Texte intégral de la Communication faite par Me Nganatouwa GOUNGAYE WANFIYO, Président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH) lors de la Rencontre-débat organisée le 21 février 2006 à Lyon (France) par le Collectif des Centrafricains en France (CCF), la Ligue des Droits de l’Homme du Rhône (LDH Rhône) et la Maison de l’Europe de Lyon.


« Du Coup d’Etat de mars 2003 au retour à la légalité constitutionnelle de juin 2005 : Etat des lieux des droits de l’homme en République Centrafricaine »

La République Centrafricaine qui n’a pas réussi à sortir d’une crise économique, politique et sociale profonde qui perdure, continue sa descente aux enfers. Sa population sombre de jour en jour dans une pauvreté extrême malgré les nombreuses ressources naturelles dont elle regorge.

En dépit de l’existence de textes internes et internationaux assurant une protection des droits de l’homme, les violations sont nombreuses et constantes et vont s’aggravant compte tenu des tensions persistantes dans le pays.

La Cour Pénale Internationale a été saisie des faits de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité dans trois Etats africains : l’Ouganda, la République Démocratique du Congo et la République Centrafricaine.

Sans préjuger de la suite de ces affaires, cette saisine est révélatrice de la gravité des violations des droits de l’homme en République Centrafricaine. Autrement dit, l’état des lieux qui sera dressé concernant la période de transition dite consensuelle et la période post électorale n’est pas destiné simplement à noircir un tableau déjà bien sombre.

Il est le reflet d’une dure réalité à laquelle il est devenu urgent de mettre un terme si la République Centrafricaine veut conserver sa place dans le rang des nations civilisées et amorcer un début de développement dans la paix.

En effet, depuis son accession à l’indépendance le 13 Août 1960, soit près de 46 ans, la République centrafricaine s’est engluée dans une instabilité politique chronique accompagnée de violences, compromettant en l’état tout projet sérieux de développement.

Dans une période plus récente, cette instabilité a été accentuée par des mutineries en 1996, 1997 et 1998, des tentatives de coup d’état les 27/28 Mai 2001 et 25 Octobre 2002 qui sont à l’origine de la destruction de la quasi totalité des infrastructures économiques et sociales et de l’éloignement des investisseurs sérieux, plongeant le pays dans un gouffre de misère sans précédent.

L’enjeu aujourd’hui c’est d’éviter que la République Centrafricaine déjà marginalisée dont le triste sort n’intéresse apparemment  personne s’enferme dans l’isolement. Sa situation mérite d’être portée à la connaissance de l’opinion car il fait partie de la communauté universelle des nations.

Au cœur du drame centrafricain, il y a d’abord l’armée ou du moins ce qu’il en reste puisque les crises successives ont fini par diviser ce corps social sensé être le mieux structuré pour assurer la cohésion nationale en toutes circonstances. L’armée a abandonné depuis longtemps son rôle classique et légal de défense et de protection des institutions républicaines et du territoire pour faire une intrusion permanente dans la vie politique.

C’est elle qui en 46 ans d’indépendance a dirigé le pays d’une manière ou d’une autre (13 ans de règne pour le Colonel Jean Bédel BOKASSA devenu Général et Maréchal, 12 ans pour le Général André KOLINGBA et 3 ans pour le Général François BOZIZE) avec des résultas catastrophiques que l’on sait.

Toutefois, la classe politique dirigeante dans son ensemble, composée d’hommes recrutés dans le même sérail de l’administration sans aucun renouvellement, n’est pas exempte de reproches.

Médiocre, corrompue, irresponsable, usée et sans véritable projet de développement mais toujours accrochée au pouvoir dont elle sait tirer les avantages à son profit exclusif au détriment de la population et de l’intérêt général, elle est coresponsable avec l’armée du chaos actuel.

A chacune des prises de pouvoir par la force par l’armée ou par un groupe d’individus armés, la justification avancée a toujours été la promesse de règlement des problèmes économiques et sociaux (toujours les salaires depuis le règne de BOKASSA!), le rétablissement de la justice ou de l’ordre, voire la protection des droits des citoyens mais l’expérience démontre qu’il n’en a jamais rien été.

Le coup d’Etat du 15 Mars 2003 qualifié à tort ou à raison par certains de « sursaut patriotique » mais dont on mesure mieux aujourd’hui les conséquences désastreuses, n’échappe pas à cette règle.

Le Général François BOZIZE n’avait-il pas annoncé qu’il venait simplement pour mettre de l’ordre dans la maison avant de se raviser ?

C’est d’ailleurs sur ce même registre que se place aujourd’hui un nouveau mouvement de rébellion armée dénommé « l’Union des Forces Républicaines » qui vient de faire son apparition dans le nord du pays et qui, à l’instar de la rébellion du Chef d’Etat-Major d’alors, veut conquérir le pouvoir par la force comme si la République Centrafricaine et les Centrafricains ne sont rien d’autre qu’un terrain d’expérimentation de toutes les aventures politiques.

Loin d’être un acte patriotique c’est-à-dire un engagement de Centrafricains sur un projet crédible de changement de la société pour le progrès, le putsch du 15 Mars 2003 rendu possible grâce au concours de forces extérieures notamment de mercenaires Tchadiens, rentre simplement dans une logique de la course au pouvoir qui a causé et qui continue de faire des dégâts considérables.

Les mercenaires Congolais du mouvement MLC de Jean Pierre BEMBA, désignés  improprement par les Centrafricains, « Banyamulengue », appelés à la rescousse par l’ancien  Président, Ange Félix PATASSE ont tué, violé enfants, femmes, et hommes et pillé.

Mais les mercenaires Tchadiens du groupe « Zaghawa », utilisés par la rébellion du Général BOZIZE ont aussi de leur côté commis les mêmes crimes, détruisant, pillant et emportant des biens de particuliers et des équipements des entreprises telles que les sociétés SOCOCA et KAJIMA (organisme japonais qui participe au projet de développement des infrastructures routières).

Que ce soit les mutineries ou les tentatives de coup d’Etat, les conflits ont, à chaque fois, donné lieu à des violations massives des droits de l’homme : assassinats, viols, pillages, destruction de biens mobiliers et immobiliers.

La Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH) a considéré que les violations  commises lors de la tentative de coup d’Etat du 25 Octobre 2002 relèvent des incriminations pénales de génocide, crime de guerre et crimes contre l’humanité comme le prévoit le Statut de Rome.

A la suite d’une enquête qu’elle a menée conjointement avec la Fédération Internationale des Ligues des Droits de L’Homme (FIDH), un rapport a été déposé au Bureau du Procureur près la Cour Pénale Internationale. L’Etat Centrafricain a décidé lui-même du renvoi de la même situation à la Cour Pénale Internationale.

Après son élection en 2005, le Président François BOZIZE n’avait-il pas déclaré solennellement que son mandat serait placé sous le signe du respect des droits de l’homme ?

Qu’en est-il concrètement  des droits de l’homme en Centrafrique ? 

 

I- Droits de l’homme et « Transition Consensuelle ».

Sur le plan du fonctionnement des institutions, après le 15 Mars 2003, la Constitution du 14 Janvier 1995 a été suspendue et la République Centrafricaine s’est retrouvée une fois de plus sous  un régime d’exception avec un Président auto-désigné.

Les pouvoirs de l’Etat étaient régis par deux Actes constitutionnels dans l’attente de l’élaboration d’une nouvelle Constitution et de l’organisation des élections générales.

Une période transitoire a été ouverte pendant laquelle les pouvoirs  exécutif et législatif ont été tous confiés provisoirement au Président de la République.

