Qui donc aurait les charges du développement de la Centrafrique?

 

Les politiciens, les fonctionnaires de son administration et ceux des institutions internationales d’assistance technique, qui avaient pensé avoir le monopole des réponses pertinentes aux problèmes économiques, sociaux et politiques du pays, vous rétorqueraient que cette question n’aurait aucun mérite, puisque tout ceux que nous avons nommés plus haut s’y étaient attelés depuis plusieurs décennies, et que formuler une telle boutade démontrerait de notre part une connaissance très limitée des progrès enregistrés et des grands maux du pays. Et ils auraient en partie raison, si l’on considère que depuis l’indépendance de ce pays, les leaders des régimes et leurs hommes avaient été très passionnés et actifs dans leurs visions des changements économiques et sociaux à accomplir, et qu’en cherchant bien dans les archives du ministère de l’économie et des finances, ou dans ceux du plan et de la coopération internationale l’on trouverait les listes des grands projets de développement, concoctés par les uns et les autres, et qui auraient pu apporter les changements positifs tant attendus pour ce pays et pour la population.  Une lecture minutieuse de telles listes des grands projets de développement, tout secteur confondu, révélerait surtout les montants d’argent, faramineux, qui avaient été investis dans ces projets et qui étaient allés en réalité dans ce que nous appellerons le trou noir du sous-développement du pays.  Mais notre sarcasme mis à part, serions nous en droit de demander et de vouloir savoir où seraient passés tout ces bons résultats économiques et sociaux que tous avaient escomptés en faveur de la population lorsqu’ils avaient  concocté ces divers projets de développement? Si les statistiques manqueraient pour soutenir nos propos, nous vous proposerons d’effectuer un tour dans l’arrière pays par la route vers Ndjoukou, Mala ou Boganangone ou dans une direction quelconque de votre choix.  Nous serons heureux de lire vos impressions.

 

Considérons les assertions suivantes à propos de certains maux du pays: un régime autoritaire, incompétent et arrogant se dissimulerait sous le masque d’une démocratie; des institutions importantes dites républicaines ne joueraient pas leurs rôles dans l’équilibre de la balance des pouvoirs; les hommes au pouvoir avait accepté et continué à laisser des bandes armées violer les lois et règlements du pays; le système judiciaire avait troqué ses compétences et ses prérogatives contre l’usage facile du principe d’une amnistie présidentielle aux effets corrosifs ou en faveur de la corruption; et les grandes instances internationales d’assistance technique dans le pays avaient insisté sur la réserve au nom du principe damné de souveraineté nationale et avaient laissé un gouvernement inefficace tourner en rond et sacrifier les intérêts de la majorité de la population. Comme d’habitude, ils attendraient toujours que les grandes calamités résultent de leur passivité, avant de vouloir jouer les sapeurs-pompiers.  Devrions-nous on alors croire que toute cette évocation indiquerait une pleine jouissance de l’exercice démocratique en Centrafrique?  Si oui, pourquoi tous ces facteurs n’avaient-ils pas induit tous les bénéfices légitimes, prompts et durables auxquels aspirerait le peuple centrafricain et que l’observateur retiendrait d’un voyage à Ndjoukou, Mala, Boganangone ou ailleurs dans l’arrière pays?

 

Mais pour mieux faire saisir le sens de notre préoccupation et celui de la question initiale, nous la reformulerons en demandant simplement qui donc serait le capitaine de ce bateau fantôme qui flotte encore, et qui, cependant, avait perdu voiles et gouvernail et dont le pavillon de reconnaissance aurait perdu toute identitification?  Une réponse sans équivoque qui viendrait à l’esprit serait “personne”.  Et nous nuancerons cependant notre réponse en disant que le vaisseau en question avait été assailli par des pirates qui en avaient pris les commandes.  Oui, des pirates qui cherchaient le gain facile. Et ceux-ci avaient voulu faire croire aux centrafricains et à toute la communauté internationale, qu’ils seraient en réalité des corsaires, diligentés par le peuple centrafricain dans la grande mission de sauvegarde des intérêts du pays. Leur refrain avait toujours été le même, celui de la promesse d’exceller dans les fourberies et de mieux faire que tout leurs prédécesseurs. Et comme par hasard, leurs prestations tournaient chaque fois à la catastrophe!  Comme les pirates somaliens, les flibustes centrafricains demanderaient une très forte rançon dont le payement selon nous, serait l’équivalent de sacrifier la poule qui pondrait des oeufs d’or pour les centrafricains. Dans ce contexte, les centrafricains qui feignent l’ignorance et qui cependant savent parfaitement de quoi il retourne, ceux qui devraient savoir et qui s’étaient comportés comme l’autruche, et la majorité de la population déboussolée se demanderaient en se grattant la tête qui devrait payer cette forte rançon exigée par ces pirates qui avaient pris possession du navire centrafricain?

