République centrafricaine :
débloquer le dialogue politique inclusif (Synthèse)
Briefing Afrique N°55
9 décembre
2008
SYNTHESE
A aucun moment depuis le coup d’Etat
du 15 mars 2003, qui a porté au pouvoir l’actuel président François Bozizé, le
risque d’une généralisation de la violence en Centrafrique n’a été aussi grand
qu’aujourd’hui. Alors que l’ouverture d’un dialogue politique inclusif le 8
décembre – initialement prévue pour juin 2008 – continue de se négocier pied à
pied, tant le régime en place que les principales forces d’opposition préparent,
en fait, le recours à la lutte armée comme ultima ratio d’une sortie de crise.
Une réelle démocratisation et une réforme de l’Etat semblent possibles si les
acteurs centrafricains arrivent à surmonter leurs désaccords d’une manière
consensuelle et s’abstiennent de recourir à la violence pour accéder au pouvoir
ou pour le garder. Le dialogue politique inclusif doit impérativement être
recentré sur l’organisation des élections en 2010 et la négociation d’un
mécanisme crédible de justice transitionnelle. Afin d’éviter une nouvelle prise
de pouvoir par la force, le gouvernement centrafricain doit conduire à terme la
réforme du secteur de sécurité et permettre un processus équitable d’intégration
des forces rebelles dans les services de sécurité.
Plus que jamais l’otage d’un premier
cercle de parents et de partisans jusqu’au-boutistes, le président Bozizé refuse
les concessions indispensables à une véritable démocratisation en République
centrafricaine (RCA). En vue de sa réélection en 2010, il use de l’amnistie
générale, promise dans les accords de paix avec les mouvements rebelles, comme
d’une arme d’exclusion. En même temps, il octroie l’impunité à ses propres
forces, coupables de graves exactions, et tente d’enrayer l’action de
la Cour pénale
internationale (CPI) qu’il avait pourtant lui-même saisie en décembre 2004.
A l’exception de l’ancien premier
ministre Martin Ziguélé, dont l’emprise sur le plus important parti
d’opposition est fragilisée par une rébellion dans le fief du Mouvement de
libération du peuple centrafricain (MLPC), ainsi que par l’ombre tutélaire de
l’ex-président Ange-Félix Patassé, les principaux adversaires du général Bozizé
conçoivent en effet le dialogue politique inclusif comme un moyen de changement
de régime. Depuis que le principe du dialogue a été concédé par le pouvoir en
place, en décembre 2006, ils espèrent le transformer en une conférence nationale
souveraine, c’est-à-dire en Assemblée constituante ad hoc pouvant décider de la
destitution du chef de l’Etat. A tout le moins, ils comptent arracher la mise en
place d’un gouvernement de transition sous leur conduite pour préparer le
scrutin de 2010 dans des conditions qui leur seraient favorables.
La communauté internationale porte
aussi sa part de responsabilité dans la dévaluation du dialogue inclusif. En
organisant les états généraux des forces armées au début de l’année 2008, les
bailleurs de fonds ont vidé le dialogue national de sa substance sécuritaire,
qui est pourtant au cœur de la crise centrafricaine. Plus généralement, la
communauté internationale paye aujourd’hui le prix de sa complaisance en matière
de démocratisation : disposée à renoncer à la réconciliation en échange du
simple désarmement, elle encourage de facto de nouvelles insurrections en
accordant des concessions sans contrepartie aux chefs de guerre prêts à
réinvestir le champ de la légalité.
Dans ce contexte, la décision que le
Conseil de sécurité des Nations unies doit prendre en décembre 2008, au sujet de
la relève de l’actuelle force européenne déployée au Tchad et dans le nord-est
de la
Centrafrique (EUFOR RCA/Tchad), revêtira une importance
capitale. L’accalmie sécuritaire aujourd’hui en vigueur dans le nord du pays en
dépend. La
Mission des Nations unies en République centrafricaine et au
Tchad (MINURCAT 2) sera essentiellement axée sur l’est du Tchad et pourrait même
être d’ordre purement symbolique en Centrafrique, à la fois pour des raisons de
coûts et de difficultés à trouver des pays pourvoyeurs de Casques bleus en
nombre suffisant. La
France étant désireuse de passer le relais de sa présence
militaire à Birao, la sécurisation du nord-est de la RCA incomberait ainsi à la nouvelle force
régionale de paix – la
MICOPAX – issue de la Communauté économique des Etats de
l’Afrique centrale (CEEAC), dont les capacités devront être renforcées.
