Centrafrique – Démocratie et Placébos.

 

Citation à méditer: « Un des démons de la démocratie est, vous devez vous accomodez de l’homme que vous avez élu que vous le veuilliez ou non. »

-         Will Rogers, humoriste et animateur de spectacle du 20ième siècle.

 

Nous pourrons rassurer sans prétention aucune que nous comprenons parfaitement l’importance du rôle de la communication et des échanges dans la société.  Nous serions également conscients du fait que lorsque des échanges dynamiques, compréhensibles, honnêtes et constructifs étaient en présence, il n’y aurait aucun doute dans notre esprit que des initiatives positives ou des actions bénéfiques pourraient en résulter pour le bien de tous les membres de la société.  Et si en particulier, un environnement qui serait propice à des échanges intelligents et constructifs était établi dans les faits au sein de la société civile, au sein même des associations, au sein des partis politiques et des syndicats, puis entre ces entités et les institutions de la république, alors nous accepterions librement de caractériser ce phénomène de dialogue.  Nous serions alors persuadés que ce dialogue serait nécessaire et incontournable, si la motivation ultime dans l’esprit des citoyens serait celle qui conduirait effectivement le pays vers un développement économique et social, à la fois rapide, harmonieux et durable.  Cependant, nous ne pourrons soutenir que tel serait le but recherché par ceux qui réclameraient la tenue de nouvelles assises d’un autre dialogue national.  Et nos hésitations et nos doutes trouveraient leurs justifications dans ce qui suit.

 

Notons d’abord qu’une première caractérisation des assises d’un dialogue national centrafricain avait été l’irrégularité de sa fréquence, puis son caractère imprédictible, surtout si l’on considère que le modèle serait semblable à celui des assises d’un précédent dialogue national qui avait été tenu à l’époque du gouvernement de transition de Bozizé.  L’autre particularité serait que ces assises d’un dialogue national ne devenaient une urgence et une nécessité que lorsque les chefs des partis politiques dits d’opposition en prenaient seuls la décision.  Cependant, vous remarquerez avec nous que le dialogue national tant sollicité par les grand notables nationaux n’était nullement observé et mis en pratique au sein de certains partis politiques comme le MLPC où depuis, des querelles intestines s’étendraient à perpétuité, depuis les dernières élections présidentielles et législatives.  Les dirigeants politiques et les militants du MLPC avaient eu beaucoup de mal à expliquer cette métamorphose embarassante qui avait fini par donner naissance à un parti bicéphale.  Et nous nous étions demandés une fois encore pourquoi il avait été toujours si aisé de voir la paille dans l’œil du voisin et de ne pas voir la poutre dans son œil à soi?  Ailleurs dans l’arène politique, vous avez certainement été témoins des tiraillements et des coups bas qui avaient suivi la démission du Professeur Goumba à la tête de son parti.  Mais quels amalgames le FPO n’avait pas créé entre les termes parti politique national, propriété familiale, héritage politique, et relève de gardes!   Dans chacun des exemples ci-dessus le dialogue avait été véritablement mal en point, malgré lui.  Il y aurait également des partis qui n’existeraient et dont on réaliserait soudain l’existence par les prises de position circonstanciées et intempestifs de leurs chefs de file, surtout à l’approche des consultations électorales.  Il y aurait également ces partis politiques indépendants sans une base à proprement parlé ou sans militants.  Ce serait le cas des partis politiques où le dialogue serait interne au clan ou n’existerait que dans l’esprit de leurs chefs.  Est-ce que vous pourriez surtout nous dire si vous avez entendu parlé de réunions régulières des militants de base des partis politiques, ou de campagnes d’information politique ou du recrutement de nouveaux membres dans les quartiers de Bangui ou dans les communes de l’arrière pays ?  Mais n’est-ce pas par ce truchement que s’établirait le dialogue profond et les bases solides qui feraient acquérir de manière légitime le qualificatif de national ou qui mériterait réellement la prétention d’évènement national de grande envergure?  En nous limitant à ces anecdotes, serions-nous cependant en droit de demander aux dirigeants des partis politiques quel genre de leçons ils voudraient donner au peuple centrafricain en réclamant le dialogue national, si eux-mêmes avaient beaucoup de peine à faire le ménage dans leurs propres partis en établissant de manière concrète un dialogue franc, constructif et permanent?   Pourquoi donc ces chefs de partis politiques penseraient qu’ils seraient devenus les experts du dialogue national, si les cadres de leurs bureaux politiques et certains militants qu’ils avaient désignés seraient ceux-la mêmes qui avaient été à l’origine des nombreux problèmes du pays et qui avaient mis ou mettraient à mal l’économie du pays?

 

Un autre aspect de la chose consisterait à révéler qu’il existerait bien dans le pays une assemblée nationale et des médias nationaux de communications qui seraient relativement actifs.  Il existerait une liberté de la presse que prônerait le gouvernement, même si de temps en temps les membres de ce même gouvernement se retourneraient et assèneraient des coups de coûteau dans le dos de cette liberté de la presse.   Il y aurait la liberté d’association, et d’autres libertés qui ne demanderaient qu’à être activées.  Tout ensemble, ces institutions et ces libertés qui avaient été issues de la constitution du pays, seraient les canaux par lesquels ce dialogue national devrait s’exercer mutuellement pour le bénéfice des membres de la société centrafricaine.   Ignorer le rôle de l’assemblée nationale et celui des médias ou supprimer une seule des libertés constitueraient des actes contraires à la constitution.  Ce faire transformerait de facto la république en une dictature où toutes les initiatives et les grandes décisions n’émaneraient plus que d’un seul personnage qui se serait affublé le titre de président de la république.  Heureusement, aujourd’hui le fonctionnement de la société centrafricaine et des institutions se réclameraient de la démocratie parce que les citoyens en avaient décidé ainsi.  Cependant, beaucoup resterait à faire quant à ce concerne l’application des principes démocratiques.

