Assana avait encore été témoin

Même si le Général Bozizé ne s’aventurait pas régulièrement dans les quartiers populaires de Bangui, ni n’avait récemment visité certaines villes importantes des provinces pour se rendre compte de la misère dans laquelle le peuple centrafricain vit, nous demeurons persuadés que quelqu’un dans son entourage lui aurait soufflé ou décrit les drames quotidiens que ces hommes, femmes et enfants vivent dans le pays.

Le Général Bozizé a dû dire à qui voulait l’entendre que cette souffrance du peuple n’avait rien de comparable aux privations qu’il avait, lui aussi, endurées dans ses exils et dans ses célèbres cabales. Nous serions curieux de savoir si les intentions qu’il mûrissait alors avaient été de priver le peuple de sa liberté et autres droits fondementaux, afin de faire partager avec celui-ci toute son amertume, ou de mouler le peuple à son image d’homme fort et combatif. Si oui, cette pensée pourrait indiquer une pathologie. Si non, est-ce que quelqu’un pourrait donner au peuple une réponse satisfaisante qui expliquerait les fondements de l’usage de méthodes policières, contraires à la constitution, méthodes suicidaires qui avaient amorcé le commencement de la fin de tous les régimes qui en avaient fait usage à Bangui?

Hier, des centrafricains et des mercenaires étrangers avec Bozizé à leurs têtes, s’étaient vanté d’être enfin les libérateurs. Mais ceux-ci avaient oublié qu’avant eux, il y avaient eu les élèves et les étudiants, les syndicalistes, et les médias occidentaux qui avaient été les initiateurs, puis les véritables instruments du mouvement de libération en Centrafrique. Ce premier grand mouvement de mécontentement et de révolte, populaire avait servi à démanteler le système état-parti unique, qui avait existé à l’époque dans le pays. Il serait également juste de reconnaître que malgré sa rélégation à la clandestinité, le mouvement du Professeur Goumba avait pris part, puis avait lui aussi largement contribué au changement politique survenu dans le pays à cette époque.

Dans l’euphorie de la chute de l’empereur, de nombreux nouveaux partis politiques avaient vu le jour, et le peuple centrafricain était civilement allé aux premières élections présidentielles et législatives, pluralistes, jamais organisées de mémoire. Cependant, il faudrait rappeler pour la petite histoire que 20 ans après son accession à l’indépendance, ces consultations électorales d’alors avaient permis de désigner la Republique Centrafricaine comme la première véritable démocratie en Afrique Noire.

Depuis cette époque, l’histoire avait démontré que la démocratie en Centrafrique avait des sauts d’humeur. Cependant le peuple avait fait montre de beaucoup de tact et de détermination pour continuer à la préserver. Les hommes politiques et les militaires avaient fait porter à cette démocratie touts les accoutrements possibles. La régime de Kolingba avait généré le RDC, le parti du président; les autres partis politiques sans grande audience avaient été relégués à la périphérie des grandes décisions nationales. Parce que Kolingba avait autorisé l’existence de plusieurs partis politiques, celui-ci avait cru que cet acte avait constitué une condition nécessaire et suffisante pour faire mériter à son régime l’appellation de démocratie. Patassé avec les barons du MLPC nous avaient offert une démocratie populiste qui avait malheureusement abouti à un régime du type dictatorial; les autres partis politiques autorisés ne faisant que de la figuration. Puis, Bozizé avait introduit cette autre dictature sous le prétexte d’une libération. En fait, sa libération avait retiré le peuple centrafricain des fers de Patassé pour lui passer à nouveau aux pieds des chaînes dorées cette fois. Dites-nous où donc se cacherait toujours cette liberté en question? Est-ce que parler de cette liberté en Centrafrique serait simplement de la frime?

Enfin, essayons de voir ces évènements d’un peu plus près. Patassé avait été porté au pouvoir par la révolte populaire contre le népotisme et autres tares-chronismes du régime Kolingba. Les espoirs du peuple de confier sa destinée à un nouveau parti politique constitué cette fois d’une véritable classe de technocrates et de grands camarades patriotiques avaient rencontré, au fil des années, ces mêmes maux que le peuple avait reprochés à Kolingba. Patassé, son clan et certains militants du MLPC avaient volontairement oublié toutes les promesses que les anciens dirigeants de ce parti avaient faites au peuple quand tout le monde luttait pour le rétablissement de la liberté, des droits de l’homme et pour le développement économique du pays. En plus de la démonstration de la parfaite démagogie de Patassé et de celle de l’incompétence des cadres du MLPC à résoudre les véritables crises chroniques que le pays avait héritées, Patassé avait surtout estimé que sa personne et sa démocratie n’avaient de compte à rendre à personne parce qu’il avait été démocratiquement élu. Il avait eu la ferme conviction que le pays ne devrait fonctionner que par sa propre lecture de la définition nouvelle qu’il donnait au terme démocratie. Mais Bozizé ne l’entendant pas de cette oreille était entré en rébellion, parce que Patassé refusait la tenue du dialogue national; ceci en avait été la version officielle.

En engageant dans ses rangs des hommes des anciennes rébellions tchadiennes, et, en leur faisant reluire l’idée du partage d’un butin de guerre inestimable, Bozizé avait fait entré sur le territoire des forces étrangères dont les vestiges écument encore aujourd’hui les régions paisibles de l’arrière pays. Nous écrivions que tout le mérite et la gloire seraient revenus à Bozizé s’il refusait de se présenter aux élections présidentielles de 2004 et laissait à un nouvel homme, indépendent de toutes ses combines, la pleine charge de débarasser définitivement le pays de ce problème d’insécurité. Il avait fait fi de cet avis et d’autres. Voilà, il gardera longtemps son épine dans le pied! Nous espérons cependant qu’il saura éteindre l’incendie qu’il avait lui-même allumé et éviter au pays de payer le prix cher de ses erreurs de jugement.

Mettons-nous bien d’accord sur un point. Nous ne remettrons point en question l’élection de Bozizé. Cependant nous nous demandons si vraiment si chaque citoyen et le peuple centrafricain avaient fait les bons choix des leaders, capables de comprendre et de protéger les intérêts de toute la population, puis de conduire les destinées du pays à bon port. Le peuple centrafricain et la communauté internationale avaient espéré qu’une fois que les structures démocratiques et autres auraient été assises, le gouvernement de Bozizé et la nouvelle assemblée nationale s’empresseraient de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour engager le développement du pays dans le grand respect des règles démocratiques élémentaires approuvées. Malheureusement nous apprenons que l’histoire serait en train de se répéter. Et nous pourrons prendre la liberté d’affirmer que ce qui manque fondamentalement au régime de Bozizé et qui manquait à ceux qui avaient précédé, avait été la capacité de rassembler toutes les couches sociales du pays, de les écouter attentivement, puis avec celles-ci de discuter des différentes options raisonnables, pour résoudre chaque crise du pays. La non maîtrise de ces habiletés élémentaires avaient entraîné chaque régime du passé vers sa fin.

Mais enfin, pourquoi reprochiez-vous hier à l’administration coloniale française d’avoir mis vos pères et oncles dans les fers si aujourd’hui vous utilisez avec beaucoup d’arrogance et de zèle ces mêmes méthodes spartiates pour museler le cri de désespoir des travailleurs centrafricains qui sont vos frères et soeurs, oncles et tantes, cousins et cousines, neuveux et nièces? Vous avez déjà oublié qu’il y a un peu plus d’un an, la majorité de la population vous avait désignés pour guider le peuple dans la résolution des problèmes difficiles qui le concernent? Ne vous étiez-vous pas portés volontaires et n’aviez-vous pas prêté le serment pour ce faire? Mais qui donc vous avait forcé les mains pour accepter ces lourdes charges? Ou bien est-ce que vous sous-estimiez ces responsabilités? Est-ce que l’usage des forces de l’ordre à la bourse du travail du quartier Assana serait enfin le seul argument qui resterait à Bozizé lorsque le dialogue devrait être considéré une nécessité et une urgence? Mais que reprochait-il donc à Patassé? Faudrait-il rappeler qu’écouter, puis discuter civilement avec ses frères et soeurs, aussi longtemps que faire se peut, pour trouver des solutions acceptables, ne sont point des signes de faiblesse d’un régime politique.

Nous recommenderons au Général Bozizé et autres dirigeants politiques et militaires de jeter un coup d’oeil à l’histoire des 30 dernières années du pays et de passer à la loupe tous les détails. Peut-être y trouveront-ils des leçons à retenir et feront usage de sagesse pour éviter au pays les répétitions des mêmes et anciennes vicissitudes.

Jean-Didier Gaïna
Virginie, Etats-Unis d’Amérique (
19 décembre 2005)

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