 

Avant d’aller plus loin dans notre évocation, demandons-nous d’abord quelle avait été l’identité de ces pirates qui avaient pris pour cible la Centrafrique?  Ils seraient légion!  Le pirate, c’est le centrafricain qui faute d’emploi dans l’administration publique ou dans le secteur privé ou qui, faute de savoir gagner sa vie honnêtement, s’était résolu à joindre un groupe de bandits dans la ville ou dans les campagnes. Le pirate, c’est chacun qui s’était cru plus malin pour contourner les lois et les règlements du pays et qui avait décidé de mettre à profit la mauvaise gestion de l’administration de l’état en manque d’autorité.  Le pirate, c’est le centrafricain qui avait refusé d’animer ou de prendre part dans la légalité aux débats sociaux et politiques et trouvé un prétexte quelconque pour justifier une rébellion armée qui avait détruit le tissu déjà fragilisé de la société centrafricaine. Dans ce dernier cas, ces pirates avaient décidé de joindre des groupes de bandits professionnels qui pouvaient les soutenir dans leur conquête du pouvoir comme l’avaient fait les auteurs des coups d’état précédents.  Le pirate, c’est le centrafricain qui avait décidé de réanimer d’anciennes querelles tribales ou rivalités ancestrales, par exemple entre les Gouranes et les Karas pour des raisons de gain personnel ou qui avait créé la division superficielle riverain et savanier, mettant ainsi en application le principe de diviser pour régner. Le pirate, c’est le centrafricain qui avait voulu faire croire que la mauvaise gestion des affaires de l’état aurait des origines dans les pratiques impures des religions dites chrétiennes par la majorité des centrafricains et que l’institution d’une autre religion étatique serait la voie du salut.  Le pirate, c’est le centrafricain qui avait fait croire que seuls les Ngbakas de la tribu de Boganda étaient les véritables héritiers politiques qui, seuls, avaient les qualités nécessaires pour diriger la nation centrafricaine, ainsi que l’avait clamé récemment un nouveau groupe de lobayens amateurs aux idées rétrogrades. Le pirate, c’est le centrafricain qui avait considéré les européens, notamment les français et les belges comme des racistes et cependant s’était convaincu que seuls les Yakomas avaient la moyenne du quotient intellectuel (QI) la plus élevée de toutes les moyennes du QI des autres tribus centrafricaines, et que de ce fait, les Yakomas possédaient les meilleurs attributs intellectuels pour diriger les affaires importantes de l’état.  Le pirate, c’est le centrafricain qui s’était convaincu que seuls les Kabas, les Soumas, les Talés et autres savaniers du nord devraient à leur tour manger à la table des seigneurs et diriger le pays pour une raison que leurs griots avaient manqué d’expliquer aux autres. Le pirate, c’est le centrafricain qui avait cru que seuls les Gbayas de la commune rurale de Benzambé etaient les seuls princes, dignes de mériter la charité de l’état en participant massivement au détournement des ressources minières et autres du pays pour l’unique raison que Bozizé était gbaya de Benzambé et approuvait tacitement la pratique. Mais enfin, dites-nous qu’est-ce que les Bandas, les Zandés, les Ngbougous et les membres des autres groupes présenteront à leur tour comme argument ou comme justification pour qu’un gouvernement à Bangui ne soit pas au service des autres tribus du pays puis de chaque citoyen?  Que restera-t-il encore de la Centrafrique lorsque chaque groupe ethnique aura fini de piller les maigres ressources du pays?  Que resterait-il de la Centrafrique quand des bandits professionnels auront fini d’occuper puis d’imposer leurs lois sur tout le territoire centrafricain?  Que restera-t-il de la Centrafrique quand chaque petit groupe d’opportunistes aura fini de semer la discorde parmi les centrafricains?

 

