SEMINAIRE ATELIER SUR LE LEADERSHIP: Extrait de l'intervention de
Jean-Paul Ngoupandé
Il convient tout d’abord de louer
l’initiative des partenaires, Banque Mondiale, PNUD, BONUCA, qui ont
proposé et contribué à l’organisation du présent séminaire. Il se
confirme ainsi que la nécessité d’anticiper plutôt que de subir les
crises est mieux perçue par la communauté internationale, et c’est
tant mieux. Mieux vaut prévenir que guérir, n’est-ce pas ?
Il
faut également apprécier à sa juste valeur l’accord donné par le
gouvernement de notre pays pour que cette rencontre ait lieu sous la
forme d’un dialogue direct entre les principaux acteurs de la vie
politique et sociale de la République Centrafricaine.
Il ne
s’agit pas d’une réunion administrative ordinaire. D’une certaine
façon, c’est un moment de vérité comme il devrait en avoir souvent
entre tous ceux qui, à un titre ou à un autre, exerce une influence
sur les cours de l’histoire centrafricaine et donc en partageant la
responsabilité. Car, par delà nos différences et nos divergences,
par-delà la distinction entre les rôles que les uns et les autres
jouent sur l’échiquier national, nous sommes tous, nous qui sommes
présents dans cette salle, comptables du devenir de nos trois
millions et demi de compatriotes. De notre sens des responsabilités
dépend essentiellement la question de la paix, de la stabilité et du
développement.
Plus de quatre décennies se sont écoulées depuis
que notre pays, à l’instar de beaucoup d’autres sur le continent, a
accédé à la souveraineté internationale, devenant ainsi, du moins
sur le papier, maître de son destin. Son évolution chaotique, comme
d’ailleurs celle de beaucoup d’autres Etats subsahariens, a conduit
à l’accumulation vertigineuse de drames sociaux comme ceux de la
pandémie du sida, du naufrage du système éducatif et du chômage
massif des jeunes. L’économie de rente, basée sur la
commercialisation de produits primaires aux prix mondiaux mal
assurés et aux gains le plus souvent mal gérés, n’a pas généré une
croissance durable. Le décrochage de l’Afrique Subsaharienne par
rapport au reste du monde est de plus en plus patent. Partout, à
quelques exceptions près, la décomposition des Etats s’est accélérée
à partir de 1990, du fait d’une démocratisation mal maîtrisée,
transformée en prétexte pour des guerres civiles ravageuses. Dans
beaucoup de nos pays, le ,règne des seigneurs de la guerre a
transformé en cauchemar l’espoir né de la chute du mur de Berlin.
Dans cette descente aux enfers, la responsabilité des africains,
surtout leurs élites politiques, est désormais grande. Il faut
cesser d’invoquer exclusivement, pour nous dédouaner, la méchanceté
du monde extérieur. Je suis moins que jamais persuadé de la
pertinence de la thèse du complot international contre l’Afrique. La
vérité, de plus en plus évidente, est que notre responsabilité dans
les dérives de nos pays est croissante, et ne peut plus être
masquée. L’actualité brûlante nous en donne une tragique
illustration, avec les derniers soubresauts de la crise ivoirienne :
quatre décennies d’efforts de développement ont été anéantis en
quelques mois, et nul ne peut nier l’écrasante responsabilité des
successeurs d’Houphouët Boigny, qui ont tourné le dos aux valeurs
fondatrices de l’houphouëtisme, c’est-à-dire la tolérance, le souci
de compromis entre les ethnies et d’intégration des diversités
ethniques, régionales, culturelle et religieuses, l’ouverture sur
l’Afrique.
La question qui se pose aujourd’hui à nos frères
ivoiriens est la même qui se pose à nous, Centrafricains, à quelques
semaines d’échéances cruciales. Cette question est : que
voulons-nous faire de notre Centrafrique ? Sachons-le : personne
d’autre ne peut répondre à notre place. Soyons attentifs au vent de
lassitude teintée d’indifférence croissante qui gagne les
partenaires extérieurs. Nous aurions tort de croire que le monde
extérieur est à notre service, toujours prêt à voler à notre
secours, toujours disposé à réparer nos actes d’autodestruction et
de suicide collectif.
