Le contentieux de l’élection présidentielle de 2005 en Centrafrique ; la Cour Constitutionnelle de Transition a-t-elle démérité ?

 

Par sa décision du 30 décembre 2004, la Cour Constitutionnelle de Transition a invalidé sept des douze candidatures jugées pourtant recevables par la Commission Electorale Mixte Indépendante (CEMI). Le 10 janvier 2005, cette même institution de transition a procédé au rejet massif des candidatures à la députation présentées par plusieurs forces politiques visiblement redoutées par la " Convergence Kwa na Kwa ", une coalition de vingt-cinq partis politiques conçue pour le président BOZIZE.

En examinant de près les deux décisions de la Cour Constitutionnelle de Transition, on se rend compte que les arguments avancés pour justifier l’invalidation de ces candidatures ne reposent sur aucun fondement juridique ; ils sont purement et simplement fallacieux et laissent transparaître de toute évidence une allégeance de la Cour à un ou quelques candidats.

On peut très légitimement s’interroger sur les décisions précitées de la Cour qui écartent les candidats réputés gros calibres entre lesquels l’opinion publique centrafricaine se partage pourtant : d’une part, elles sont inopportunes car viciant ab initio et totalement le déroulement général des élections et créent non seulement une défiance outrancière entre les différents acteurs politiques mais aussi instaurent un climat non moins malsain de suspicions diverses ; d’autre part, elles sont dangereuses pour la nation car on imagine aisément que les candidats recalés tels NGOUPANDE, PATASSE ou ZIGUELE, MASSI et DEMAFOUTH ne reconnaîtront pas le futur chef de l’Etat et rendraient le pays ingouvernable par des mots d’ordre de désobéissance civile et des mouvements socio-politiques qui porteraient sérieusement atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics et précipiteraient la République Centrafricaine au fond de l’abîme.

Dans cette fort probable hypothèse, la transition n’aura pas été bénéfique pour le pays à défaut de permettre à celui-ci de se réconcilier avec lui-même et de renouer en toute transparence et sérénité avec l’ordre constitutionnel interrompu depuis le coup de force du 15 mars 2003.

 

I/ LA COUR CONSTITUTIONNELLE, SEUL JUGE DE L’ELIGIBILITE

Devant la forte réprobation générale à l’intérieur comme à l’extérieur du pays qui a suivi les fameuses décisions précitées de la Cour, le président François BOZIZE, lors d’une adresse à la nation, a validé trois des sept candidatures recalées par la Cour notamment celles de ZIGUELE, NGOUPANDE, et MASSI.

En effet, seule la Cour Constitutionnelle est compétente en matière du contentieux de l’élection présidentielle, celui des élections législatives ressortant de la compétence du Tribunal Administratif. C’est donc à la Cour d’examiner les réclamations liées au scrutin présidentiel. A l’issue des élections, la Cour Constitutionnelle examine la régularité du scrutin et des comptes de campagne mais cette hypothèse ne nous intéresse pas ici au premier chef. Avant l’élection, la Cour est compétente pour statuer sur les requêtes dirigées contre les actes préparatoires.

En vertu de sa mission générale du contrôle de la régularité des opérations électorales, la Cour est compétente pour statuer sur les requêtes dirigées contre les actes conditionnant la régularité d’un scrutin à venir dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations électorales, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics. Parlant des actes préparatoires, il s’agit de réclamations relatives à l’établissement de la liste des candidats. Il faut préciser avec force que l’examen des candidatures par la Cour Constitutionnelle a pour but de filtrer celles-ci de manière à écarter la dérision ou des farfelus ou hurluberlus et les réserver aux seuls représentants des diverses sensibilités politiques entre lesquelles l’opinion publique se partage. C’est ainsi que le système de parrainage des candidatures aurait dû être institué par au moins 350 signatures recueillies dans treize (13) des seize (16) préfectures que compte le pays. Bref, l’élection présidentielle ne doit pas s’exprimer aux dépens de la démocratie.

La Cour Constitutionnelle est juge de l’éligibilité ; toute personne dont la candidature n’a pas été retenue peut présenter une réclamation devant la Cour qui l’examine et rend une décision qui sera alors susceptible d’aucun recours et s’imposera erga omnes, nolens volens. En revanche, la requête sera frappée d’irrecevabilité si elle ne peut se prévaloir d’aucune présentation ou si elle a été présentée avant la publication des candidats. Ainsi, qu’est ce qui aurait dû normalement se passer suite à la publication des candidats par la Cour le 30 décembre 2004 ? Les recalés pouvaient faire valoir leurs droits en introduisant des requêtes auprès de la Cour afin d’obtenir un nouvel examen de leurs dossiers. Et donc ni le Président BOZIZE n’avait le pouvoir de procéder par quelque moyen que ce soit à la validation des candidatures ou de certaines candidatures rejetées par la Cour ni aucun pouvoir constitué ou organe de l’Etat n’avait non plus le pouvoir de le faire. Et le fait pour le président BOZIZE de l’avoir malheureusement fait n’avait aucun sens juridique, un acte réputé nul et de nul effet. Il interfère ainsi dans les affaires de la Cour manquant ainsi de respect pour la répartition des compétences au sommet de l’Etat.

