Centrafrique : Quand la vision du développement à elle seule ne suffit pas!

Nous voudrions évoquer dans cet article ce que nous appellerions programmes d’actions du gouvernement, proposés par des centrafricains concernés ou par des représentants de partis politiques, à l’aube des prochaines élections en Centrafrique.

Il est rassurant de constater que les formulations détaillées des programmes politiques sont et demeurent un exercice possible dans les esprits féconds des centrafricains. En effet, savoir ce que l’on veut est une chose très importante. Il est également important de faire part de cette vision à tous, afin de vérifier si oui ou non les auteurs de ces idées et leurs concitoyens émettent sur la même longueur d’onde. Mais faisons remarquer de suite ce que nous considérons comme deux types différents de vision ou d’ambition. Selon nous il y aurait la vision ou l’ambition saine et son opposé, la mauvaise ambition, qui sont ainsi catégorisées en fonction de leur objectif ou intention et de la manière dont l’objectif est atteint. Si nous prenons l’exemple de Barthélémy Boganda, celui-ci avait assigné au Mesan l’objectif de mettre en place une société centrafricaine au sein de laquelle chaque citoyen aurait droit à un logement. Vous conviendrez avec nous qu’une telle vision ou qu’une telle ambition politico-sociale est tout à fait louable et réalisable. Cependant, est-ce qu’une société centrafricaine devrait permettre au citoyen de se loger en privant par ailleurs l’état de ses ressources légitimes? Ou encore, est-ce une bonne ambition de détourner les biens de l’état pour se construire une belle villa, s’acheter une voiture de luxe ou autre? C’est cela que nous considérons comme exemple d’une mauvaise ambition, car sa réalisation se ferait au détriment de la société toute entière. Les ressources qui auraient été détournées auraient pu bénéficier à une multitude plutôt qu’à un individu ou à un clan. Est-ce une bonne ambition de s’accaparer du pouvoir d’une manière quelconque (même démocratiquement), puis de s’y éterniser lorsqu’il est évident que le chef de l’état et son gouvernement ne mènent aucune action efficace pour améliorer l’existence et les conditions des centrafricains? Voilà un autre exemple d’une ambition malsaine. Nous sommes persuadés que vous trouverez d’autres exemples plus pertinents que ceux que nous avions cités.

Après l’accession du pays à l’indépendance, les jeunes avaient appris dans les écoles, à mémoriser les grandes étapes de la création du Mesan, puis les grandes ambitions de développement social de ce parti, qui s’étaient résumées dans les fameux 5 verbes du Mesan. Vous vous en souvenez, n’est-ce pas! Cette mémorisation avait peut-être aidé à notre compréhension de certains termes tels indépendance, militantisme et développement, puis à nous ouvrir la porte vers une certaine forme d’éducation politique ou civique. Après 1979 et l’évocation de l’inconstitutionnalité du parti unique en Centrafrique, la mention de toute idéologie sociale ou politique avait disparu des programmes scolaires, ceci malgré l’éclosion d’une multitude de partis politiques. Les partis politiques avaient été créés, cependant la grande majorité de la population n’en comprenaient ni les tenants ni les aboutissants. Si vous nous permettez le mot, cela avait été et est toujours la grande pagaille. Le mot d’ordre semblait être: si vous voulez une part du gateau, créez votre propre parti. L’on se demanderait bien si les fondateurs-créateurs-présidents à vie de ces partis n’avaient pas orchestré tout cet amalgame pour créer le trouble dans l’esprit de la population et pour mieux tirer leur épingle du jeu! Où se trouve donc l’intérêt du peuple parmi les 45 partis politiques qui existent dans le pays? Mais parlant d’éducation, nous ne savons même pas si l’histoire contemporaine des partis politiques centrafricains figure dans un quelconque programme d’études à l’Université de Bangui. Force donc avait été de constater que tous ces partis politiques n’étaient jamais allés à la rencontre de la population, afin de l’éduquer politiquement, à l’exemple des autres démocraties ou des universités d’été des partis politiques en France. Dans le contexte centrafricain, nous soutiendrons par conséquent que la majorité de la population est politiquement novice, au sens strict du terme. Aujourd’hui, l’on ne devrait donc pas être surpris de lire entre les lignes les subtilités des termes "savaniers", "riverains", ou encore "yougoslaves", lorsque ceux-ci sont évoqués dans les conversations. Aujourd’hui aussi, l’on ne devrait pas non plus être surpris d’écouter les propos amers, filtrés des échanges entre les centrafricains, parce que appartenant à des tribus ou ethnies différentes. A une époque où l’on prônerait volontier l’établissement d’institutions démocratiques en Centrafrique et la pratique des principes démocratiques, l’éducation politique et civique des citoyens centrafricains s’était essentiellement ancrée autour de l’appartenance tribale ou régionale qui soutiendrait essentiellement la quête du pouvoir au sommet de l’état, afin de tirer de meilleurs privilèges au détriment des intérêts de la société dans son ensemble. A cause de cet état d’esprit volontairement opportuniste et mercantile, nous serions tentés de dire que tous les partis politiques avaient été responsables de cette dérive qui ira en s’exacerbant si rien était fait concrètement pour la corriger. Toutefois, afin de réparer ce gâchis, le moment serait venu de gérer la société nationale avec plus de rigueur et de courage et d’ouvrir tous les débats politiques locaux au citoyen quel que soit son âge, afin de faire de chaque centrafricain un citoyen politiquement éduqué, concerné et véritablement préoccupé de son bien-être, de celui de tous ses concitoyens sans exception, et de l’avenir de son pays.

