Est-ce que ces problèmes centrafricains seraient une malédiction?

 

Sans consulter une quelconque divinité, la réponse à cette question aurait nécessité des entretiens soutenus avec les centrafricains eux-mêmes, avec des notables, des retraités, avec des observateurs politiques, des journalistes, avec le personnel expatrié des institutions d’assistance technique dans le pays, avec d’anciens fonctionnaires coopérants aux origines diverses, ou encore avec des hommes, des femmes et des jeunes dans la Centrafrique profonde.  Mais disons le tout de suite, notre intention n’est pas de rédiger un rapport qui révélerait toute la vérité sur les crises dans le pays.  Nous voudrions par contre soulever des questions difficiles et délicates, embarrassantes peut-être selon le camp auquel l’on appartiendrait, mais dont les réponses sincères et franches, proposées par tous ceux que nous avons cités plus haut, pourraient faire la lumière sur ce que nous appellerons les maux profonds ou les éternels obstacles à l’émancipation de la société centrafricaine.

 

Pour établir un contexte, nous préciserons que la génération qui est la nôtre, correspondrait à celle de tout ceux et de toute celles qui étaient nés, une décennie ou deux avant les indépendances accordées par la France à ses anciens comptoirs d’Afrique.  Pour préciser le lieu, nous nous limiterons exclusivement au cas de cet ancien territoire que l’on avait appelé Oubangui-Chari, et qui faisait partie des colonies de l’Afrique Equatoriale Française.  Bien que cette petite introduction du lieu aurait largement suffi, nous aurions voulu un peu plus, et pourrions insister et poser la question de savoir ce que c’était que l’Oubangui-Chari.  A cette question que l’on pourrait considérer plutôt comme élémentaire, les lecteurs apporteraient des réponses correctes et variées, liées soit à la délimitation géographique de cet espace par rapport à d’autres dans cette région centrale d’Afrique, soit à son relief, à sa végétation, à sa population, à son organisation féodale, et enfin à certaines caractéristiques de l’administration historique dudit territoire. Ces réponses avaient été faciles, surtout pour ceux ou celles qui avaient toujours en mémoire les souvenirs des leçons apprises au cours de leur scolarisation ou des études faites dans le pays ou ailleurs.  Ces réponses ayant satisfait, posons d’autres questions, plus intéressantes du genre pourquoi Boganda, Goumba, Maléyombo et d’autres leaders politiques et syndicaux avaient décidé de réclamer, puis avaient obtenu l’indépendance particulière de l’Oubangui-Chari vis à vis de la Métropole?  Est-ce que les leaders oubanguiens comme on les appelait, ne s’étaient pas laissés entraîner dans un mouvement anti-colonial de ras-le-bol qu’ils ne contrôlaient pas, et qui avait emporté les territoires dans un tsunami?  Est-ce que ce mouvement de revendication et d’accord d’indépendance avait correspondu à une soudaine prise de conscience d’un droit particulier par les oubanguiens ou simplement à un acte de contrition de la part de la métropole?  Est-ce que cette revendication avait été considérée comme une demande légitime de compensation pour les services rendus par les tirailleurs oubanguiens à la fin des hostilités en Europe?  Est-ce que les leaders oubanguiens s’étaient demandés si l’Oubangui-Chari avait été prêt à assumer pleinement les conséquences et les responsabilités qui résulteraient de cette indépendance du territoire?  Est-ce que les leaders avaient réellement pensé aux exigences, aux besoins et aux destinés de toutes les couches sociales et avaient réellement pris en compte la diversité de la population du territoire?  Mais, plus d’un demi-siècle s’était écoulé après l’accès à l’indépendance, et, ces mêmes questions ne demeureraient-elles toujours pas d’actualité en République Centrafricaine?

 

Puis au niveau des individus, nous pourrions aussi nous demander si chaque leader oubanguien ne s’était pas plutôt préoccupé du gain personnel que celui-ci tirerait de la carte d’indépendance, de l’acquisition de ce nouveau droit, et par conséquent de ce nouveau pouvoir remis aux autochtones?  Est-ce que les leaders oubanguiens n’avaient pas considéré ce nouveau pouvoir comme un gain personnel, qu’ils avaient mérité et dont eux seuls et leur descendance directe devraient en savourer la douceur?  Est-ce que toute l’histoire de la Centrafrique n’avait pas montré que ces leaders politiques ou syndicaux s’étaient réservés les postes et les emplois privilégiés dans les institutions du pays comme s’il s’agissait de leur chasse gardée?  Ouvrons ici une parenthèse pour illustrer nos propos. Vous souvenez-vous d’une époque récente quand un premier ministre avait réservé la majorité des fonctions de la primature aux membres de sa tribu?  Ceci dit, est-ce que nous pourrions citer parmi ces leaders politiques ou syndicaux, un seul qui avait voulu donner un modèle d’influence autre que politique et qui avait guidé les générations présentes et les prochaines?  Combien parmi ces politiciens, ces syndicalistes, ces militaires et ces rebelles, aujourd’hui, avaient voulu être un modèle d’entrepreneur, et qui s’étaient pleinement voués au développement d’activités économiques dans des domaines tels le commerce, l’agriculture, l’élevage, la pêche ou le transport?  Puis, tout le monde avait semblé être surpris d’entendre Bozizé avouer que les caisses de l’état étaient vides.  Mais n’est-ce pas un résultat logique quand tous les politiciens, les syndicalistes, les militaires et les rebelles ne pensent au pouvoir que pour les privilèges matériels, personnels et immédiats qu’ils en tireraient?  N’est-ce pas ce que le pays récolterait si ceux-ci n’avaient pas été convaincus qu’il était nécessaire de discuter ensemble et démocratiquement de politiques véritablement économiques et sociales qui donneraient du travail à tous les centrafricains et qui profiteraient à tous les citoyens dans le long terme?