Le Président devait  légiférer par Ordonnance mais aidé en cela par un parlement provisoire, le Conseil National de Transition dont les membres nommés ou cooptés représentaient toutes les couches sociales. Les décisions devaient être prises par consensus d’où la notion de « transition consensuelle ».

Le Dialogue National d’Octobre 2003 auquel ont pris part plus de quatre cent personnes représentant toutes les couches sociales, a permis de poser le diagnostic des maux qui gangrènent la société centrafricaine et de proposer des solutions à travers des recommandations.

L’une des recommandations essentielles c’est l’engagement de tous les participants à résoudre désormais les différends et les conflits par le dialogue.

A vrai dire, au cours de la transition, l’Exécutif s’est montré plus enclin à un exercice solitaire, personnel et autoritaire du pouvoir plutôt qu’à rechercher un consensus d’où les conflits avec le Conseil National de Transition qui, à chaque fois, s’est érigé contre les dérives.

Théoriquement, le Conseil National de Transition ne pouvait émettre qu’un avis consultatif sur les projets d’Ordonnance. En fait, le Conseil National de Transition a joué un rôle déterminant dans les avancées significatives en faveur de la démocratie notamment dans l’élaboration des principaux textes tels que l’Ordonnance sur la liberté de la presse et de la communication, le projet de Constitution.

Le Conseil National de Transition s’est montré quelquefois audacieux allant jusqu’à a rejeter un projet de loi de finances jugé insuffisant et mal ficelé, obligeant le gouvernement à reprendre son texte, ce que n’a jamais fait une Assemblée Nationale élue en République Centrafricaine souvent cantonnée  à un simple  rôle de chambre d’enregistrement.

S’agissant de la situation des droits de l’homme, la période qui a immédiatement suivi le coup d’Etat du 15 Mars 2003 a été marquée par des assassinats, des destructions de biens mobiliers et immobiliers publics ou privés, particulièrement ceux des dignitaires de l’ancien régime et des pillages massifs.

Débordé par l’ampleur de la situation, le nouveau Maître des lieux a du faire appel à l’Armée Tchadienne pour le maintien de l’ordre.

Le fait le plus marquant c’est qu’une fois la période de trouble passée, un groupe de personnes qui ont été dans la rébellion avec le Général François BOZIZE mais faisant partie des Forces Armées Centrafricaines (FACA) et appelées « ex-libérateurs », a continué à faire régner la terreur contre la population, les personnalités, humiliant, frappant, extorquant des fonds à des commerçants et tuant sans la moindre inquiétude.

La justice impuissante n’a pu engager de poursuite puisque les magistrats craignent pour leur propre vie, sachant en plus que ces personnes bénéficient de la protection du pouvoir politique.

Sans être exhaustif, on peut citer quelques cas de crimes et délits commis par ces « ex-libérateurs » : assassinat d’un lycéen devant le Lycée Barthélemy BOGANDA, assassinat de Danchine MARZANE et Mamadou NGAÏSSONA, assassinat d’un militaire, ASSOMBELE, KOYANGAO, Marie France YALEGAZA etc,…

Les voies de fait, humiliations et les coups et blessures causés aux personnes ne se comptent pas : humiliation de Maître Emile BIZON, intervenu pour protester contre des coups portés à des conducteurs de taxi, coups et blessures contre Régis TIANGAYE, Claude SANZE et MANDABA, et contre la famille KOTEKE.  

Devant la fréquence des faits et l’inaction du Gouvernement, la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme a du interpeller le Président de la République en ces termes «…en sa double qualité de Président de la République, Ministre de la Défense et Chef Suprême des Armées, par son silence et son inaction, le Président de la République est personnellement et directement responsable de toutes les violations des droits de l’homme commises par les forces de défense et de sécurité depuis le 15 Mars 2003 ».

Il y a également eu de graves entraves à la liberté de circulation aussi bien des personnes que des biens par l’érection de barrières illégales par les forces de défense et de sécurité sur les voies publiques pour extorquer des fonds aux usagers. Les efforts du Gouvernement pour démanteler ces barrières sont restés vains.

Les droits économiques et sociaux sont simplement ignorés. Le paiement d’un salaire, contre partie d’un travail fourni n’est pas respecté. Le nouveau régime a déjà à son passif sept mois d’arriérés de salaires qui s’ajoutent à ceux accumulés sous le régime du Général André KOLINGBA et de celui de Monsieur Ange Félix PATASSE.

Les Centrafricains n’ont pas droit aux soins et les malades sans moyens financiers sont bien souvent résignés à attendre une fin fatale, les hôpitaux étant devenus de simples mouroirs.

Quant au système éducatif, il est totalement en ruine à cause de l’absence de moyens et de la démotivation du personnel enseignant.

Le chômage dont on ignore le taux est généralisé singulièrement celui des jeunes. Souvent sans aucune formation, ceux-ci sont exposés au banditisme et à la délinquance puisqu’il est apparemment devenu plus facile d’utiliser une arme pour obtenir des revenus en commettant des vols et des rackets plutôt que de travailler.

Quels sont les incidences du  retour à la légalité constitutionnelle sur les droits de l’homme ?

 

II- Droits de l’homme et retour à la légalité constitutionnelle.

Le retour à la légalité constitutionnelle s’est  fait en deux étapes : l’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution et les élections présidentielle et législatives.

En votant massivement au référendum constitutionnel pour le « oui » en Décembre 2005, les Centrafricains ont clairement fait le choix de rompre avec les errements du passé et montré leur détermination à vouloir vivre ensemble dans un pays pacifié où les droits de chaque individu et les droits collectifs ainsi que les libertés fondamentales seraient un peu plus respectés.

La Constitution du 27 Décembre 2005 contient à cet égard des garanties fondamentales obtenues par les luttes démocratiques.

Le processus électoral a connu des péripéties sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir, en particulier la disqualification par la Cour Constitutionnelle de Transition de certains candidats à l’élection présidentielle. Cela trahissait déjà les intentions du pouvoir actuel quant à sa volonté réelle de respecter les valeurs et les principes démocratiques.

Quoiqu’il en soit, le Président de la République  a été élu à 63% des suffrages et a obtenu une majorité à l’Assemblée Nationale pour gouverner et engager des réformes dont le pays a besoin.

On s’attendait qu’il s’attaque aux maux dont le diagnostic a été auparavant posé par le Dialogue National. Mais très rapidement, se sont mises en place les mêmes méthodes et les mêmes pratiques à l’origine des conflits et de l’instabilité, à savoir : le non-respect de la Constitution, l’affairisme, la gestion opaque des affaires de l’Etat, l’absence de dialogue entre le pouvoir et les composantes de la société y compris avec la majorité politique qui le soutient sauf s’il y est « invité » par les chancelleries étrangères, l’aversion pour les personnes qui ne font pas allégeance à son pouvoir, la consécration de l’impunité, etc…

Nonobstant l’interdiction de cumul des fonctions de Président de la République avec d’autres fonctions ou avec d’autres mandats électifs faite par la Constitution, le Président de la République continue de cumuler jusqu’à ce jour ses fonctions de Chef de l’Etat avec celle de Ministre de la Défense.

De même, à l’exception du Premier Ministre et de quelques membres du Gouvernement qui ont déclaré leurs patrimoines au Greffe de la Cour Constitutionnelle, déclarations non rendues publiques ce en contradiction aux dispositions de la Constitution du 27 Décembre 2005, le Président de la République et les députés n’ont toujours pas déclaré leurs patrimoines, les délais impartis par la loi fondamentale étant largement expirés depuis des mois.

Cette déclaration de patrimoine est pourtant un impératif de transparence dans la gestion des affaires publiques et participe à la bonne gouvernance en ce qu’elle peut permettre de contrôler les enrichissements illicites.