A ces blocages internes et
incertitudes internationales s’ajoute une crise humanitaire qui ne cesse de
s’aggraver. Aujourd’hui, malgré l’attention suscitée par le conflit du Darfour
voisin, pour près d’un million de civils affectés par la violence dans le nord
de la RCA,
l’assistance humanitaire n’est pas garantie: sur les modestes $116 millions
prévus à ce titre, près d’un quart manque toujours à l’appel. A peine repérée
par la communauté internationale, la RCA risque de disparaître de nouveau de
son champ de vision et tout l’investissement accompli risque d’avoir été vain.
Même si la RCA
semble une moindre urgence au regard des drames voisins au Darfour, au Tchad et
en République démocratique du Congo, une détérioration de la situation en
Centrafrique est absolument certaine si les mesures suivantes ne sont pas
prises :
- Le dialogue politique inclusif
doit être recentré par son médiateur, le président du Gabon Omar Bongo
Ondimba. Toutes les formations politiques, et notamment toutes les anciennes
forces politico-militaires transformées en partis, doivent accepter que son
objectif premier est d’atteindre un consensus sur l’organisation des élections
de 2010. Sans servir de prétexte à la remise en cause de la légitimité de
l’actuel pouvoir en place, cet objectif doit être pleinement accepté par
l’ensemble des protagonistes centrafricains, sous peine de mettre fin à un
cycle de négociations qui n’est pas censé porter sur le partage du pouvoir
mais sur son exercice équitable et responsable. Les bailleurs de fonds de
la RCA devront
également passer ce message à toutes les parties concernées: il n’y a pas de
solution à la crise en dehors du système légal en place et des élections
légitimes.
- Le gouvernement se doit en
priorité d’amender la loi d’amnistie d’octobre 2008, afin de faciliter la
tenue du dialogue politique inclusif sans exception ou conditionnalités.
Simultanément, le président Bongo doit inscrire la négociation d’un mécanisme
crédible de justice transitionnelle comme second objectif clé du dialogue
politique inclusif et les bailleurs de fonds du processus devraient y
conditionner leur soutien.
- La communauté internationale
devrait maintenir la présence de la MINURCAT 2 en RCA. Cependant, si
elle est forcée d’alléger son déploiement, le contingent des Nations unies en
RCA devrait harmoniser et coordonner son retrait avec le renforcement
équivalent de la force régionale de maintien de la paix, la MICOPAX, afin de lui
permettre de prendre sa relève, d’assurer une cohésion dans l’approche pour la
sécurisation du pays et de faciliter la transition entre les deux forces et
avec les forces françaises réduites.
- La
Loi
de programmation militaire 2009-2013, qui vient d’être soumise au parlement
centrafricain, marque une étape décisive dans la réforme du secteur de
sécurité en RCA, tant de fois entreprise par le passé mais jamais conduite à
terme. Le gouvernement doit transformer les forces de sécurité en « un
outil de défense structuré, polyvalent, bien équipé et opérationnel »
aussi attractif pour ses forces que pour les forces rebelles qu’il devra y
intégrer. La communauté internationale doit apporter à la réforme des forces
de sécurité un soutien sans faille, en particulier financier, mais qui reste
conditionné à la dépolitisation des forces armées et à une gestion équitable
du processus d’intégration des forces rebelles.
- Les bailleurs de fonds doivent
maintenir leur soutien humanitaire aux victimes du conflit et assurer
l’intégralité de son financement pour l’année à
venir.
Source :
http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=5800&l=2
Le rapport est
accessible en français sur notre site web: http://www.crisisgroup.org