 

La constitution existerait donc et établirait une république!  Mais cela n’avait pas empêché certains citoyens de prendre les armes puis d’entrer en rébellion pour renverser le chef d’un régime que le peuple avait élu.  En consultant la chronique des évènements politiques importants du pays, l’on remarquerait que les médias nationaux ou internationaux n’avaient jamais révélé l’existence de contacts ou de tentatives de pourparlers engagés entre un chef de parti politique centrafricain dit d’opposition et un chef rebelle dans le nord du pays, qui aurait pour but de rechercher le rétablissement du dialogue entre cette rébellion et le gouvernement central.  Nous avons trouvé cela très curieux dans une société de grands notables qui seraient réellement soucieux de l’avenir du pays.  Si le dialogue devrait exister entre les différentes composantes politiques dans le souci de rétablir la paix et la sécurité dans le pays, nous voudrions bien savoir pourquoi ces chefs de partis politiques ne s’étaient jamais manifestés ou n’avaient jamais rencontré ces chefs rébelles pour discuter de certaines préoccupations liées à la securité des citoyens?  Est-ce que le souci de paix nationale ne serait que la seule prérogative de Bozizé?  Mais pourquoi donc le dialogue ne s’établirait pas en premier entre les partis politiques pour étouffer dans l’œuf toute idée de rébellion armée dans le pays?

 

La constitution existerait donc!  Cependant en lisant les grandes déclarations des partis politiques dits d’opposition, nous serions tentés de comprendre qu’une nouvelle institution en dehors de celles définies dans la constitution serait en train de se substituer à une assemblée nationale.  Cette nouvelle institution serait les assises du dialogue national ou simplement appelée dialogue national.  Serait-ce en opérant des substitutions que les politiciens renforceront l’efficacité des institutions de la république?  Mais quels seraient réellement les rôles d’une assemblée nationale et des députés que le peuple avait élus?  Pourquoi donc cette liste des préoccupations convoquant les assises d’un dialogue national n’avait pas été remise, prise en compte, puis débattu en urgence au sein de cette assemblée nationale des députés, afin d’opérer des pressions sur Bozizé et son gouvernement, et qui apporteraient des solutions rapides et permanentes?  Est-ce que les partis politiques avaient essayé d’engager le dialogue avec les (leurs) députés?   Avaient-ils essayé d’exercer toutes les pressions possibles pour établir un dialogue permanent en recherchant des appuis dans le pays ou a l’extérieur?  Sinon, quelles avaient été les raisons qui les en avaient empêché ?  Si les députés et l’assemblée nationale ne joueraient plus leurs rôles, est-ce que les citoyens devraient demander de nouvelles élections législatives immédiates qui pourraient mettre en place de nouveaux représentants du peuple, plus dynamiques et capables de se préoccuper du maintien d’un dialogue véritablement national et permanent?  Est-ce que le peuple et la société nationale n’auraient plus besoin des députés, mais voudraient plutôt des délégués choisis pour participer une fois de temps en temps aux assises d’un dialogue national?  Est-ce que cela serait la nouvelle trouvaille de la politique nationale que tous espèrent pourrait apporter des changements positifs?

 

Selon nous les solutions aux problèmes du pays arriveraient en partie par la reconnaissance de la légitimité véritable des nombreuses institutions démocratiques du pays, par l’application à la lettre des principes et des procédures, par l’éducation civique des citoyens, par le renforcement des capacités institutionnelles, et par un débat ouvert, public et permanent.  Il y aurait de nombreux maux dans le pays qu’ensemble les enfants du pays voudraient éradiquer.  Tout le monde et chaque centrafricain auraient voulu être le mêdecin auprès de ce grand pays malade, capable d’établir un diagnostique sans complaisance et qui serait approuvé par les autres collègues médecins.  Le médecin soignant aurait à sa disposition une large gamme de médicaments, susceptibles de traiter les maux dont souffre le malade.  Cependant, si au lieu d’exécuter un protocole de traitement approuvé par le corps des médecins et qui avait fait ses preuves, le médecin administrait au malade une autre potion qui n’avait pas fait ses preuves, alors les pronostiques d’une guérison rapide du grand malade seraient difficiles à établir, à cause du traitement non confirmé, de toutes les incertitudes, et des effets secondaires non identifiés à propos du nouveau traitement.

 

Nos propos ici ne seraient nullement destinés à manquer de respect à quiconque.  Cependant, nous avons voulu exprimer nos appréhensions et nos doutes au sujet des solutions que les politiciens avaient proposées pour résoudre les problèmes pressants de la Centrafrique.  Nous avons peur du tort que les fils et les filles du pays causeraient intentionnellement ou non à la Centrafrique.  Surtout, nous craignons que les rébellions ne se substituent aux élections démocratiques. Nous craignons que la tenue des assises d’un dialogue national ne se substitue à l’assemblée nationale.  Proposer ces substitutions seraient  avouer tout bas l’échec du processus démocratique en Centrafrique.  Soutenir une substitution quelconque serait équivalant à transmettre aux prochaines générations toutes les responsabilités que leurs pères et leurs mères, aujourd’hui, avaient été incapables de pleinement assumer.   Les partis politiques et toute la société civile centrafricaine devraient plutôt identifier les causes profondes des vrais problèmes et les résoudre méthodiquement.  Aussi curieux que cela puisse paraître, les placébos pourraient apporter la guérison du malade, mais ils n’éradiquent pas les maux.   Pour ce qui nous concerne la convocation de nouvelles assises du dialogue national serait un placébo.

 

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique