TEXTE DE LHOMELIE PRONONCEE
Par son Excellence Monseigneur
Joachim NDAYEN,
Archevêque Eméritede Bangui,
lors de la messe pour la PAIX en Centrafrique et dans le monde,
le dimanche 05 juin 2005
à la paroisse Saint Merri , Paris 4°
Chers Pères de la paroisse Saint Merri,
Chers Amis,
Chers Compatriotes du Centrafrique,
Le Père Donatus a pris lheureuse initiative dorganiser cette célébration à lintention du peuple centrafricain et de ses dirigeants. Il entendait par là nous donner loccasion de nous rencontrer, de prier ensemble, de rendre grâces, me disait-il, de ce que les élections présidentielles et législatives se sont déroulées sans gros problèmes ; de demander pardon à Dieu pour nos manquements et de le supplier de jeter un regard bienveillant sur ce peuple éprouvé.
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Oui, il y a lieu de rendre grâces. Cest un aspect de la prière quil faut susciter et privilégier, pour les dons reçus de Dieu, ou pour ladorer à loccasion des anniversaires de naissance, de mariage, dordination. LEucharistie est dabord Action de grâces. Comment ne pas bénir le Seigneur de ce que nous sommes sortis quasiment indemnes de situations chaotiques inimaginables ? Nous aurons cependant une pensée amicale pour ceux dentre nous, ici en France, qui vivent encore dans leur chair les stigmates de nos actes de banditisme. Que Dieu leur redonne la force de tenir bon.
Daucuns me diront que nous nen sommes encore quau milieu du gué ! Cest possible ! Mais çaurait pu être pire que cela, lorsque nous nous référons à la situation de certains pays dAfrique qui ont connu de longues et désastreuses guerres intestines, avec des centaines de milliers de morts Les Centrafricains, Dieu merci, ne se sont jamais battus entre eux, tribus contre tribus.
Les conflits les plus graves que nous avons connus nous ont été imposés par les hommes politiques de chez nous et dailleurs, pour une mainmise sur lor, le diamant, la forêt, le café, le futur pétrole
Et pourtant, cest au moment où lambiance générale de notre pays baignait dans les manifestations diverses de ferveur pseudo-chrétiennes, que les signes de haine ont été les forts. Que de grand-messes navons-nous pas célébrées ensemble, avec la participation enthousiaste des fidèles, des différents chefs dEtat et leurs gouvernements au complet ? Ces derniers étant même aussi habiles à parler de Bible que les prêtres et les pasteurs !
Dans les quartiers, les associations catholiques et protestantes pullulaient. Des groupes religieux de tous ordres, provenant du Congo-Démocratique, du Nigéria, des Etats-Unis que sais-je encore, faisaient florès ! Il suffit de parcourir les avenues et les rues de Bangui, par exemple, pour voir les pancartes sur lesquelles chaque « religion » saffiche, chacune veillant à se faire plus grosse que la voisine, dans une compétition effrénée de grandeur. Le christianisme est-il si développé que cela en Centrafrique ?
Le christianisme, oui ! Mais pas la vie chrétienne et ses vertus. Eh bien ! Le prophète Osée nous dit aujourdhui, dans la 1ère lecture : « Efforçons-nous de connaître le Seigneur.. » Nous avons pour lui, en réalité, un « amour fugitif », fugace, qui « sévapore à la première heure », dit le prophète. Car finalement, on naime vraiment que si lon connaît très bien lautre. Cest ainsi que les fiançailles sont lapprentissage du connaître pour mieux aimer
Le Seigneur peut nous dire, en effet, : « Voilà pourquoi je vous ai frappés » « Cest lamour que je désire, et non les sacrifices ; la connaissance de Dieu, plutôt que les holocaustes. » Je précise. Non pas que cest le Seigneur lui-même qui nous massacre, mais il laisse libre cours à notre hypocrisie de générer ses effets pernicieux. Dieu respecte notre liberté.