Les violations des droits de l’homme régulièrement dénoncées par la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme avec d’autres Organisations de défense des droits de l’homme au cours de la transition ont continué à se perpétrer après les élections et l’installation des nouvelles institutions.

Contrairement au dernier rapport du Secrétaire Général des Nations Unies au Conseil de Sécurité, se fondant sur le Bureau des Nations Unies en Centrafrique (BONUCA) selon lequel il y aurait une légère amélioration non sans relever que les violations des droits de l’homme persistent, ce qui est en soi contradictoire, la situation s’est plutôt empirée et aggravée avec la consécration de l’impunité.

Lorsque des crimes ou délits sont commis par des personnes proches du cercle du pouvoir, l’impunité totale leur est assurée.

Cette impunité devenue une méthode de gestion du gouvernement incite à davantage de violations des droits de l’homme et constitue un grave danger car elle va pousser les citoyens à la justice privée et populaire.

Sans être exhaustif et en suivant un ordre croissant dans la gravité des violations, il faut citer  en premier lieu les arrestations arbitraires souvent effectuées par des Officiers de Police judiciaire quelquefois à l’insu de leur hiérarchie qu’est le Parquet.

Ces arrestations arbitraires sont souvent un moyen pour des fonctionnaires de police indélicats d’extorquer de l’argent aux personnes concernées ou à leurs familles contre leur liberté.

Elles peuvent aussi être utilisées comme moyens de règlements de comptes et d’intimidation des opposants ou de personnes perçues comme telles. C’est ainsi que Monsieur Vermond TCHENDO, Président du Haut Conseil de la Communication et Monsieur Jean Michel MANDABA, député de la nation ont été arrêtés sans motifs par l’équipe des « ex-libérateurs » et passés à tabac.

Ensuite, il y a le sempiternel problème des délais de garde-à vue qui ne sont jamais respectés.

Les personnes placées en garde-à-vue, au lieu d’être retenues 48 heures avec une possibilité de renouvellement une fois pour les délits de droit commun comme le prévoit le Code de Procédure Pénale, sont souvent et régulièrement maintenues plusieurs jours voire des semaines ou des mois à BANGUI mais cela peut arriver à un an en province.

Les abus dans les placements en détention provisoire sont nombreux. Il n’est pas rare qu’une personne détenue au titre de la détention préventive pour des faits mineurs soit jugée plusieurs années après.

Pour justifier ces violations, le parquet invoque toujours l’absence de moyens pour mettre en œuvre la politique pénale.

Dans la capitale, des efforts ont été accomplis pour améliorer la situation carcérale à la Maison Centrale de Ngaragba et du Centre de détention  pour femmes de BIMBO mais dans les provinces, il n’en est pas de même.

 La Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme a été saisie à la fin de l’année 2005 des cas de décès pour défaut de soins ou d’alimentation de 8 prisonniers dans la ville de BOUAR et 27 dans la ville d’YPPY.

Les exécutions sommaires et extra-judiciaires pratiquées par la police particulièrement par l’Office Centrafricain de Répression du Banditisme (OCRB) sont courantes. Elles ne se font plus en cachette. Pourtant, l’effet soit disant dissuasif recherché n’est pas avéré puisque les vols à mains armées continuent d’être commis. Malgré leur dénonciation par les Organisations de défense des droits de l’homme, les exécutions sommaires et extra-judiciaires de l’OCRB se poursuivent.

Les atteintes aux libertés individuelles et collectives s’intensifient  en fonction du climat social.

La presse privée indépendante exerce librement son activité. Cependant, elle fait toujours l’objet de pressions directes du Ministre de tutelle ou des menaces de certains éléments des forces de défense et de sécurité qui n’admettent pas que soient exposés en public et critiqués, leurs comportements ou les exactions qu’ils commettent sur la population civile.