Aujourd’hui, les centrafricains et certains de leurs leaders politiques pensent et parlent des élections générales de 2010.  Mais à quoi donc serviront ces élections?  Pour avoir de nouveaux ou ces mêmes et anciens pirates à Bangui et dans l’arrière pays, qui trouveront tous les prétextes pour justifier leur présence et finir de piller toutes les ressources naturelles du pays, pour chasser au loin ceux qui protesteraient, et pour renvoyer aux calendes grecques les rêves de paix et de prospérité des centrafricains?  Chaque gouvernement à Bangui avait été fier, pourquoi pas, et avait clamé à qui voulait l’entendre, que le pays était riche en ressources naturelles.  Très prochainement que resterait-il de cet orgueil quand toutes les terres auront fini d’être tournées puis retournées?  Par ailleurs, quels avaient été les investissements dans le pays que les gouvernements de tous ces seigneurs du MESAN, du RDC, du MLPC, du KNK et de l’UFVN avaient effectué avec les revenus provenant des exploitations du bois, de l’or, du diamant, et de l’uranium dans le pays?  Aujourd’hui, Bozizé, ceux de son clan et ses courtisans seraient tous devenus des racketteurs ou au mieux encore des marchants du diamant centrafricain, alors que pas une seule pierre précieuse avait été découverte dans la commune rurale de Benzambé!  Parlant des industries forestières dans les régions de la Lobaye et de la Haute-Sangha, quels avaient été les investissements du fonds forestier au profit des habitants de ces régions et pour le reste du pays?  Les défenseurs de régimes politiques voudront encore faire croire que lesdites compagnies d’exploitation ne s’étaient jamais entièrement acquittés des charges que celles-ci avaient vis à vis des caisses du trésor centrafricain.  Cependant, le peuple savait surtout que des anciens présidents de la république et celui en place, ou encore leurs acolytes au sein de leurs régimes avaient été ceux qui avaient  bradé les domaines forestiers du pays à des compagnies étrangères ou à des hommes d’affaires étrangers des milieux louches, s’ils n’en avaient pas été eux-mêmes les principaux actionnaires. La justice centrafricaine n’avait toujours pas été capable de donner le qualificatif de fraude à ce phénomène désastreux pour l’économie du pays!  A propos de l’uranium, depuis que Bozizé et les siens avaient négocié les termes de l’exploitation du gisement de Bakouma avec une compagnie sud africaine, le peuple centrafricain attendrait toujours d’être informé et de voir tous les bénéfices matériels pour les populations de la dite commune et pour le pays.  Et de grâce, oublier d’inclure dans cet inventaire des biens de l’état centrafricain, le C130 désaffecté dont l’acquisition avait rappelé les transactions louches de certains vendeurs de pièces détachees sur l’avenue Koudoukou à Bangui. Pour le reste, des brigands de la classe de Sabone, de Damane, de Miskine ou ceux avec les finesses rocambolesques de Démafouth, de Massi et de tous les autres professionnels des coups tordus, empêcheraient les citoyens centrafricains de vaquer librement et en paix à leurs occupations.  En réalité, ces brigands dits éclairés et leurs ouailles empêcheraient les entrées régulières de recettes dans les caisses de l’état en rançonnant les citoyens et ou bloquant les nombreuses activités économiques légitimes.  Ils avaient été contre toute attente, les véritables obstacles au développement économique et social du pays. Même certains officiers supérieurs de l’armée auraient été soupçonnés d’être soudain les propriétaires de grand troupeaux de bétails qui auraient été volés à des petits éleveurs nomades.  Cette nouvelle embarrassante avait été vite énoncée puis vidée de l’actualité sur un site Internet des nouvelles centrafricaines. Ainsi, la population n’aurait plus un seul saint auquel se vouer. Si cependant, toutes ces activités économiques que nous avons citées, avaient débouché sur les paiements réguliers de taxes conséquentes dans les caisses du trésor, est-ce que Bozizé et son régime pourraient avoir l’obligeance d’expliquer au peuple centrafricain dans quels secteurs le gouvernement avait effectué des investissements visibles avec des capitaux propres de l’état centrafricain?  Mais n’avez-vous pas plutôt l’impression que les actions du gouvernement avaient uniquement consisté à signer tel accord avec une institution internationale ou à réceptionner tel don d’un pays ami lointain?  Les membres des gouvernements ne seraient-ils pas capables, au même titre que leurs homologues des pays avancés, de démontrer que les centrafricains seraient eux-aussi aptes à monter et à exécuter par leurs propres moyens, des projets de développement du pays par l’usage judicieux et stratégique de toutes les ressources naturelles et humaines propres, encore disponibles dans le pays?

 