Cherchons-nous vraiment à connaître le Seigneur par tous ces prétendus témoignages extérieurs de piété ? Ou cherchons-nous, par ricochet, notre propre gloriole, surtout si des perspectives denrichissements personnels sen mêlent, par lexploitation de la crédulité de la population ?
Mais, sait-on jamais !
Peut-être que si ce support religieux et mystique nexistait pas au Centrafrique, les évènements auraient pris une tournure plus apocalyptique !
Cependant, rien nest moins sûr !
Lon peut penser que, sociologiquement les spécialistes en débattront sils le veulent notre unité traditionnelle scellée par la bénédiction des mânes de nos ancêtres, due à lesprit pacifique des Centrafricains, à la langue nationale SANGO unificatrice, à lesprit de BOGANDA nous sont quelque part dun précieux secours, humainement parlant.
Nous souhaitons donc que nous tous qui nous réclamons du Dieu de Jésus, du Christ lui-même et de son Esprit, puissions intérioriser plus profondément en nous la Parole révélée, que surtout, nous la mettions en pratique ; car la seule preuve damour se trouve là..(I Jn.5,2)
Pour ces raisons brièvement énoncées et pour bien dautres encore car nous navons pas le temps den dire plus nous pouvons remercier le Seigneur, et incitons la Communauté de Saint Merri à nous accompagner dun même cur.
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En plus de rendre grâces, navons-nous pas à demander pardon pour toutes nos turpitudes ? Les miennes, les vôtres, les nôtres ?
Sil y a quelquun qui a cru à son pays et la fondé comme République, cest bien de notre avis à nous tous le Président Barthélémy BOGANDA, décédé malheureusement précocement. Il était, comme par hasard, ou providentiellement, mon aîné, à moi , au Père Gilbert, au Père Donatus et aux autres prêtres centrafricains ici présents, dans le sacerdoce. Son évêque lui a demandé de tenter lexercice de cet autre sacerdoce car bien compris, çen est un quest la Politique, cest-à-dire de mener un peuple vers la maturité de son être, vers un mieux-être. La Politique, bien assumée, est une très haute _expression de la Charité.
Ce que lEpître aux Romains dit de la Foi dAbraham et des heureuses retombées sur sa descendance et, par Jésus-Christ, sur lEglise de Dieu, nous pourrions le transposer, toutes choses égales dailleurs, en la foi de Boganda qui croyait à lémergence de son pays, soutenu par la foi et lespérance en ce Dieu quil servait comme prêtre. Cest en ce sens que Boganda avait foi en cette fraternité entre les peuples ; ce qui le faisait rêver dune « Afrique latine » au cur de nos forêts et savanes. Lhistoire nous a démontré quil navait pas tort et cétait lobjet de son appel à de Gaulle à Brazzaville.
Et nous, les héritiers, quavons-nous fait de ce sens de la fraternité dont Boganda rêvait ?
Ici en Europe, veillons à ce que les clivages politiques ne nous divisent pas. Pire encore, que les connotations tribales neffleurent pas nos lèvres, ni ninfluencent nos attitudes. Bref, soyons tout au moins civilisés, sil nous est difficile dêtre chrétiens et frères et surs de tout le monde, les uns des autres.
Au Centrafrique, malgré quelques tentatives fructueuses pour relever le pays, nous nous sommes beaucoup fourvoyés.
Quand je pense que la plupart des fonctionnaires importants qui ont dirigé le Centrafrique ont été formés ici, en France, où ils navaient de cesse et avec raison de critiquer les dirigeants de leur pays qui senlisait effectivement dans le bourbier, puis rendus en Afrique par la suite, ils se sont insérés tout bonnement dans le système prévaricateur, pour en assurer, non pas seulement la « continuité », mais surtout « la continuation », il y a lieu den demander pardon à Dieu.
