La démocratie de la « résistance », facteur préalable de la transformation radicale de l’Afrique et de la République Centrafricaine

Cayenne, le 30 novembre 2008.

 

D’Amérique latine où je suis, l’inspiration est intacte pour la bataille politique, le respect et la réalisation des droits de l’homme dans mon pays. En cette circonstance de la 50éme proclamation de la République par le père fondateur Barthélémy BOGANDA,  mon rêve patriotique et panafricain est celui de la réalisation concrète et totale des droits économiques et sociaux, mais également les droits civils et politiques, de tous mes compatriotes. Le jour où nous y parviendrons, cela profitera à tout le monde, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Les hommes et les femmes, les jeunes générations sacrifiées par les politiques d’ajustement structurel, ainsi que les retraités ont perdu tout droit à un traitement dans la dignité.  Il faut pour cela, travailler inlassablement aux conditions  préalables de ces transformations socio économiques et politiques.

 Il faut que notre société change, pour cela, il faudrait que nous nous mettions en orbite, avec une classe politique renouvelée, dans sa composition et dans ses méthodes. La synthèse dynamique entre les partisans du combat militaire et de l’alternance démocratique doit être effectuée préalablement aux élections de 2010. A défaut nous serons dans le schéma d’un LIBERIA des années 1990, ou encore d’une explosion de l’unité territoriale de la nation. Chaque centrafricaine et chaque centrafricain où qu’il se trouve, doit s’interroger sur sa part de responsabilité individuelle, dans cette affaire. Par action ou par omission nous y contribuons tous !

Il y a une légitimité nouvelle qui consiste à investir dans un sens de la démocratie «  de la résistance », sans laquelle notre nation ne survivra pas ! C’est le projet d’une réalité différente de ce nous impose les acteurs de « l’impuissance politique » depuis 48 ans d’indépendance formelle.

D’abord, la  situation économique et financière dans le monde continue à nous reléguer encore au fin fonds du mouvement de l’humanité. Même le socialiste français Dominique STRAUSS KHAN, passé au FMI, s’étonnait récemment de ce que l’Union Africaine en notre nom revendiquait une place, dans les instances chargées de refonder le système financier international.

Ensuite, depuis le cycle de détériorations des termes de l’échange qui ont mis fin à la rentabilité de l’activité agricole d’exportation, les paysans qui sont le pays réel, ne peuvent plus vivre des produits de la vente de leur activité. Quant aux services publics gratuits issus de la situation post coloniale, ils  constituaient le socle de l’Etat qui  s’est délité…Dans le même temps l’agriculture d’exportation de nos pays souffre de la concurrence des agricultures subventionnées d’autres pays et de celle de la Chine, un nouveau géant en la matière.

Enfin, la crise nous l’a vivons depuis plus de 35 ans et une certaine accoutumance à la faim, à l’absence de soins de  santé, à un droit à l’éducation en déclin…   Les crises conjoncturelles se sont enracinées, elles sont devenues structurelles, permanentes, elles sont devenues davantage difficiles  à combattre et nous y avons laissé des vies, de la force de travail et des intelligences. Je pense qu’il faudra ériger un jour un monument national symbolisant les années chômage, les victimes du VIH sans traitement, et faire construire un monument de la génération des morts-vivants ! Les générations à venir ont le droit de savoir que notre identité a été décadente à un moment donné. Il faudra s’empresser également de démasquer les propos et projets démagogiques qui de la bouche des politiques ont tendance à dire : « une fois que je serais au pouvoir tout sera facile à régler », cela est inexact et pur simplisme!

La démocratie de la « résistance » c’est aussi dire la vérité rien que la vérité sur les modes d’accession au pouvoir. Si les rébellions se multiplient  c’est parce que le jeu démocratique est confisqué, truqué, biaisé. L’heure est venue pour que « les seigneurs de la guerre » donnent des gages qu’ils aiment notre peuple et notre pays. Pour cela, il ne faut exclure aucun dinosaure de la politique centrafricaine de GOUMBA, PATASSE, KOLINGBA et tous les jeunes loups aspirants à la chose publique. Si cette condition n’est pas remplie, aucun dialogue, aucune convention, aucun accord n’aura une portée politique réelle, protectrice de la vie de notre peuple.

C’est par dépit que je dis cela, car ma génération, après celle,  de Claude LENGA, Faustin ZAMETO, Gustave BOBOSSI et Cyriaque GONDA, mais aussi avant celle de Crépin MBOLI GOUMBA, a été aussi incapable de s’unir dans la durée, pour imposer un autre élan pour l’émancipation de notre peuple. Tout le monde veut emprunter le chemin de la facilité en refusant d’inspirer un vrai mouvement apte à jeter les bases de la conquête et de la gestion du pouvoir, pour le peuple avec le peuple. Pourtant, c’est la condition incontournable de la démocratie de résistance et de la transformation, mon seul cheval de bataille permanent.

