Le petit enfant des quartiers populaires de Bangui, Jacques Séréfio, devenu un Grand du basket-ball africain, n'est plus.

 

 

Jacques Séréfio n'est plus. Une semaine, jour pour jour, après avoir porté en terre française Joseph Marcel Bimalé, ancien directeur technique national, le basket-ball centrafricain pleure Jacques Séréfio, décédé à Bangui ce samedi 17 juillet 2021 à 3 heures du matin.

Le petit enfant noir des quartiers populaires de la capitale centrafricaine s'en est allé à l'aube, sur la pointe des pieds, discrètement, comme il a toujours vécu. Il avait 74 ans.

 

1 – Le petit Centrafricain devenu un Grand d'Afrique.

Né en 1947, Jacques Séréfio a grandi dans le quartier populaire du PK.5, réputé hier pour ses commerces, ses marchands ambulants et ses colporteurs, aujourd'hui pour ses trafiquants en tous genres et ses bandes armées. Il aura échappé à la délinquance grâce au basket-ball, au sein de l'équipe du Red-Star dont il fut l'un des joueurs émérites.

C'est avec ce club qu'il emporta le championnat de Centrafrique de basket-ball d'une part, et le titre de champion d'Afrique des clubs champions en 1971 d'autre part.

Entre temps il intégra la sélection nationale, d'abord comme joueur espoir puis comme titulaire de l'équipe fanion. Avec les Bamaras – les Lions, nom de la sélection nationale – il remporta l'édition 1974 du championnat d'Afrique des Nations.

Avec les Bamaras, Jacques Séréfio fit l'étalage de son talent. Par trois fois, il fut honoré et intégré dans l'équipe continentale africaine. Il y gagna un surnom : Afrika !

Oui, « Afrika » représentait ce que le continent noir fait de meilleur ; Jacques Séréfio était un ailier fort, dans le jargon de son sport. Il alliait rapidité, puissance et adresse. Il ne rechignait pas à aller au contact, titiller l'adversaire et tutoyer le cercle. C'est un joueur explosif.

Dans la vie de tous les jours, au contraire, l'homme, tout en robustesse, faisait preuve de simplicité, humilité et discrétion. Cette grande réserve et timidité l'ont sans doute desservi. Il semble en effet que ce basketteur prodigieux soit mort dans un complet dénuement.

 

2 – Un être vous manque et tout se dépeuple.

Le basket-ball centrafricain doit beaucoup à la figure tutélaire de François Péhoua, alias « Boston », le président fondateur de la fédération centrafricaine de basket-ball. Ancien directeur du Trésor public centrafricain, puis de l'UBAC (Union bancaire en Afrique centrale), une filiale commune du Crédit Lyonnais et de la Société générale, il fut également le président fondateur du Hit Trésor Club, l'autre grand club de la capitale centrafricaine.

« Boston », c'est d'abord l'image d'un manager moderne : visionnaire, organisateur, rassembleur ! Avec talent et opiniâtreté, il réussit à élever le basket centrafricain au rang de sport national d'abord, puis au sommet du continent ensuite.

Pour parvenir à ce résultat, il déploya une stratégie originale :

-        une équipe de direction dynamique et dévouée, avec Mathias Zocko l'administrateur, Arlette Pata l'intendante des équipes nationales, Henri Mballa dit Chandra l'entraîneur de l'équipe nationales féminine, et Félix Samba-Bénam le coach de la sélection nationale masculine ;

-        une règle de sélection inédite où les joueurs retenus en sélection nationale sont élus par leurs pairs en un vote à bulletins secrets ;

-        une politique d'ouverture sur le monde, en faisant venir les meilleures équipes des universités américaines, l’équipe nationale de la République populaire de Chine, les Harlem Globe Trotter's en démonstration, l'équipe des Espoirs français (Alain Gilles, Jacques Cachemire, Jacques Monclar, Jean-Claude Bonato, Charles Tassin...), et des entraîneurs étrangers de renom (l’Américain Mac Gregor, le Français Jean Galle) ;

-        un effet d'entraînement auprès des hauts fonctionnaires (M. Zanifei, directeur général de la Banque nationale du développement) et officiers supérieurs de l'armée (le Commandant Auguste Bongo, directeur de la gendarmerie nationale) ;

-        la promotion du sponsoring auprès des sociétés commerciales et entreprises de la place.

