Centrafrique
:
« Les chefs de guerre devraient être arrêtés et jugés »
Pour l’universitaire
Didier Niewiadowski, ancien conseiller à l’ambassade de France à Bangui, un raid
d’anciens rebelles centrafricains sur la capitale semble aujourd’hui improbable.
Ces groupes armés restent cependant les seuls maîtres des régions sous leur
contrôle, dont ils continuent à exploiter et vendre les richesses naturelles
pour acquérir de nouveaux armements. Dans un entretien avec JusticeInfo.Net, le
juriste français estime qu’il est plus que temps d’arrêter et juger les chefs de
ces milices, dont certains sont déjà sous le coup de sanctions
internationales.
JusticeInfo.Net :
Que mijotent les groupes armés ex-Séléka à Kaga-Bandoro ? Une marche
décisive sur Bangui pour chasser du pouvoir Touadéra et porter à la tête du pays
un des leurs comme en 2013?
Didier
Niewiadowski : Le
regroupement de plusieurs mouvements rebelles de l'ex Séleka, à Kaga Bandoro,
sous la coordination d'Abdoulaye Hissène, commandant militaire du FPRC de
Nourredine Adam, est une nouveauté. Ce conclave est opportuniste. La paranoïa
ambiante à Bangui y voit des prémices à un raid sur la capitale. Les groupes
rebelles ont des intérêts divergents en fonction de leurs implantations et de
leurs rentes. Un remake de l'automne 2012 et début 2013 est, semble-t-il,
illusoire. La réaction de la Minusca, des Rafales français et des forces
spéciales russes serait, cette fois-ci, décisive. Une telle aventure serait
suicidaire pour ses auteurs et ses commanditaires. On peut aussi penser que
cette agitation médiatique sert, in fine, le pouvoir centrafricain afin de
remobiliser une population qui n'en peut plus d'une gouvernance qui ne lui
apporte pas ce qu'elle avait cru obtenir en élisant Faustin Archange Touadera.
Le regroupement à Kaga Bandoro est plutôt une pression pour faire monter les
enchères dans la négociation menée par l'Union africaine dans le cadre de la
Feuille de route adoptée par la plupart de ces mouvements
rebelles.
Les tout derniers
événements prouvent à tout le moins que même Bangui, la capitale, est vulnérable
face aux gangs armés malgré la présence des forces de
l’ONU ?
Un scénario d'un raid
sur Bangui étant improbable, en revanche, la capitale pourrait, à son tour,
subir les affres que subit l'arrière-pays depuis deux ans. Le foyer
infectieux du PK5, passant chaque jour davantage de statut d'enclave musulmane à
celui de ghetto, irradie les autres arrondissements de Bangui. Le baril de
poudre est prêt à exploser. Les tragiques événements du 1er mai dernier dans
l'église de Fatima et ensuite à l'égard de passants innocents, montre à
l'évidence que les ennemis de la Centrafrique et les fossoyeurs de l'unité
centrafricaine veulent instrumentaliser un hypothétique conflit religieux. Il
faut bien insister une fois de plus. A part quelques laissés pour compte de la
société centrafricaine, sans famille, sans éducation, sans foi ni loi, manipulés
par des pyromanes, le peuple centrafricain ne veut pas la partition du pays et
veut la concorde religieuse. Les musulmans, les animistes et les chrétiens
ont toujours cohabité pacifiquement. Les tentatives de division doivent être
combattus énergiquement. Cela ne semble pas aujourd'hui le cas.
Quelle est la
véritable mission des militaires russes de plus en plus visibles en
Centrafrique ? Seraient-ils venus suppléer à l’inaction tant de fois
décriée de la force de l’ONU ?
Le
président Touadera a été déçu voire meurtri du départ de la Force Sangaris. Ce
départ est effectivement apparu aux Centrafricains comme bien prématuré,
car la Minusca n'est qu'une opération de maintien de la paix. Or il n'y a guère
de paix. Chaque jour le peuple centrafricain est victime des exactions venant de
toutes parts et pas seulement venant des rébellions étiquetées ex Seleka.
Beaucoup se posent les deux questions. Première question : à quoi servent
les 12 000 Casques bleus alors que la crise s'amplifie ? Deuxième
question : plusieurs autres milliers de Casques bleus changeront -ils la
donne ?
