections générales de 2015-2016. Le soutien logistique et la sécurisation des
élections sont fondamentaux pour le succès des élections.
Quels
défis subsistent quant à la tenue du scrutin ?
L’élargissement
du mandat implique bien sûr plus de ressources financières – j’espère que nous
les obtiendrons. Et il y a également la question du financement des élections.
Le budget avoisine les 50 millions de dollars [environ 45 millions
d’euros] : 17 millions ont déjà été réunis, grâce aux
contributions de l’Union européenne et du gouvernement, mais il reste un manque
important à combler. Le président Touadéra sollicite ses soutiens et j’espère
vraiment que le budget sera vite confirmé, afin que les élections puissent se
dérouler dans des conditions de sérénité et de transparence
absolue.
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Quelles
seraient les conséquences si les élections étaient
perturbées ?
Ce
n’est même pas envisageable pour nous. Il faut absolument que les élections se
tiennent dans les délais constitutionnels – et la résolution adoptée par le
Conseil l’affirme très clairement. Le premier tour doit absolument se tenir le
27 décembre 2020, et un second tour éventuel le
14 février 2021. C’est fondamental, non seulement pour la
pérennisation de l’accord de paix, mais surtout pour la stabilisation politique
du pays.
Il
est essentiel de tenir les délais, car à partir de fin mars 2021, il n’y
aura plus de président de la République en Centrafrique et le président de
l’Assemblée nationale ne pourrait assurer l’intérim que jusque fin mai. Après,
on risquerait d’entrer dans une période d’instabilité aux conséquences
incalculables.
La
Centrafrique ne peut pas se payer le luxe d’une nouvelle transition. C’est très
clair pour la communauté internationale. Nous savons qu’il y a des forces
politiques qui ne veulent pas des élections, qui s’inscrivent dans la
perspective d’une nouvelle transition. Qu’elles sachent que nous travaillons à
ce qu’il n’y ait pas de transition. Ce serait un recul, l’échec total de
l’accord de paix.
L’élargissement
du mandat ne risque-t-il pas d’ajouter à la pression à laquelle est déjà soumise
la Minusca, tiraillée de part et d’autre ?
Dans
toutes les situations de crise, comme celle que nous vivons en Centrafrique, il
y a de la pression, des urgences, et nous sommes mobilisés sur de nombreux
fronts. Les vastes inondations à Bangui ont mis de nombreux Centrafricains dans
des conditions plus précaires encore. Les mauvaises conditions sanitaires
augmentent les risques de choléra. Sur les inondations, nous ne dépêchons pas
d’hommes mais débloquons des ressources.
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Nous
faisons surtout des va-et-vient entre le gouvernement et les groupes
armés : quatorze d’entre eux ont signé l’accord politique de paix et de
réconciliation, le 6 février, mais tous ne respectent pas leurs
engagements. Nous sommes obligés de jouer les médiateurs, de mettre la pression
parfois, car il faut absolument sauver l’accord de paix, il n’y a pas d’autre
alternative. L’alternative, c’est la guerre.
La
saison des pluies touche à sa fin, cela pourrait permettre aux groupes armés de
se déplacer plus facilement. Comment anticipez-vous
cela ?
C’est
une période à risque car les routes deviennent praticables, les groupes armés
sont plus mobiles. Nous faisons de la prévention avant cette période de
transhumance pour éviter les confrontations : cela passe par beaucoup de
médiation en amont.
Toutes
les violations de l’accord sont des défis. Par exemple, ce que l’UPC [Unité
pour la paix en Centrafrique] d’Ali Darassa fait à Bambouti est
inacceptable, aucun groupe armé ne peut déployer des troupes sans autorisation.
On vient de m’informer qu’il était sur le point de quitter Bambouti, on continue
de lui mettre la pression, par le dialogue.
Même
cas de figure à l’ouest avec les 3R [Retour, Réclamation et
Réhabilitation], même si Sidiki Abass coopère et vient de s’engager dans les
unités spéciales mixtes de sécurité et dans le DDR [désarmement,
démobilisation et réinsertion]. Ce sont des étapes positives, mais qui
nécessitent beaucoup de conciliabules.
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morts
Nous
sommes très préoccupés en revanche par la situation à Birao. Nous venons de
dépêcher une délégation avec des membres du gouvernement, de la Minusca, de
l’Union africaine et de la CEEAC [Communauté économique des Etats de
l’Afrique centrale], pour proposer au FPRC [Front populaire pour la
renaissance de la Centrafrique] de Nourredine Adam et au MLCJ [Mouvement
des libérateurs centrafricains pour la justice] de s’accorder sur un
cessez-le-feu. Nous craignons sinon que les conflits entre groupes armés
deviennent des conflits interethniques entre les Rounga du FPRC et les Kara du
MLCJ.