Je sais que sil y avait plus de solidarité entre nous, les choses se passeraient autrement. Mais, que de délations mensongères, attentatoires à la vie des familles ! A la carrière des compatriotes ! Que de jalousies sous des semblants de marque damitié. Il était très difficile pour les meilleurs dentre eux démerger de la tourbe, car le pouvoir politique leur enlevait tous les droits et se plaisait à les voir végéter avec leur famille. Ils devenaient alors la peste pour les prétendus amis qui les évitaient, les fuyaient. La saine concurrence et la complémentarité nétaient pas admises dans notre pays. Le premier qui émergeait était « décapité » pour quil ressemble à tout le monde, car tous devaient avoir la « même taille » : résultat, pas de dynamisme entraînant vers le haut !
Nous devons demander pardon pour tant de gâchis qui nous ont maintenus dans la veulerie et dans la médiocrité.
Et enfin, nous avons pris plus ou moins part, de loin ou de près, aux dernières grandes dévastations de ces dix années écoulées au Centrafrique. Les Centrafricains se sont retrouvés étrangers sur leur propre terre. Ils y étaient comme en bannissement. Certains ont émigré, soit dans dautres pays dAfrique, soit en Europe. Un bon nombre dentre vous dailleurs se trouvent ici en France comme réfugiés !
Pensons aux morts et aux dégâts matériels causés par les tirs de canons et les bombardements sur nos villes et nos villages. Imaginons les perversions et ce nest quun euphémisme de la soldatesque envahissante, tant celle venue doutre-Oubangui que celle descendue du Nord, sur nos filles, dont plusieurs ont été contaminées par le SIDA et se sont constituées en associations pour soutenir leur cause. Comment pouvons-nous les aider ? Bref.
Ces incroyables confrontations ont poussé de nombreuses familles dans la misère. Plusieurs générations de jeunes ont été perturbés dans leurs études et létat sanitaire de la population sen est trouvé dégradé dautant. Nous en sommes tous peinés, je le sais.
Lavenir du Centrafrique est-il définitivement hypothéqué ? Tout dépend de nous, de notre capacité à rebondir ou pas.
Ne la-t-on pas fait au dialogue national ?
Artificiellement, sûrement, pour la plupart des orateurs. Mais avec courage et avec lappui du Seigneur, nous pouvons aller plus en avant, cest-à-dire dans la sincérité de notre âme et de notre cur.
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En effet, tout bureaucrates et collecteurs dimpôts que nous fûmes et soyons encore, les uns et les autres, comme Matthieu dans lEvangile, nous pouvons nous lever immédiate-
ment et suivre Jésus, dès lécoute de sa voix : « Suis-moi. » Marcher, avancer, cest toujours risquer de tomber. Car, mettre le pied devant lautre exige de léquilibre. On se rattrape continuellement dune chute possible : cest ainsi que lon progresse. Et lon gagne donc à garder une certaine souplesse.
Cela signifie : se débarrasser de toutes les contingences encombrantes qui alourdissent notre esprit et notre corps. Il faut un dépouillement important de toute la gangue que constituent nos péchés et nos perversités. Bref, il nous faut NOUS CONVERTIR. Avoir des yeux et un regard neufs sur le monde et sur le Centrafrique. Nous imprégner de lesprit de Jésus, car on ne le suit pas sans quil déteigne sur nous. Nayons pas peur, comme nous le répètent à satiété les derniers Papes, reprenant ainsi les paroles du Christ aux Apôtres lors de sa marche sur les flots.(Mat.14,27). Nayons pas peur à cause de nos péchés : « Cest la miséricorde que je désire car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. »
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Voilà, chers frères et surs, des multiples raisons pour nous aujourdhui de rendre grâces et de demander au Seigneur le pardon de notre éventuelle complicité dans la déroute de notre pays. Faisons-le en toute sincérité.
Relevons-nous et mettons-nous en mouvement par le renouvellement
de notre regard sur les réalités de notre pays au cur de
lAfrique et du monde, pour une plus grande solidarité
entre les fils et filles de Dieu
AMEN.
Actualité Centrafrique de sangonet