Si avions eu le luxe de faire le tour des opinions auprès des centrafricains, des partis politiques et des syndicats, à propos des changements que les citoyens voudraient voir mettre en place en Centrafrique, nous sommes persuadés que tout le monde serait d’accord sur plus d’un front. Certaines mesures prescrites par des centrafricains avaient été la réorganisation de l’état, le relèvement de l’économie, l’assainissement des finances publiques, la relance de l’agriculture, etc. Vous remarquerez que l’organisation d’une liste de doléances avait toujours été de mise, à l’exemple des recommandations issues des assises du dernier dialogue national dont on parle toujours. Par leur nature même et l’environnement politique, ces voeux ou ces recommandations étaient demeurés pieux et irréalisables, parce que les gouvernements successifs de Bozizé et Bozizé lui-même n’avaient pas su exactement par quel bout attraper la bête. Ils s’étaient satisfaits de la liste des recommandations et avaient cru qu’à elles seules les recommendations constitueraient le plan de travail officiel du gouvernement de transition. Notre reproche ici, si on peut l’appeler ainsi, c’est qu’après la remise des recommandations, Bozizé et son gouvernement n’avaient jamais organisé des discussions autour de ces recommandations ou de ces programmes, afin d’en déterminer les obstacles possibles et préciser les conditions, les moyens, les échéances pour leur réalisation. En un mot il n’y avait jamais eu de débats publiques et des échanges sérieux à propos des meilleures stratégies à adopter pour promptement et de manière satisfaisante mettre en exécution ces recommendations, et, aller de l’avant. Les centrafricains devraient peut-être dépasser l’étape de la confection pure et simple de programme politique et passer plus de temps à se concerter pour trouver les bonnes voies et les moyens pratiques et simples pour veiller au respect des lois et règlements, pour mobiliser les agents de l’état pour le service public bien fait, pour lutter courageusement contre la corruption, pour exiger une gestion transparente et orthodoxe (termes empruntés de l’article intitulé "Si j’étais candidat"). Ce serait une grosse erreur de penser qu’en organisant un dialogue national, une année sur deux ou à la demande, le gouvernement réussirait à payer régulièrement les salaires, les pensions et les bourses, à assurer l’intégrité du territoire et la sécurité de chaque citoyen, etc.

Les politiciens et les miltaires avaient oublié que le dialogue national devrait être une activité quotidienne et devrait se manger à toutes les sauces, afin d’arriver à la réalisation des aspirations du peuple centrafricain. Enfin, l’étape théorique d’élaboration de programme d’actions ne suffirait pas à elle seule s’il n’y avait pas de volonté politique réelle pour solliciter des idées puis l’accord de la majorité de la population; elle ne suffirait pas à elle seule s’il n’y avait pas les compétences locales pour leur exécution. En prenant pour exemple l’article paru sur le site de Sangonet et qui avait pour titre "Si j’étais candidat", vous remarquerez qu’il n’y avait aucun indice sur les stratégies qui dicteraient les voies et moyens pour parvenir dans un délai raisonable aux résultats escomptés. Bien évidemment, une succession de gouvernements ou une succession de sessions de conseil de ministres ne suffiraient peut-être pas pour assurer le progrès social que tous prétendent rechercher. Prenons l’exemple de la décision du gouvernement de Bozizé de réduire les salaires des fonctionnaires de 30%. Cette décision s’inscrirait dans un programme qui voudrait chercher à éradiquer l’épidémie des arriérés de salaires et pensions de la fonction publique. Voici l’ exemple d’un point épineux qui aurait nécessité de grands débats au sein d’une assemblée nationale souveraine, au sein du gouvernement, au sein de chaque parti politique, au sein des groupements syndicaux et au sein du patronat, afin de rechercher un consensus autour d’une décision lourde de conséquence. Malheureusement, la stratégie du gouvernement de Bozizé de trouver la solution à coup de décret s’était avérée maladroite et impopulaire, et, ce mode de décision autoritaire et non consensuel n’avait pas permis la mise en place d’une solution raisonnable, acceptée par les fonctionnaires. Et depuis, les arriérés de salaires, pensions et bourses courent toujours.

Il serait donc important en plus de l’énonciation des programmes ou des objectifs politiques, d’ouvrir les débats dans un environnement collectif serein, afin de déterminer pour chaque secteur les stratégies peu coûteuses, raisonables, pratiques et qui apporteraient des changements rapides et durables. Si les gouvernements n’avaient toujours pas trouvé une solution aux arriérés de salaires, peut-être que les fonctionnaires eux-même pourraient penser et trouver une solution à ce problème qui les concerne à plus d’un titre. Est-ce que quelqu’un leur avait jamais demandé leurs avis? Une dictature militaire, un régime despotique, un régime tribal, un système de clan, un club de technocrates, ou une forme quelconque de gouvernement illégitime avec ou sans transition ne suffiront pas à apporter promptement des changements positifs au pays. Il faudrait associer toutes les classes sociales sur des bases égales, travailler ensemble en atelier à la mise en place de stratégies intelligentes et qui donneraient des résultats satisfaisants, afin d’accroître les chances d’une réussite économique. Cette démarche serait importante afin de déterminer plus concrètement la voie propice dans laquelle il faudrait engager rapidement la Centrafrique pour le bien de tous ses fils. Tout cela pourrait paraître compliqué, mais en fait c’est cela la démocratie. Et plus la tâche est énorme, plus il faudrait de bras, n’est-ce pas! Et le pays restera longtemps encore dans son trou si les politiciens, les militaires, les syndicats, les opportunistes et autres pensent que toutes les prescriptions démocratiques ne sont pas importantes pour l’organisation des affaires de cette Centrafrique qui n’aurait en fait de république que le nom.

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique

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