 

Enfin, toutes ces questions que nous avons volontairement soulevées poseraient le problème de la véritable motivation des leaders politiques ou syndicaux, des militaires, ou encore des rebelles, passés ou présents dans le pays. Vous auriez certainement observé que les leaders politiques, les leaders syndicaux , et les militaires en Centrafrique voudraient uniquement s’accaparer du pouvoir, afin de mettre en place leurs combines ou businesses, lucratifs, en organisant personnellement, sous des prête-noms et sans effrontement la corruption, le trafic d’influence, les fraudes fiscales, des intimidations et des meurtres qui n’étaient que la partie visible de l’iceberg des maux du pays, cependant des maux qui étaient plus profonds.  Avant d’arriver au pouvoir à Bangui, aucun d’entre eux n’avaient été propriétaire d’une entreprise légitime dans un secteur privé quelconque, établie avec des fonds privés, et qui avait créé véritablement des emplois pour les centrafricains dans le pays.  Les exemples avaient montré que c’était uniquement lorsque leur parti était au pouvoir à Bangui, que soudain ces leaders se découvraient des vocations d’entrepreneurs avec des fonds provenant de la corruption ou des détournements des biens de l’état.  Qu’avait voulu ou que voulait ce monde de politiciens des partis que nous qualifierons d’opportunistes et instantanés, si ce n’était de s’acharner par tous le moyens possibles pour prendre le pouvoir à Bangui et utiliser gracieusement les richesses abondantes du pays pour assouvir leurs petits désirs de paraître plus importants que tous les autres?  Et ceux là étaient les mêmes qui déclaraient qu’il n’y avait plus d’argent dans les caisses de l’état.  Mais, avaient-ils oublié qu’établir des stratégies et des plans d’action pour renflouer les caisses de l’état, et, qu’utiliser ces ressources pour satisfaire les besoins des citoyens, était la mission principale à laquelle le président de la république, ses ministres et les députés devraient s’atteler et réussir à tout prix?  Ne savaient-ils pas que cela devrait être une question de principe et un point d’honneur pour chacun d’eux et pour la Centrafrique?  Pourquoi donc cette situation de misère des centrafricains perdurerait-elle depuis des décennies?  Est-ce que tout ces politiciens, ces syndicalistes et ces militaires avaient oublié quelle population il devaient servir?  Est-ce qu’être au service de l’état centrafricain et au service des citoyens s’étaient transformés en affaires privées?  Est-ce qu’ils n’avaient jamais lu ou appris tous ces principes de fonctionnement de l’état ?  Ou est-ce que tous ces problèmes centrafricains seraient des problèmes nés des incompétences de ceux qui se voulaient les leaders du pays?

 

Dans le même élan, l’on pourrait demander à ces hommes politiques pourquoi avaient-ils décidé de continuer à adopter le modèle républicain hérité de la France?  Pourquoi le chef de l’état centrafricain ne se déclarerait-il pas simplement grand chef de terre et aurait droit de vie ou de mort sur ses sujets?  Pourquoi le MESAN avait décidé d’écarter les leaders politiques des autres partis politiques de la gestion des affaires de l’Etat?  Pourquoi les leaders politiques du MESAN avait décidé d’organiser une armée nationale quand dans la région il n’y avait aucune hostilité entre les nouveaux états indépendants d’Afrique Centrale?  Si une réponse à cette dernière question devrait s’articuler autour de la notion de souveraineté nationale, l’on pourrait se demander jusqu’à quel point le pays devrait payer le prix cher de l’entretien d’une armée nationale quand l’administration publique, elle-même, arrive avec beaucoup de peine à payer régulièrement les salaires de ses fonctionnaires?  Mais avez-vous observé jusqu'à quel point l’armée nationale n’avait jamais construit une école publique pour les enfants, ni un seul dispensaire pour les malades de Paoua, ni un seul pont dans le pays ou encore n’avait jamais remporté d’elle-même une bataille militaire quelconque?   Mieux encore, vous souvenez-vous des origines des assassinats à Bangui, puis de l’exil massif des centrafricains vers le Congo Démocratique voisin et ailleurs?  Qui donc en avait été responsable?  Quelle justice avait été rendue pour tout ceux et toute celles qui avaient été victimes des exactions des éléments de telle ou telle garde présidentielle, des militaires de telle ou telle région militaire? 

