LE MEURTRE DE BANZA : 11/04/69 (il y a 37 ans)

 

Aujourd’hui 11 Avril 2006, cette date nous dit-elle quelque chose ?

Faire entrer le Centrafrique dans une ère nouvelle est une obligation, mais entretenir la mémoire, notre mémoire collective est un devoir afin que les petites choses qui sont à l’origine du plongeon continu de notre pays soient sues et servent de référentiel.

Le 11 avril 1969, après la réalisation de la 1ère phase (arrestation) du plan de liquidation du colonel Banza, cet après-midi sera marqué  par l’exécution de celui qui, avec les généraux Malendoma, Magalet (tous deux lieutenants lors de la Saint-Sylvestre 65) et Bokassa 1er ; sont les pères du coup d’état qui eut raison de Dacko 1.

Entretenir la mémoire est un devoir disais-je, c’est pourquoi, après avoir parcouru plusieurs documents, je vous mets ici, le film des évènements ayant aboutis à la liquidation (programmée) du colonel Banza. C’est le fruit de compilation de l’ambassadeur *Schonen, qui remplaça l’ambassadeur Herley à Bangui et qui voulut mettre à la lumière, ce que personne ne voulait savoir ou savait mais taisait. Ce texte est extrait des reprises des notes de son prédécesseur.

Dans ce Centrafrique où l’on passe la majorité du temps en gaspillant moyen et énergie pour valoriser un passé creux, il est temps que ceux qui  savent, parlent. Le présent texte est une contribution à cette œuvre.

 * Schonen et Herley furent Ambassadeurs  de  France à Bangui dans les années 60/70.

 

L’ambassadeur de Schonen résuma ainsi l’affaire Banza qui eut lieu sous son prédécesseur, en avril 1969, deux mois après la première visite officielle et prestigieuse de Bokassa à Paris. Monsieur l’Ambassadeur qui avait la plume incisive, codifia alors par écrit ce que d’aucuns n’ont jamais voulu savoir :

«  Un des principaux  instigateurs du coup d’Etat de la Saint-Sylvestre avait été  le colonel Banza, mais ce fut le colonel Bokassa qui, profitant  de ses fonctions de Chef d’état major, en tira avantage. D’ethnies différentes, l’un  étant Gbaya et l’autre Mbaka, ils devinrent  bientôt rivaux. Chacun avait ses fidèles et la tension régnait au sein du gouvernement. Promu tout d’abord ministre d’Etat, puis ministre de l’Economie et des finances, le colonel Banza fit preuve de solides qualités d’intelligence. Cela ne pouvait qu’inquiéter le président qui réduisit progressivement son rôle, le privant de  sa qualité de ministre d’Etat  pour finalement, le reléguer au ministère de la Santé.

  Le 11 avril 1969, au matin, la radio annonçait que, dans la nuit, le colonel Banza avait tenté de soulever la garnison du Kassaï, aux portes de la capitale, pour prendre le pouvoir. Arrêté par des officiers fidèles au général Bokassa, le rebelle avait vite été maîtrisé. L’événement avait effectivement créé dans la nuit une agitation telle que la garnison française s’était discrètement mise en alerte.  Depuis un an, une centaine de parachutistes français se trouvaient en garnison à Bangui, ceci sur la demande faite au général De Gaulle par le général  Bokassa qui voyait le moyen de préserver son régime contre quelque nouveau coup d’Etat. Dès l’aube, un conseil des ministres se réunit et décide de convoquer l’Ambassadeur de France : le colonel Banza avait avoué, prétendait-on, avoir agi avec l’appui du représentant de la France. A peine assis à la table du Conseil, M Herly (l’ambassadeur de France à l’époque) se vit en bute aux pires accusations et le général Bokassa lui déclara qu’il devait se considérer « persona non grata ». Niant toute complicité dans cette affaire, mon prédécesseur insista pour être confronté avec le colonel Banza. « Il n’est pas montrable », lui répondit-on.

Par téléphone, notre ambassadeur rendit compte de la situation à M. Foccart (Secrétaire général de la Présidence française, chargé des affaires africaines et malgaches) qui appela aussitôt le général Bokassa. Deux heures après, M Herly était de nouveau convoqué au conseil des ministres, mais cette fois pour recevoir l’accolade du général Bokassa qui le pria d’oublier l’incident.

En réalité le colonel Banza était tombé dans un guet-apens. Appelé dans la nuit  au camp Kassaï par le Sous-chef d’état-major, le colonel Mandaba, il s’y rendit d’urgence, vêtu seulement d’un pantalon et d’un maillot de corps. Néanmoins il se fit accompagner par un ami, le commissaire de police Kallot, qu’il laissa à l’entrée du camp en lui recommandant de donner l’alerte s’il tardait à revenir. A peine avait-il pénétré dans l’enceinte qu’il recevait un coup de poignard dans le dos, puis on le traîna dans un local pour le revêtir d’une tenue d’officier parachutiste afin de donner quelque vraisemblance à l’intention qu’on voulait lui prêter de soulever la garnison. On le tortura ensuite pour l’obliger aux aveux qu’on désirait obtenir.

C’est alors que le commissaire Kallot, inquiet d’une longue attente, alla à sa recherche et fut surpris de le voir  dans cet uniforme, menotte aux mains. Le commissaire dont on n’avait évidemment pas prévu la présence fut pris à parti, eut la mâchoire brisée et se retrouva dans une cellule à la prison de Ngaragba. Il fut amené le lendemain au Conseil des ministres où il sauta sur le général Bokassa, lui serrant la gorge entre ses bras liés par des menottes. Frappé, ramené en prison, il y sera empoisonné à petites doses quotidiennes. Il mourra en quelques mois. Sa veuve et ses enfants déportés à l’Est du pays ignorent encore le sort de leur mari et père.

Que sous l’effet des sévices et d’un interrogatoire habilement orienté, le colonel Banza ait prononcé le nom de l’Ambassadeur de France, l’hypothèse n’est pas à exclure et tout est possible dans cette affaire, puisqu’un Tribunal militaire réuni dans l’après-midi le condamne à mort sans qu’il ait pu avoir recours à l’assistance d’un avocat. Il n’était déjà qu’une loque humaine et c’est ce qui explique que le chef de l’Etat   se soit opposé à la confrontation demandée par M. Herly.

Il fut fusillé en fin de journée et tandis que, dans la nuit, le général et son épouse dansaient à l’hôtel Safari pour fêter cet évènement, à cinq cents mètres de là, des chiens affamés s’arrachaient un pied humain, celui du colonel Banza enterré sous quelques mottes de gazon. »

Cette version de M. Schonen contredit quelque peu celles écrites jusqu’à présent qui attestaient que Banza, lorsqu’il fut arrêté par le capitaine Mandaba au camp Kassaï, était bel et bien entrain de passer à l’action.

Bokassa, lui, dans La Manipulation, expose sa version toute carrée du « militaire que je suis » de l’affaire Banza. «  En ce qui concerne Banza, dit-il, son cas est simple. Je l’avais fait lieutenant-colonel, puis ministre d’Etat chargé des finances. En avril 1969, il a tenté de soulever l’armée pour prendre le pouvoir et il a voulu me faire tuer. Il a été jugé et condamné à mort par le tribunal militaire. Et le tribunal militaire avait toutes les preuves. Dans tous les pays du monde, pour tous les chefs d’Etat, il existe des actes graves qui entraînent des sanctions graves. C’est la loi de la raison d’Etat. Les français ont connu ça du temps  du général  De Gaulle. Le tout est de savoir quand on peut, ou non, punir. »

Bokassa ne se pose nullement  la question du bien fondé d’un Tribunal militaire permanent, dont les décisions sont sans recours, qui, dans le cas de Banza, jugé à huis clos, ne laisse pas de place à la défense. Quant à la raison d’Etat, est-ce en son nom que l’on s’acharnera sur toute personne qui touchait de près ou de loin le supplicié ?

Si la famille du commissaire Kallot ne connut pas le sort qui fut réservé à leur père et époux, celle de Banza eut à pâtir de son échec, car il s’est avéré qu’Alexandre Banza ambitionnait réellement de s’emparer du pouvoir. Sa femme et ses neufs enfants furent déportés à Birao dans le nord du pays, pendant quatre ans. Son père, arrêté, sera ballotté de cellules  en cellules pour mourir un an plus tard, en avril 1970. De ses deux marabouts arrêtés aussi, un seul survécu. Ses frères, l’un sous-préfet de la localité de Carnot en pays Gbaya, l’autre  chauffeur, et le troisième lycéen furent aussi du lot : deux ans plus tard, deux furent exécutés, comme tant d’autres, en secret, et le troisième s’éteignit de mort lente. Sa maîtresse ne sortit de prison qu’en juin 1972. Un ami de la famille, Polycarpe Gbaguili, connut la prison jusqu’à la chute de l’empereur.

Bokassa s’acharna, bien après avril 1969, sur des supposés amis de Banza, dont le seul tort était d’être  originaire de même ethnie de Banza ou région que lui. En 1971, l’ambassadeur Kombet, arrêté dès son retour de Rome où il était en poste, ne sortira de cellule qu’à la chute du régime en 1979. un surveillant d’études de la ville de Berberati, qui émit des remarques sur l’arrestation de  l’ambassadeur Kombet, fut aussitôt arrêté et disparût tout aussi vite. Un militaire qui crut pouvoir donner des détails sur l’exécution de Banza dans une lettre à un ami fut condamné à dix ans de réclusion par le TPM. L’aspirant Moussa, accusé de complicité, disparu à tout jamais, deux ans après son arrestation en novembre 1971. Yves Berke, qui écrivit quelques mots sur les débuts de troubles qu’avait suscités l’exécution de Banza en pays Gbaya -Bokassa y envoya d’ailleurs des troupes- fut arrêté fin juin 1969, et lui aussi ne revit la lumière qu’à la faveur de la chute de Bokassa en 1979. Dix ans et quelques semaines de cachot, pour quel motif ?    

Des années plus tard la chasse aux sorcières perdura. Le sous-préfet de Carnot, Kenguelewa Aboubakar, qui avait remplacé le frère de Banza, fut arrêté en 1970 et tué quelques jours après. Il avait simplement refusé à un diamantaire de s’installer dans la région bien que ce dernier fut pourtant détenteur d’un permis d’exploitation. Au cours du procès de Bokassa en 1987, d’interminables débats ont occupé cette affaire. L’on put se rendre compte alors de la légèreté des décisions : le sous-préfet Kenguelewa fut-il transféré sur ordre ? Ecrit ou verbal ? De qui ? De Bokassa ? L’on put voir aussi comment la machine répressive fonctionnait. Un commandant de la gendarmerie de Bangui refusa d’interner ce sous-préfet u motif qu’il ne dépendait pas de sa juridiction. Une note manuscrite de Bokassa, appuyée par l’ordre ferme d’un supérieur et le « conseil » d’un coopérant français, suffit à passer outre cette coquetterie de militaire.

Au procès, Bokassa nia fermement avoir donné un ordre quelconque pour faire enfermer ce sous-préfet mais, paradoxe, reconnut avoir nommé son remplaçant, sans se demander  où était passé le titulaire du poste. Comment apprit-il tout de même la mort de cet agent de l’état ?, lui demanda-t-on. « Par les ‘on dit’ », répondit-il froidement. Et Bokassa d’ajouter : « Mon sous-préfet était en colère devant un refus d’eau. C’est lui qui aurait tapé sur un gardien et les autres l’auraient cassé… » . Mais, «  est-ce sûr ? », s’interroge - t’il encore à l’audience, non sans cynisme, de la part d’un chef d’Etat qui pouvait savoir pratiquement tout ce qui se disait ou se tramait dans Sa République, tant  les délations, dénonciations, et pratiques de surveillance fonctionnaient à merveille. L’ambassadeur de Schonen donna quelques éclaircissements sur ces pratiques en vigueur : «  Irrité par des articles peu flatteurs publiés dans la presse étrangère, le Général Bokassa était persuadé que les journalistes obtenaient leurs informations de correspondants vivants en Centrafrique et il imagina de censurer les lettres au départ et à l’arrivée […]. »

 

Comment donc croire un Bokassa à qui l’on faisait lecture quotidienne du courrier de toute la république, mais qui n’était pas au courant de ce qui  faisait résonner les murs de Ngaragba ?

Le texte ci-dessus est extrait des pages 74/75/76/77/78/79 de
Bokassa 1er La grande mystification
René-Jacques Lique
Edition CHAKA, Janvier 1993
I.S.B.N 2-907768-20-4