En
remplacement du bouclier militaire français, ni le Rwanda ni l'Angola, ne
pouvaient remplacer la France. La Russie a proposé ses services d'abord en
livrant des armes autorisées par le Conseil de sécurité de l'ONU puis, profitant
de cette opportunité, en mettant à disposition du président Touadera une
protection efficace. L'accord qu'a signé, en octobre 2017, le président
centrafricain avec le ministre russe des Affaires étrangères gagnerait à être
connu des parlementaires centrafricains et de la communauté internationale. Les
rumeurs d'une base militaire russe, géostratégique à Berengo, commence à
inquiéter, pas seulement en Centrafrique.
Touadéra vient de
demander à l’ONU de nouveaux effectifs avec un mandat plus musclé (imposition de
la paix). Une résolution dans ce sens a-t-elle des chances de passer
l’ONU ?
Les
autorités de l'Onu sont sensibles à l'appel du président Touadera afin de
renforcer les effectifs de la Minusca. Les membres du Conseil de sécurité
devraient soutenir cette proposition. Certes, le président Trump a ordonné des
baisses importantes aux subventions des opérations de maintien de la paix et les
États sont de moins en moins disposés à mettre à disposition des effectifs
militaires pour la Minusca.
Et même si une telle
résolution était adoptée, voyez-vous la Minusca s’acquitter d’un tel mandat
?
Le
problème n'est probablement pas dans le curseur des effectifs de la Minusca. Si
ce nombre est important pour le business de guerre avec les importantes
retombées économiques locales avec la manne financière venant de ces expatriés
au fort pouvoir d'achat ce qui permet une bouffée d'oxygène pour l'économie et
l'emploi du pays, en revanche, les milliers de Casques bleus auront toujours
autant de difficultés à éradiquer les rébellions qui poussent comme des
champignons lorsque le terrain y est propice.
Que
suggérez-vous alors ?
Organisation
bureaucratique, l’ONU ne peut pas s'adapter à un contexte bien défini. On
reconduit systématiquement les mêmes remèdes. L'ONU ne peut faire que du
prêt-à-porter et ne sait pas faire le sur-mesure. Une organisation moins rigide
et moins bureaucratique, aurait mutualisé les moyens des Opérations de maintien
de la paix au Soudan, au Soudan du sud, en RDC et en RCA. La crise
centrafricaine est aussi régionale. Au lieu de se contenter d'additionner des
Casques bleus, la préférence aurait été de positionner en des lieux stratégiques
des forces spéciales mixtes avec les forces centrafricaines.
Afin
de couper les finances des groupes rebelles, les sites miniers devraient être
reconquis et les parcours de transhumance protégés avec les moyens aériens. Les
chefs de guerre devraient être arrêtés et jugés par une Cour Pénale Spéciale
toujours pas fonctionnelle en dépit de ses personnels nommés et rémunérés, trois
ans après sa création. Une pression auprès des autorités centrafricaines afin de
retrouver la voie d'une bonne gouvernance était évidemment souhaitable. Tant que
tout cela ne sera pas fait, le statut quo sera conforté.
Et
quel rôle peuvent jouer les pays voisins pour endiguer le réarmement des groupes
rebelles en Centrafrique ?
A
part la frontière naturelle avec la RDC, les frontières de la République
centrafricaine sont surtout pour les cartographes. Il n'y a pas vraiment de
frontières avec les Soudan ce qui expliquent les échanges commerciaux sans
contrôle, les va-et-vient des mouvements rebelles du Darfour, du Bahr el-Ghazal,
de la Vakaga, des deux Kotto et du Bamingui-Bangoran et bien évidemment les
trafics d'armes et tout autre trafic. Les autorités tchadiennes et camerounaises
ont beaucoup de difficultés à contrôler les mouvements criminels transnationaux
à tel point que la surveillance de leur frontière avec la RCA est militarisée.
L'affaire de la tentative de coup d'État contre la Guinée équatoriale illustre
bien la porosité des frontières centrafricaines. Les trafics d'armes sont
également cités dans les deux Mboumou où les populations se réfugient
fréquemment de l'autre côté de la rivière Mboumou, en RDC. Même des membres de
la Minusca sont accusés de trafic d'armes, comme ce fut récemment le cas à
Bangui. Les livraisons d'armes russes sont aussi inquiétantes car les
armureries, sauf à Bangui au camp de Roux, sont à organiser.
Sur
Itv de ce matin donnée aux Suisses, 03 mai
2018