 

D’autres questions encore qui nous viendraient à l’esprit seraient par exemple de savoir les raisons personnelles qui avaient poussé Bokassa à organiser son coup d’état de la Saint-Sylvestre?  Pourquoi le MESAN et le peuple centrafricain avait accepté la création, à contre courant, d’un empire où régnait la tyrannie ?  Est-ce que les cérémonies de couronnement avaient été les seules raisons des arriérés de salaires, des arriérés de pensions et du non paiement des bourses d’études qui courent toujours?  Est-ce que de nombreux centrafricains, fonctionnaires ou pas,  à tous les niveaux n’avaient pas, eux aussi, contribué au tarissement des caisses de l’état, en organisant des fraudes en tout genre pour détourner les fonds de l’état?  Pourquoi le pays avait-il laissé le RDC, puis le MLPC et leurs leaders ériger leurs régimes en système qui était devenu chaque fois impopulaire parce qu’il ne servait plus le peuple?  Pourquoi le pays avait-il vu l’éclosion soudaine d’une cinquantaine de partis politiques couscous?  Que voulaient tous ces chefs de parti?  Qu’est que chacun de ces nouveaux partis avait apporté de nouveau et d’enrichissant à  la vie politique dans le pays?  Rien!  Si, une chose, le débat national ou le dialogue national souverain et inclusif ou encore les rébellions du nord!  Pourquoi les syndicats et les groupements syndicaux avaient également échoué dans leur mouvement de protection des intérêts des travailleurs centrafricains?   Pourquoi les syndicats avaient toujours échoué dans les négociations salariales avec le gouvernement qui leur offrait chaque fois des miettes?  A cette question particulière la réponse serait simple selon nous. C’était parce que les leaders syndicaux n’avaient jamais pensé d’eux-mêmes, puis offert des propositions de solution, solides et faisables pour résoudre cette grave crise sociale.  Tous et chacun avaient toujours pensé que la solution devrait venir du gouvernement.  Mais est-ce que vous vous souvenez du nom de ce premier ministre qui avait enfin trouvé la solution définitive aux arriérés des salaires et des pensions?  La réponse serait négative, parce c’est une blague qu’un jour les centrafricains diront en plaisantant.

 

Ce que nous avons énoncé à propos de modèle de régime politique, soulèverait une question beaucoup plus fondamentale.  Pourquoi vouloir copier un modèle d’organisation politique si dans la réalité les pouvoirs politiques, montés de toutes pièces, refuseraient d’appliquer à la lettre les prescriptions qu’ils avaient fait semblant d’endosser?  Par exemple, pourquoi feindre d’avoir une démocratie quand le système judiciaire ne fonctionne plus pour établir, affirmer et protéger les droits des citoyens?  Parlant de justice, pourquoi le gouvernement de Bozizé et les députés de l’assemblée nationale avaient accepté de se faire payer des salaires et des honoraires confortables quand les réclamations salariales des fonctionnaires ne trouvent aucune conclusion raisonnable et satisfaisante depuis?  Mais quel serait donc le rôle du gouvernement de Bozizé, si celui-ci ne résout pas ces problèmes anciens d’arriérés de salaires et de pensions, puis ceux relatifs à l’insécurité dans le pays, et d’autres?  N’est-ce pas parce que le peuple les avait crus compétents que celui-ci avait choisi un président de la république et des députés pour gérer les grandes affaires du pays?  Si les critères de compétence et de responsabilité n’avaient pas été réellement pris en compte par le peuple au cours des dernières élections, il n’y aurait donc pas lieu de s’étonner des résultats sociaux et économiques misérables que présentent le gouvernement de Bozizé et les députés.  Mais les syndicalistes n’avaient pas été eux-aussi, ceux qui avaient milité dans les rassemblements couscous comme le KNK et autre, puis avaient élu Bozizé et les députés qui leur servent aujourd’hui la misère?  Mais alors pourquoi se plaignent-ils aujourd’hui?

 

Notre conclusion serait la suivante. Parce le citoyen centrafricain n’avait pas réfléchi à toutes ces questions, puis à d’autres du genre, parce chaque citoyen n’avait pas compris le sens des mots patriotisme, civisme et état, et parce que chaque politicien, fonctionnaire ou pas, syndicaliste ou pas, civile ou pas, n’avait pas compris l’importance d’être au service de ses concitoyens et de servir effectivement et en priorité les intérêts de son pays, alors il faudra attendre longtemps encore l’émergence d’une nouvelle génération de véritables citoyens pour résoudre les grands problèmes du pays.  L’autre option avait été d’attendre hier – oui, hier – que les présidents des pays amis voisins, des experts et conseillers onusiens ou des envahisseurs étrangers dictent diplomatiquement au gouvernement de Bozizé ou au peuple centrafricain ce qu’il conviendrait de faire pour construire la Centrafrique.  Si les enfants de la Centrafrique, ensemble, ne savent pas trouver les véritables réponses à toutes ces questions et s’ils ne cherchent pas ardemment les bonnes solutions à tous ces problèmes chroniques du pays, peut-être que plus facilement, ils sauront alors qui blâmer.

 

 

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique (14 mars 2008)