C’est ainsi que Monsieur Maka GBOSSOKOTTO, Directeur de publication du quotidien « Le Citoyen » et Président de l’Union des Journalistes de Centrafrique (UJCA), Monsieur Patrick AKIBATA, Monsieur Jean Louis GONDAMOYEN et Monsieur Zéphyrin KAYA respectivement Directeur et journalistes à la radio privée NDEKE LUKA de la fondation Suisse « Hirondelle » sont constamment sous les menaces dans l’exercice de leur métier.

Courant Décembre 2005, le gouvernement a décidé d’interdire la tenue d’un meeting organisé par un syndicat, l’Union  Syndicale des Travailleurs de Centrafrique (USTC) à la Bourse du travail pour expliquer les motifs d’un mouvement de grève concernant les arriérés de salaire des fonctionnaires. En même temps, les forces de l’ordre ont occupé la Bourse du travail qui est un local affecté aux activités syndicales pendant plusieurs jours, ce en violation de la Constitution qui prévoit la liberté de réunion et la liberté syndicale.

A l’occasion de ce mouvement, Monsieur Noël RAMADAN, Secrétaire Général du Syndicat « USTC » a été arrêté, conduit à la Gendarmerie sans motifs sérieux. Il n’a pu obtenir sa liberté que grâce à l’intervention directe du Premier Ministre, Monsieur Elie DOTE qui, excédé par ces pratiques arbitraires, s’est rendu personnellement à la Gendarmerie pour le conduire chez lui.

Intervenant sur l’occupation de la Bourse du travail par les forces de sécurité, le Président de la République n’a-t-il pas de manière menaçante, dit que les militaires ne connaissent pas le droit ? Une manière de signifier qu’il n’y a que la force qui compte, donc la force prime le droit.

Comment imaginer que le Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées, garant des institutions et du respect du droit de chaque citoyen puisse nier la force et la primauté du droit au respect duquel tout le monde est astreint à commencer par l’Armée dont la mission doit reposer sur  la loi ?

Peu imprégné de culture démocratique, ce pouvoir foncièrement militaire reste encore persuadé que les droits de l’homme sont un concept importé qui lui est étranger. Il ne les évoque que par la nécessité de répondre aux exigences des partenaires au développement et non par une volonté de l’intégrer comme une condition nécessaire  du développement humain.

Malgré l’onction démocratique, les droits de l’homme sont loin de constituer à ses yeux une valeur fondamentale, ce qui fait dire que, bien qu’issu des urnes, ce pouvoir est en réalité un pouvoir  autoritaire au visage masqué.

Alors qu’il dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée Nationale, le Président de la République a décidé de demander à l’Assemblée Nationale de l’autoriser à légiférer par Ordonnance pendant 9 mois sans circonscrire le domaine d’intervention.

Devant la réaction des Organisations de Défense des Droits de l’Homme qui ont dénoncé ce projet comme une tentative d’imposer la dictature, suivies en cela par des partis d’opposition voire certains députés de la majorité présidentielle, la durée prévue par la loi d’habilitation a été réduite à deux mois par l’Assemblée Nationale.  

Néanmoins le domaine d’intervention pour lequel la loi d’habilitation a été votée, à savoir la sécurité, les finances et la fonction publique, fait craindre des mesures liberticides et arbitraires susceptibles d’être validées a posteriori par l’Assemblée Nationale.

Les violations des droits de l’homme ont atteint un summum en Janvier 2006. En effet, le 2 Janvier 2006, aux environs de 18 heures, une rixe a opposé, deux militaires, le Sergent-Chef Claude SANZE, ancien aide de camp de Maître Nicolas TIANGAYE,  ancien Président du Conseil National de Transition, ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de Centrafrique et ancien Président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme, au Sous-Lieutenant Wilfrid YANGO KAPITA antérieurement dans la rébellion armée, au quartier Gobongo à BANGUI.

