Le Président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme, Maître Nganatoua Wanfio Goungaye, est mort : témoignages et points de vue

 


 

Hommage de Jean-Pierre  REDJEKRA en mémoire de Maître GOUNGAYE Nganatoua Wanfiyo, militant des droits de l’Homme

 

Cayenne, le 29 décembre 2008

 

Lors du 1er congrès ordinaire de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme LCDH en 1994 à Bangui, j’étais rapporteur des assises  qui se sont déroulées au palais de l’actuelle CEMAC. C’est à cette occasion que j’ai rencontré pour la première fois Me GOUNGAYE. Dans le sillage de Me TIANGAYE alors président de notre jeune ligue, j’ai découvert d’abord le militant avant de repérer ensuite celui qui était aussi avocat, venu du barreau de Grenoble en Isère.

 

Nous avions passionnément abordé les thèmes des instruments internationaux, régionaux et nationaux en matière de droits humains. Il était question de faire prévaloir les droits des gens, après l’alternance démocratique d’octobre 1993. L’accession au pouvoir paraissait une fin en soi pour certains, alors que pour nous militants des droits de l’homme, la vigilance était de mise. La dimension africaine ou du moins la teinture conceptuelle africaine des droits, avait fait l’objet de débats passionnels. Nous avions aussi appréhendé les réalités du terrain de notre pays en matière pénitentiaire, de conception par les politiques de ce que représentaient à leurs yeux le combat que nous menions !

 

Je me souviens comme si c’était hier des contributions de Me GOUNGAYE aujourd’hui disparu tragiquement de nos rangs, mais aussi celles du défunt Alphonse BLAGUE sur les droits des peuples, celle du Magistrat BIDOUMI sur la question de la preuve dans les procès s’appuyant sur des accusations en sorcellerie, ou encore celle du Sociologue Isaac BENGUEMALET sur la charte africaine des droits…

 

Je me souviens également quelques mois après de l’extrême disponibilité de Me GOUNGAYE a m’aidé en Europe, pour trouver les chemins d’une insertion professionnelle rapide en France, tant  dans le milieu universitaire que judiciaire. J’étais « le compatriote» qui le sollicitait par correspondance interposée, très régulièrement. J’avais droit à une réponse rédigée en bonne et due forme!

 

Je me suis rendu à Grenoble en 1996, où il m’avait fait visiter avec modestie et simplicité, son cabinet, en collaboration avec un autre africain de nationalité tunisienne, Maître LATIF BOULKERTOUS ! C’est à ce moment qu’il me confia son projet de rentrer dès que possible au pays. C’était la bataille pour la justice et les droits de l’homme qui constituait sa fibre professionnelle et militante, tout le sens de sa vie. A vrai dire, il s’empressait de réunir les conditions matérielles à minima, avant de revenir s’installer en Centrafrique.

 

Quelques semaines après cette rencontre et cette confidence, éclatait la première mutinerie. De jeunes sous officiers dirigeaient la révolte des casernes. Nous nous sommes naturellement contactés afin de prendre position et c’est à moment que j’ai dû faire les intermédiaires entre Me GOUNGAYE que nous pleurons aujourd’hui et Claude LENGA, un autre grand frère dans la lutte. Nous avions diffusé un communiqué que j’ai retrouvé récemment en rangeant mes archives. Dans ce document, nous condamnions sans ambiguïté le recours à la force, comme moyen de revendication sociopolitique, tout en insistant à la demande de Me GOUNGAYE sur deux choses : d’une part la nécessité du dialogue, et d’autre part la légitimité d’exiger d’un gouvernement issu des urnes, de réaliser des résultats probants pour le peuple. C’est le fil conducteur de l’engagement sans faille de Wanfiyo durant ses 12 années qui s’achèvent, alors que l’Homme était dans le feu de l’action ! Celles et ceux qui l’on côtoyé lors du DPI pourront l’exprimer mieux que moi !

 

Dans le Collectif des Centrafricains en France sous la direction de Sylvain DEMANGOH, ou lorsque je fondais la représentation du MDI-PS en France, ou encore durant tous les soubresauts des deux mandats du président PATASSE et enfin dans le cadre du Manifeste pour l’organisation d’un Dialogue Politique Inclusif dont il fut le premier signataire puis le coordonnateur, nos trajectoires se sont souvent croisées, sans  concertation préalable.

 

La dernière fois où nous nous sommes vus, j’ai juste eu une demi-heure pour lui témoigné ma reconnaissance pour le travail de fonds qu’il avait commencé à abattre ! Wanfiyo était l’un des rares de la diaspora à être rentré au pays pour une action salvatrice, pour la promotion de la démocratie et des droits humains. Son action a été incontestablement positive, d’envergure et son énergie constructive transparaissait auprès de ses interlocuteurs. Son action doit être poursuivie, amplifiée, et nous devons vivre cela désormais comme un héritage philosophique et un engagement à prolonger. Les conditions de sa disparition interroge sur le devenir de la terre centrafricaine qui telle Sisyphe  dans l’antiquité grecque mangeait ses enfants sans s’arrêter indéfiniment…

 

En septembre dernier lorsqu’il a été inquiété, j’ai considéré comme beaucoup d’entre vous que sa vie était en danger, et surtout que le combat pour la démocratie, la dignité des gens et leur intégrité devenait plus que d’actualité. Son implication malgré nos craintes, n’a pas varié d’un iota, bien au contraire ! J’ai signé le manifeste dès lors qu’apparaissait la nécessité du DPI, et son positionnement avant-gardiste, était un gage de sérieux et de crédibilité de la démarche. Me GOUNGAYE avait le souci lors de ce DPI de l’intérêt supérieur de la nation et semblait voire se parachever un long processus, dans lequel il  a pris une part conséquente, mesurée  et responsable, en tant que digne fils de ce pays !

 

L’Homme était tout aussi affable et rigoureux. Son sens de la courtoisie ne rimait pas avec la complaisance. Ponctuel lors de ses rendez-vous, il était respectueux de la parole donnée. Combien de fois n’avait-il pas payé de ses propres deniers un billet de train Grenoble-Paris-Grenoble, pour venir partager nos convictions, avec des compatriotes déchirés par le clanisme et l’esprit partisan !

 

Si son patriotisme était débordant et son humanisme incontestable, il était en même temps empreint d’une grande humilité. J’insiste sur ce dernier point car c’est quelque chose qui manque beaucoup parmi nous. Il avait aussi une capacité d’écoute malgré une forte imprégnation de ses convictions démocratiques et « droit de l’hommiste ». Il se désintéressait de l’apparat et du superflu…

 

Le moment où il nous quitte est le pire, car comme disait un de mes proches ayant appris sa mort : « il est parti parce qu’il portait en lui les valeurs et les convictions indispensables aux changements, aux évolutions positives ».  Au sortir du DPI, que de compromis pour tenter d’instaurer une dynamique de paix et une amorce de justice, avant une future prospérité hypothétique bénéficiant à tous ! C’est maintenant plus qu’hier que nous avions besoin de sa clairvoyance et de son courage.

 

Je crois comme BIRAGO DIOP que « les morts ne sont pas morts » et que notre compatriote, ami et frère est passé du côté « du souffle et des esprits des ancêtres » pour insuffler aux générations à venir, la justesse et l’éternité du combat, pour la réalisation et le respect des droits de l’Homme. Puisse notre faculté de droit et bien d’autres niveaux d’enseignements, consacrés davantage de temps et de place, au travail d’éducation aux valeurs atemporelles et universelles, que sont les droits humains.

 

Wanfiyo ton combat restera gravé dans nos mémoires, dans la mémoire !

 

Courage à Euphrasie et aux enfants. Que notre terre te soit légère, au revoir !

 

 

 

 

Adieu à Goungaye Wanfiyo de  Martin Ziguélé

 

29 décembre 2008

 

 

Bonjour Camarades, 

 

Inutile de vous dire toute la peine qui est la mienne depuis que j'ai appris hier la disparition tragique de mon frère cadet Jérémie Goungaye Wanfiyo.

 

Il m'avait rejoint, ainsi que d'autres frères, au Petit séminaire Saint Jean de Bossangoa en 1970-1971. On l'appelait très affectueusement "Moineau". Quand je l'ai revu en 2001 depuis notre séparation en 1972, et que je l'ai appelé "Jérémie", il m'a repondu" Martin, tu es l'une des rares personnes à m'appeler encore Jérémie" et je lui ai retorqué "Parce que pour moi tu seras toujours Jérémie Wanfiyo".

 

J'ai les larmes aux yeux quand je vois combien le destin est cruel, dur et froid avec les hommes de bonne volonté. On dirait que notre terre centrafricaine n'ouvre ses entrailles que pour les meilleurs de ses enfants. Cela a commencé avec Boganda et cela perdure. Et ce coup de tonnerre juste après ce DPI pour lequel il s'est tant battu!

 

Dieu d'Israël, Dieu de Justice, jusques à quand devons nous continuer à pleurer?

 

Miserere nobis!

 

Jérémie, tu ne fais que nous précéder tous. A cause de ces hyènes qui ricanent certainement sous cape, nous devons continuer la lutte en ta mémoire.

 

Vas, cadet, que la terre de nos aïeux te soit légère!

 

Ton aîné Martin

 

 

 

 

La naissance d’un martyr, un de plus en Afrique (Maître Goungaye Wanfiyo)

 

29 décembre 2008

Juliette Abandokwe 

 

Les témoignages attristés se multiplient parmi les centrafricains. La communauté internationale reste silencieuse. Le Centrafrique, et l’Afrique, sont les seuls à mesurer l’étendue de cette perte incommensurable.