Les organisateurs du présent Séminaire ont
ciblé trois thématiques posées comme condition de la paix, de la
stabilité et du développement. Il s’agit de la stabilité et de la
sécurité, ensuite la promotion de la bonne gouvernance et enfin de
la transparence financière. Ce sont certes là les nœuds objectifs de
la question du développement dans un pays comme le nôtre. Je me
permets cependant d’insister sur ce qui me paraît être le préalable
des préalables : c’est ce que j’appelle la sagesse des hommes, leur
capacité à se surmonter pour transcender les considérations
subalternes et préserver l’essentiel. Cet essentiel, c’est la
volonté de nous accepter ; d’accepter de vivre ensemble, de tendre
vers le même but, qui est le bonheur de nos populations, et par
conséquent, la volonté d’accepter des compromis dynamiques pour
sauver la paix, condition première du développement.
En la
matière, l’Afrique a offert au cours des quinze dernières années
deux visages : celui , très courant, de l’intolérance, de la haine,
de l’exclusion et de la violence qui en est le corollaire ; ensuite,
celui, plus rare, de la sagesse pour accepter de vivre ensemble et
de travailler ensemble pour la même cause. Le premier cas de figure
offre de nombreux exemples qu’il est inutile de rappeler ici. Le
second est parfaitement illustré par le comportement des dirigeants
sud-africains post-apartheid. Pendant plus de trois siècles, les
rapports entre la minorité blanche, d’origine européenne, et la
majorité noire, ont été des rapports de domination, d’oppression et
d’humiliations de toutes sortes. Nelson Mandéla et les siens
auraient pu opter pour la vengeance et les règlements de comptes.
L’ANC, largement majoritaire dans la nouvelle direction politique du
pays, a préféré tendre la main aux ennemis d’hier, et trouver un
modus vivendi avec eux pour sauver la paix et l’unité du pays, et
les mettre à contribution pour le développement de la République
sud-africaine.
Pour nous, Centrafricains, que rien,
fondamentalement, n’oppose radicalement, ni dans notre histoire, ni
de par nos coutumes ou nos religions, ne pourrions-nous pas faire
l’effort de maîtriser les contradictions pouvant surgir entre nous,
de les traiter par la voie du débat pacifique, sans que les armes ne
s’en mêlent? Pourquoi faut-il que celui là qui est devant nous, soit
considéré comme un ennemi à détruire et à éliminer physiquement,
simplement parce qu’il pense différemment de nous, au lieu qu’il
soit le partenaire de la recherche de solutions de compromis pour
préserver l’essentiel? Pourquoi faut-il que le partage du maigre
gâteau donne lieu à de violentes disputes conduisant le plus souvent
à des jeux de massacres aux conséquences irrémédiables, au lieu que
nos efforts soient unis pour accroître ce même gâteau, pour le plus
grand bonheur de nos pays?
La République Centrafricaine est le
prototype de ces pays africains affaiblis par les divisions, les
haines et les tensions qu’elle génère. Elle est prise dans le piège
de la pauvreté absolue, laquelle nourrit à son tour les frustrations
et les haines. Cercle vicieux donc, et dont nous ne pouvons sortir
que par la volonté de nous retrouver pour panser nos plaies,
recoller les morceaux et repartir sur de nouvelles bases. Cette
volonté de surmonter la haine et les exclusions, il appartient
désormais aux élites politiques de la manifester de la façon la plus
forte et la plus claire, pour donner l’exemple et entraîner nos
compatriotes sur la voie de la réconciliation vraie.
Je suis
pour ma part persuadé que les élections à venir doivent être
l’occasion de resserrer les liens au lieu qu’elles aggravent les
déchirures. Comme je l’ai dit le 11 avril dernier à l’ouverture du
deuxième congrès ordinaire du PUN, je n’imagine pas un seul instant
qu’un homme, un seul, puisse se targuer d’une ‘’victoire’’ pour
ramasser toute la mise et se réserver pour lui-même et ses partisans
tout le pouvoir ainsi que les avantages qu’il confère dans le
contexte d’un pays très appauvri. Il faudra partager les
responsabilités, impliquer tout le monde, rebâtir une transition
encore plus consensuelle que celle qui s’achève, et cela pour toute
la durée du mandat présidentiel. Il le faut parce que c’est
nécessaire; il le faut parce que les Centrafricains doivent
réapprendre à travailler ensemble, à partager les résultats quand il
y a en a, et à se faire confiance mutuellement. Il le faut parce que
les pays émergent très lentement d’une période de déchirement qui
l’a fragilisé, et des tentions non maîtrisées pourraient l’entraîner
de nouveau dans la gouffre./.
Jean-Paul Ngoupandé
18/11/2004
source :
http://www.leconfident.net
Actualité Centrafrique de sangonet