A la suite, Claude SANZE est rentré à son domicile mais il a été suivi quelque temps plus tard par YANGO KAPITA, lui-même accompagné d’hommes armés. Ceux-ci ont ouvert le feu sur Claude SANZE. Les témoignages font état de trois détonations. En riposte, Claude SANZE a abattu YANGO KAPITA et s’est réfugié au Bureau des Nations Unies en Centrafrique (BONUCA) où il s’est constitué prisonnier. Remis à la Gendarmerie sur instructions du Parquet, il a été placé en garde-à-vue au Service de Recherches et d’informations (SRI) donc sous la responsabilité de la justice.

Des propres aveux du Président de la République lors d’une intervention à Radio France Internationale le 10 février 2006, « des frères d’arme », c’est-à-dire des camarades de YANGO KAPITA pendant la rébellion mais qui se trouvent être aujourd’hui des soldats de l’Armée Centrafricaine, lourdement armés, conduits par un véhicule militaire bien identifié se sont rendus au « SRI », lieu de garde-à-vue de Claude SANZE, pour l’extraire de sa geôle, le torturer, le mutiler avant de l’abattre sauvagement.

Dans le même temps, d’autres hommes armés se sont rendus au domicile de Maître Nicolas TIANGAYE dans la soirée du 2 janvier et le lendemain matin pour l’assassiner. Ne l’ayant pas trouvé ni sa famille, ils ont mis à sac quatre véhicules et sa maison et ont pillé des objets personnels.

Devant la gravité de ces actes criminels accompagnés de l’impunité puisque les auteurs présumés de tous ces faits n’ont jamais été inquiétés, le pouvoir a tenté d’abord de minimiser la situation avant de se dévoiler.

Il a parlé d’une « affaire entre militaires » pour l’assassinant de Claude SANZE et de « dommage collatéral » pour qualifier l’attaque du domicile de Maître Nicolas TIANGAYE, prétendant que celui-ci n’était pas visé.

Mais lors de son entretien du 10 Février 2006 avec la presse, le Président de la République a clairement pris parti pour ses compagnons de la rébellion en défendant les comportements criminels au lieu de défendre la loi,  les principes de droit et la justice.

Il a en même temps fait un double aveu en désignant «les frères d’arme» de YANGO KAPITA, c’est- à-dire les camarades de YANGO KAPITA dans la rébellion ou «ex-libérateurs» comme les auteurs présumés de l’assassinat de  Claude SANZE.

Il a ensuite reconnu implicitement non pas la complicité passive des autorités politiques comme l’ont déclaré les Organisations de défense des droits de l’homme mais bien mieux, leur complicité active. A cet égard, il faut rappeler que le Ministre de l’Intérieur Chargé de l’Administration du Territoire, tout en excluant la complicité, avait néanmoins  auparavant reconnu la responsabilité des pouvoirs publics.

On ne saurait en aucun cas, sauf à méconnaître le droit et la loi, placer sur le même pied d’égalité comme le fait le Gouvernement, le meurtre commis par Claude SANZE dans des conditions susceptibles de constituer une légitime défense et un assassinat d’Etat, pure application de la loi de Talion commis par «les frères d’arme» de YANGO KAPITA.

Alors que les Organisations de défense des droits de l’homme ont exigé une véritable enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités puisque certains auteurs de ces crimes sont bien identifiés, le Gouvernement se borne à solliciter un rapport confié à on ne sait quel organe.

Dans ces conditions, on peut légitimement se poser la question sur l’utilité de la justice en Centrafrique. 

La stratégie du Gouvernement vise ni plus ni moins à enterrer une affaire dont l’éclairage risque de mettre à jour une éventuelle collision entre le pouvoir et sa main armée qui bénéficie de toutes les protections.