 

Maître Goungaye Wanfiyo est devenu un martyr en ce petit matin du 28 décembre 2008. Il s’est envolé comme un ange, et dorénavant son étoile brillera à jamais au firmament. Dieu, non seulement a eu pitié de son âme, mais l’a d’ores et déjà accueilli à ses côtés. De là où il est, il nous voit, et il nous entend, il sera toujours dans nos cœurs immensément endoloris. La disparition brutale d'un homme aussi jeune, compréhensif, compétent et humaniste laisse un vide qui ne pourra jamais se combler. C'est une grande perte pour la cause des droits de l'Homme, pour la justice, pour le combat démocratique que nous menons ensemble depuis 1996, pour la RCA et pour l'Afrique.

 

Notre devoir de mémoire envers un homme profondément épris de Justice est dorénavant éternel. Néanmoins la recherche d’une vérité évidente ne devra pas masquer les véritables enjeux renouvelés par sa mort, soit une vraie justice enfin en Centrafrique. Les actions futures devront à l’avenir être menées avec d’autant plus d’énergie et de dynamisme à toute épreuve.

 

Peu d’entre nous croient à un simple fait du hasard, sachant que Maître Nganatouwa Wanfiyo travaillait sans relâche sur la mise en lumière des crimes commis contre le peuple centrafricain depuis l’avènement de Patassé jusqu’à aujourd’hui. Le Hasard n’existe pas mes amis. Et les preuves contre les principaux commanditaires des meurtres dans le nord et le nord-est du Centrafrique, réunis autour du gâteau juteux représenté par le désormais morbide Dialogue Politique, s’accumulaient de manière exponentielle avec l’aide de notre Ami et Frère disparu aujourd’hui.

 

C’est donc un triple meurtre qui a été commis, car mis à part Maître Wanfiyo, c’est la mémoire des victimes assassinées par une classe politique entière que nous devons pleurer aujourd’hui. En faisant disparaître le digne représentant de la société civile centrafricaine, c’est également la voix du peuple centrafricain qui a été condamnée au silence.

 

Car personne ne pourra jamais nous faire croire que le fameux camion que maitre Wanfiyo a percuté, était arrêté sur un virage d’une route nationale par hasard. La violence du choc, tuant trois occupants sur quatre, montre que les circonstances de l’accident ne sont pas une simple collision avec « un camion mal garé dans un virage ». C’est prendre les gens pour des imbéciles que de disperser une telle version simplifiée des faits. Et même si les circonstances ne seront jamais éclaircies, nous savons dans notre âme et conscience que Monsieur Wanfiyo n’a été la victime que d’un simple et lâche meurtre, prouvant une nouvelle fois la totale absente de volonté politique pour le bien du peuple par le régime prédateur et sanguinaire de Bozizé.

 

Tout le monde le connaissait pour sa droiture et son indépendance. Il n’avait pas peur des mots et n’épargnait personne. Le régime de Patassé n’a jamais été ménagé, et c’est pendant sa récolte à l’intérieur du pays des témoignages de victimes des banyamulenge de Jean-Pierre Bemba, allié de l’ancien président, que Wanfiyo est mort.

 

Le Général-Président Bozizé n’a pas non plus été épargné par l’infatigable insistance du Président de la Ligue centrafricaine des Droits de l’Homme dans la mise en lumière sans relâche des jeux malfaisant d’une classe politique véreuse et prédatrice à outrance, avec un pouvoir verbal qui forçait le respect et l’intimidation. Un vulgaire butin de guerre, voilà ce qu’à ces yeux le Centrafrique était devenu pour Bozizé et son clan. Les rebelles et les militaires, semeurs de mort parmi les populations du nord étaient également dans son collimateur de dénonciation.

Autour de la table du Dialogue politique terminé il y a une semaine, il a été le seul à se porter garant pour la mémoire des victimes des massacres en tout genre. Son franc-parler lui avait donc valu bon nombre d’ennemis, notamment au sein de la classe politique entourant le chef de l’Etat.

 

Il disait qu’il ne se tairait jamais, et dans un climat de menaces répétées à son encontre, Maître Goungaye vivait donc une chronique de mort annoncée. Un assassinat politique, déguisé en accident de voiture, le matin du 28 décembre 2008, a donc eu raison de son verbe et de son combat, qui reste désormais celui de tout centrafricain qui se réclame comme tel.

 

Un grand Homme pétri des idéaux de tout un peuple est tombé au champ d’honneur. Un artisan pour un véritable changement de la société et de la mentalité centrafricaine. 

Si nous avons là perdu très gravement une bataille, nous ne pouvons pas leur laisser gagner la guerre.

 

Les semeurs de mort pensent qu’ils ne seront plus inquiétés. Ils se trompent. Puisqu’ils changent de langage, ils ne bénéficieront qu’à court terme de ce changement. Qui vivra verra. La lutte politique contre un martyr n’est pas une chose gagnée d’avance.

 

Qui sème le vent, récolte la tempête.


Maître Nganatoua Wanfio Goungaye, Président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme, a été tué dimanche matin 28 décembre 2008 dans un accident de la circulation à Damara, à 75 km de Bangui (infos et points de vue)