La démocratie de la « résistance » n’aura des chances d’aboutir que si des changements s’opèrent aussi dans la sous région. Les rencontres en vue du énième dialogue à Libreville sont peut être utiles, elles sont surtout insupportables. N’est ce pas que le « linge sale se lave en famille » ! Le centrafricain lambda crois t-il que le président BONGO  est un modèle de démocratie, un vertueux désintéressé ? Il faut que ce spectacle désolant d’aller sans cesse faire la manche à Libreville s’arrête un jour, à moins que nos acteurs politiques se satisfont des quelques milliers de CFA que le Mollah OMAR concède et cède à chaque fois qu’on vient jusqu’à lui !

La démocratie de la « résistance » c’est le retour de la vertu-courage chez les intellectuels. Lorsqu’on a la chance que la vie et L’Ecole nous donne les outils pour penser les évolutions de nos sociétés, il faut les mettre au service de la nation,  tourné vers les progrès sociaux  et économiques. Pendant des années, sous différents régimes, dans notre Afrique subsaharienne, on a vu le contraire. Les intellectuels de Dakar à Brazzaville, de Bangui à Ouagadougou, de Lomé à Niamey, vendent  comme de vulgaires pacotilles ce qui apparaissait comme être leurs convictions progressistes. Ils ont donné leur caution à des régimes politiques improductifs pour le peuple et surtout alimentés des discours ténébreux et la célèbre pensée unique.

 Aujourd’hui l’Afrique et la Centrafrique a besoin « d’urgence de penser » comme l’écrivait un philosophe camerounais au début des années 1990.  Penser le changement, penser la démocratie, penser le développement local, penser le renouvellement culturel, penser notre place dans la mondialisation, penser notre identité culturelle au XXIème siècle…Un intellectuel n’est pas un griot, c’est un ingénieur du changement social, un être autonome qui n’est pas tenu par l’avoir de son compte en banque. C’est en attribuant la priorité à l’éducation qui est le moteur de l’expression des talents, que nous nous en sortirons.

 La démocratie de la « résistance » c’est un investissement massif dans l’éducation et la formation des jeunes centrafricaines et centrafricains dans tout le pays. Depuis qu’un Ministre de l’éducation enseignant a appliqué avec zèle la recommandation de la banque mondiale qui consistait à favoriser le départ volontaire assisté de fonctionnaires, sans que cela ne soit imposé que ce soit nécessairement dans le corps de métier des enseignants, l’éducation nationale centrafricaine a amorcé son lent et  irrésistible déclin qualitatif. Les autres gouvernements n’ont pas inversé la tendance.    

J’ai cru bon de vous faire ses confidences nées de mes réflexions patriotiques. Je crois aussi qu’il faut toujours se reporter aux anciens pour assurer la transmission des valeurs culturelles de notre histoire, au plan politique il y a pas grand-chose à hériter à part les cinq verbes du MESAN de BOGANDA, une forme de pragmatisme patriotique chez JB BOKASSA, et des slogans sans rapport avec la réalité socio-politique : so zo la, le sous sol nourrit le sol et le sol l’homme, et enfin kwa na kwa.

J’ai confiance en notre peuple, notamment à sa capacité à résister en inventant les modes nouveaux pour assurer la survie, sa survie. Le phénomène Boubanguérés pour les jeunes qui ont investi le commerce informel, l’achat pour revendre par exemple. Les plus  âgés ont quant à eux, repris le chemin des champs pour pouvoir avoir à terme, le minimum vital pour la nourriture familiale. C’est ce produit qu’on pourra troquer avec de la viande, des produits de la chasse ou des produits de première nécessité. Les gens de mon pays ont appris à vivre sans attendre quoique ce soit qui soit garanti par l’Etat, le gouvernement, les politiques, les élus, les institutionnels.

 Notre peuple mérite une vie meilleure.  Il est urgent de transformer notre société en crise  dans les dix années qui viennent, à partir de 2010. Je vous invite à méditer un passage plein de sens du  plus grand écrivain noir de langue française, qui nous as quitté il n ya pas longtemps. Il  s’extasiait en écrivant :

« … J’ai porté des plumes de perroquet des dépouilles de chat musqué

j’ai lassé la patience des missionnaires

insulté les bienfaiteurs de l’humanité.

Défié Tyr. Défié Sidon.

Adoré le Zambèze.

L’étendue de ma perversité me confond »

Aimé CESAIRE, dans Cahier d’un retour au pays natal, page 29.

Notre condition humaine dépend de nous en grande partie. Nous devons y travailler dans la fraternité et le don de celles et ceux qui s’engagent dans l’action publique, celle qui vise l’intérêt général…Les défis sont identifiés, il faut les relever !  Ce n’est donc pas la posture du centrisme, l’apologie de la  tiédeur et de la pseudo neutralité, qui nous mènerons vers le changement, la transformation radicale de notre pays. Ce sera davantage le devoir de résister et de rechercher les voies de la rupture, et ainsi créer les conditions de l’espoir et de la fierté pour les centrafricaines et les centrafricains. Bonne fête du 1er décembre !

Jean-Pierre REDJEKRA

Actualité Centrafrique de sangonet