Si, bien sûr!  Les gouvernements centrafricains énumèreraient tous les projets de développement, pensés puis exécutes avec des fonds décaissés par des organisations multinationales d’assistance technique ou financière.  Ces fonds s’appelleraient des prêts et qui ne seront jamais entièrement remboursés, à cause de la mauvaise gestion des affaires de l’état par des centrafricains dont nombreux seraient corrompus et incompétents.  Ce serait à ce titre que la Centrafrique ferait toujours partie du groupe des pays les moins avancés –sous tous les angles-. Cette pratique de prêts à des régimes insolvables avait surtout servi à corrompre les hommes et à rendre légitime en partie leur existence.  Puis cette fraude avait également plongé les leaders politiques et leurs hommes dans une grande léthargie et dans des habitudes de dépendance vis à vis de toutes ces institutions internationales. Dites-nous donc comment le maître pourrait bien éduquer, faire prendre de bonnes habitudes et tirer le meilleur de ses élèves, si celui-ci présente à chaque occasion à ses élèves les solutions toutes faites d’exercices, avant même que les élèves n’aient commencé et persisté à chercher les bonnes réponses par eux-mêmes?.  Et il y aurait des décennies que cette pédagogie de la dépendance avait été pratiquée dans tous les secteurs de l’administration du pays.  Les gouvernements du pays et leurs partenaires avaient ainsi procédé.  Vous voulez des bâtiments scolaires? Les partenaires répondaient, nous allons vous les construire. Vous voulez désarmer vos rebelles?  Ils répondaient nous allons vous donner les sous pour racheter leurs armes et pour les récompenser.  Et si rebelles en prenaient la mauvaise habitude, nous seront toujours présents à vos côtés pour trouver une autre alternative au DDR, disaient-ils encore. Vous voulez payer les salaires de vos fonctionnaires?  Nous vous prêterons de l’argent à un taux hors pair pour couvrir une période de six mois; après, vous devriez voler de vos propres ailes!.  Ainsi de suite... Chaque fois, c’était le partenaire qui identifiait, puis énonçait ses données du problème.  Chaque fois, c’était ce même partenaire qui en proposait la solution.  Et chaque fois le problème demeurait ou renaissait des cendres, et devenait souvent plus difficile à résoudre car incorporant de nouveaux facteurs de résistance.

 

Et pour sortir de cet engrenage infernal, le peuple centrafricain avait cru que les élections générales pourraient donner l’occasion du grand changement.  Quand dans nos commentaires précédents, nous appelions tous les partis légaux à tenir leurs congrès pour discuter des grands maux du pays et des solutions probables, c’était pour suggérer que les citoyens débattent librement et âprement des problèmes semblables à ceux que nous avons énonces plus haut et à d’autres également de très grande importance que nous avons omis.  Pour ce qui nous concerne, les congrès des partis n’étaient pas une fin en soi, ni un forum pour uniquement sélectionner un candidat pour des élections présidentielles.  Aujourd’hui, le peuple centrafricain ne saurait toujours pas ce que le candidat unique du MLPC, qui était sorti victorieux de son congrès, ferait pour le pays et, qui serait différent des anciens systèmes de malversation économique qui avaient été en place lorsque celui-ci étaient aux affaires sous la direction de Patassé?  De même, le peuple centrafricain ne sait pas ce qu’un second mandat accordé au future candidat Bozizé du KNK apporterait de nouveau au pays et qui serait mieux que ce que les gouvernements du KNK et de l’UFVN avaient démontré jusqu’à ce jour.  Les candidats ne se positionneraient uniquement que pour prendre les rennes du pouvoir à Bangui.  Aucun avait pense aux aspirations des jeunes et à celles des millions de centrafricains qui voudraient la paix, la sécurité, une excellente éducation dans les écoles et dans les institutions d’enseignement supérieur, du travail, et un certain bien-être pour tous. Avant de choisir le candidat, ne serait-il pas mieux indiqué de faire un inventaire des lieux, de tirer des leçons critiques du passé, de faire le choix des objectifs, et enfin de discuter des stratégies en associant tous les militants éveillés de chaque parti politique, qui avait une idée ou une contribution quelconque à offrir?  Pour ce qui nous concerne, manquer une seule  de ces étapes serait manquer une occasion d’instiller le changement positif dans la vie politique et sociale des centrafricains.  Procéder comme il est parti, en parlant uniquement de candidature et de limitation de liberté de circulation, serait simplement renvoyer les espoirs du peuple centrafricain aux calendes grecques.

 

Les solutions pour lutter contre cette piraterie ne se réaliseront qu’avec la participation de tous les centrafricains qui dicteront leurs visions, sélectionneront objectivement leurs représentants et veilleront à l’exécution minutieuse des grandes décisions qui apporteraient les changements positifs dans le pays.  Les centrafricains devront refuser d’accorder toute confiance à ces beaux parleurs et à ses querelleurs qui ne parlent de politique que pour leurs intérêts personnels et égoïstes. Les élections demanderont beaucoup de vigilance de la part de tous les centrafricains opposés à l’existence de ce que nous appellerons les méthodes dictatoriales au sein des partis politiques et qui avaient aisément migré au sommet de l’appareil de l’état. Mais est-ce que chaque centrafricain avait décidé de faire autrement cette fois et de poser construire ingénieusement l’échafaudage du développement de son pays?

 

Jean-Didier Gaïna
Virginie, Etats-Unis d’Amérique

 03 août 2009