A cette stratégie de développement, François Péhoua ajoutait un élément essentiel, la promotion des hommes et des femmes de son sport. Il ne ménageait pas ses efforts pour trouver un emploi aux uns et autres, leur ouvrant son carnet d'adresse, appuyant leur démarche ou facilitant l'intégration dans la fonction publique de ceux qui ont terminé leurs études supérieures à l’étranger.

 

3 – Le rôle clé du Centre culturel américain de Bangui.

Le CCAB, situé dans un immeuble sis avenue de la République, en face du supermarché Printania, était le point de ralliement de tous les amateurs de basket-ball.

Collégiens, nous avions porte ouverte les jeudis après-midi. Là, assis devant un grand rétroprojecteur, nous assistions en différé aux tournois de basket du championnat américain. Les meilleures équipes de l'époque étaient les Celtics de Boston et les Buks de Milwaukee. Les joueurs vedettes avaient pour nom : Bob Cousy, Pat Ewing, Lew Alcindor alias Karim Abdul Jabbar.

Avec ceux-là, le basket-ball était plus que du sport, un ballet ! Les parquets luisants, les tenues chamarrées et les pom-pom girls agrémentaient la féerie du moment. Les combinaisons étaient d’abord dans les têtes avant d’être tentées sur le bitume du stade Barthélémy Boganda.

Mieux, au collège Saint-Paul des Rapides, aujourd'hui lycée, nous avions pour professeur d'anglais, en classe de seconde, l'épouse de l'ambassadeur des États-Unis. Cette proximité nous ouvrit les portes de la résidence de l'ambassadeur et la possibilité d'aller barboter de temps en temps dans la piscine de son Excellence, autour d'un barbecue.

Tout semblait être mis en place pour le succès et la réussite. Hélas, rien ne résiste à l’œuvre destructrice du temps lorsque les hommes n'y prêtent pas la main. Après trois décennies de crise politique et sociale, la RCA est devenue un « État failli » et, selon l'adage, une société en crise n'engendre pas de talents.

 

4 – Il faut un miracle pour le relèvement du basket-ball centrafricain.

Le basket centrafricain est descendu de son piédestal, faute sans doute d'un nouveau François Péhoua. Ce dernier présent, peut-être le sort de Jacques Séréfio eût été différent. Il faut donc un miracle pour relever ce sport et redonner confiance à la jeunesse du pays.

Aujourd'hui, deux nouvelles personnalités sont à la tête du sport centrafricain en général et du basket-ball en particulier. Il s'agit du ministre chargé de la Promotion de la jeunesse, des sports et de l’éducation civique, M. Aristide Briand Reboas, nommé le 23 juin 2021 d'une part, et du nouveau président de la fédération centrafricaine de basket-ball, Serge Singha Bengba, élu le 20 mars 2021 d'autre part.

Indépendamment du contexte politique et de la crise sanitaire en cours, trois initiatives nous paraissent de nature à faire naître le miracle et à mobiliser la jeunesse centrafricaine autour du sport en général et spécialement autour du basket-ball :

-        remettre sur le métier le projet « Basket de rue », dont la première édition s'est tenue à Bangui en décembre 2020. Cette expérience doit être dupliquée et démultipliée à Bambari, Bangassou, Berberati, voire Bouar et Birao ;

-        réfléchir à un projet spécifique  portant création d'un Muséum de l'histoire du basket-ball centrafricain, à la fois lieu d'exposition et espace multimédia consacrés aux femmes et aux hommes qui ont fait la notoriété de ce sport et participé à son développement ;

-        promouvoir la création d'un Centre sportif national dédié à la formation et à la préparation des sportifs de haut niveau, en mettant à leur disposition les meilleures plateformes en matières d'équipements et matériels d'entraînement, ainsi qu'à leur suivi au plan physique, médical et diététique, voire à la gestion de leur fin de carrière et de leur reconversion. A cet égard, il convient d'élaborer, s’il n’existe pas encore, le statut juridique des athlètes de haut niveau, convention fixant les rôles respectifs du ministère des sports, des fédérations sportives, des clubs et des équipes nationales.

 

Paris, le 19 juin 2021

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international

Ancien joueur de l'équipe nationale centrafricaine

de basket-ball, les Nikpas de 1967 (les Sangsues).

 

Jacques SEREFIO et les Fauves de Bas-Oubangui 1972