Le Président de la République a annoncé des suites judiciaires à cette affaire dans son interview à Jeune Afrique L’Intelligent N°2352 du 5 au 11 Février 2006. On peut toutefois se demander pourquoi l’exfiltration des auteurs présumés de ces faits au Gabon alors que c’est la justice centrafricaine qui doit être saisie pour sanctionner les coupables si leur responsabilité est établie et décider ensuite d’une indemnisation des victimes s’il y a lieu.

L’évocation de suites judiciaires par le Gouvernement ne pourra être prise au sérieux que si celui-ci démontre qu’il a effectivement par le passé, lutté contre l’impunité et indique le nombre des poursuites judiciaires effectivement engagées depuis le 15 Mars 2003, le nombre des condamnations prononcées ou des relaxes si les personnes concernées sont innocentées ainsi que la nature des juridictions saisies.

Or cela est loin d’être le cas.

Le problème de sécurité affecte l’Etat dans ses fondements. Malgré les affirmations du Gouvernement selon lesquelles la sécurité est assurée à 90% à BANGUI et à 80% sur le reste du territoire on ne sait d’ailleurs pas sur quels critères objectifs il se base, l’insécurité est généralisée entravant la liberté de circulation des biens et des personnes aggravant ainsi la situation économique et sociale déjà désastreuse.

Il suffit  par exemple de se rendre au bord du fleuve Oubangui au marché de KOLONGO pour constater l’importation massive des produits vivriers des deux Congo. L’explication c’est que les paysans Centrafricains produisent de moins en moins puisqu’ils ne peuvent pas se rendre librement dans leurs plantations à cause de bandes armées incontrôlées qui écument toutes les régions.

L’approvisionnement de la ville de BANGUI  en produits vivriers par les villes des provinces est devenu plus difficile. Certaines villes sont totalement coupées du reste du pays.

L’insécurité est imputable aux bandits de grand chemin, appelés «coupeurs de route» ou encore « Zaraguinas ». Mais elle est aussi le fait de quelques éléments des Forces Armées Centrafricaines « FACA » qui sèment la terreur. Ceux-ci, soupçonnant la population d’être complice des coupeurs de route ou de la rébellion dont l’existence est pourtant niée par le Gouvernement qui utilise la périphrase de « bande Armée non identifiée » pour la désigner, en représailles, se livrent à des opérations punitives par des exécutions sommaires et extra-judiciaires, et l’incendie des villages.

Après des exactions commises sur la population dans la préfecture de l’OUHAM (à KABO, BOSSANGOA, MARKOUNDA et NANGA-BOGUILA), c’est dans la préfecture de l’OUHAM-PENDE en particulier dans la ville de PAOUA que des exécutions sommaires de personnes ont été perpétrés fin Janvier 2006, poussant la population à se réfugier dans la brousse ou à grossir le nombre de réfugiés au Tchad.

Depuis trois ans, les Organisations de Défense des Droits de l’Homme n’ont cessé de dénoncer l’impunité assurée  aux « ex-libérateurs » qui terrorisent la population par des exactions de toutes sortes, mettant en péril la cohésion nationale. Le pouvoir dont ils constituent le bras armé a toujours fermé les yeux sur leurs comportements criminels.

Si rien n’est fait pour mettre rapidement un terme à ce terrorisme d’Etat, la République Centrafricaine se dirige inéluctablement vers une explosion.

L’état des lieux des droits de l’homme ainsi dressé est lourd. La situation de violence institutionnalisée et les violations des droits de l’homme compromettent tout projet sérieux de développement de la République Centrafricaine.

Aussi, il est devenu urgent de les faire cesser immédiatement grâce à l’action conjuguée des défenseurs des droits de l’homme, de l’opinion, des partenaires au développement et des citoyens. Il faut se mobiliser pour exercer des pressions sur  l’Etat Centrafricain pour qu’il respecte les droits de l’homme et ses engagements internationaux.

Lyon, le 21 février 2006

Me Nganatouwa GOUNGAYE WANFIYO,
Président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme – LCDH