Dans cette affaire, le président BOZIZE pouvait à la rigueur faire une déclaration dans laquelle il aurait souligné le droit et la liberté pour les recalés de faire un recours devant la Cour. La validation ou l’invalidation définitive des candidatures se fait par une décision dûment motivée (reposant sur une argumentation juridique rigoureuse et non sur de petits calculs politiciens devant profiter à tel ou tel candidat) de la Cour Constitutionnelle et non par décret ou simple discours présidentiel surtout que le président sortant de la transition est candidat à sa propre succession. Selon toute vraisemblance, le président BOZIZE se veut juge et partie, un candidat qui choisit et " nomme " de façon inavouée ses adversaires dans une compétition politique et pas des moindres puisqu’il s’agit de désigner la clé de voûte des institutions républicaines. Il s’arroge ainsi un pouvoir qui ressort de la compétence exclusive de la Cour et remet ainsi scandaleusement en cause de manière assez nette, notoire et notée le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs qui est au cœur de toutes les Républiques qui se veulent non pas bananières mais démocratiques.

 

II/ LA COUR CONSTITUTIONNELLE, UNE INSTITUTION

INDEPENDANTE ET NEUTRE DE LEGE FERANDA

La Cour Constitutionnelle est une institution devant être au-dessus de tout soupçon eu égard à la noble mission qui lui est confiée par le peuple souverain, celle de veiller à la régularité du scrutin présidentiel, d’en proclamer les résultats et d’en examiner les réclamations des candidats s’estimant victimes de fraudes.

De lege feranda comme le dirait si bien le professeur Yangongo Boganda, la Cour doit juridiquement indépendante et politiquement neutre. Or, on peut émettre de sérieux doutes sur l’indépendance et la neutralité des conseillers. Le président Marcel Malonga qui occupe la présidence de la Cour et à ce titre dispose d’une voix prépondérante lors des délibérations se trouve être un ancien membre du gouvernement issu du coup d’Etat militaire du 15 mars 2003. Le président de la Cour et la plupart des conseillers ne sont donc ni indépendants ni neutres politiquement mais à vrai dire des délégués du pouvoir en place et de certains candidats ; ils sont ainsi leurs obligés.

Il n’y a aucun gage d’indépendance. Même le fait pour les conseillers d’avoir juré de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la constitution ne suffit pas à leur accorder une confiance totale dès lors qu’ils roulent pour tel ou tel candidat précis. Très sûrement, c’est l’absence d’indépendance de la Cour et sa partialité politique qui sont à la base de la forfaiture commise par la Cour le 30 décembre 2004 à travers sa décision qualifiée d’odieuse et d’inique par les candidats recalés.

D’un point de vue politique, la Cour Constitutionnelle de Transition occupe une place originale dans le mode de gestion des problèmes au sein du régime de la Transition. La Cour doit s’analyser en un frein à la dictature. A la faveur d’un contrôle sérieux du processus électoral en cours, son rôle consiste à encadrer l’alternance et à en régulariser le cours sans s’opposer à la volonté du peuple souverain. La Cour Constitutionnelle ne doit pas confondre la souveraineté de la constitution avec la sienne. Pouvoir constitué ou organe de l’Etat, la Cour ne doit pas se considérer comme souverain ; elle ne dispose que d’une légitimité fonctionnelle. Il n’existe, en clair, dans une démocratie, qu’une seule souveraineté et une seule légitimité, celle du peuple souverain. A cet égard, Georges Vedel écrivait : " Si les juges ne gouvernent pas, c’est parce qu’à tout moment le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ".

 

L’infantilisme auquel se livrent sans vergogne depuis des années nos hommes politiques n’honore pas du tout la République chèrement acquise par notre Père BOGANDA. Il est fort déshonorant pour nous de voir toujours nos leaders faire recours à l’extérieur pour tenter de résorber nos conflits comme s’il n’y avait que des majeurs incapables chez nous. Très franchement, l’on ne peut comprendre pourquoi aller à Libreville pour trouver des solutions à la crise née de la décision de la Cour Constitutionnelle de Transition, quand on sait que les solutions politiques étaient à trouver dans le code électoral et la Constitution ? Et puis avec tout le respect qu’on doit à BONGO, on peut se demander si celui-ci a des leçons de démocratie à donner aux autres Etats d’Afrique quand on sait que BONGO est au pouvoir depuis des décennies sans alternance avec un quasi monopartisme politique ? Son influence s’explique alors autrement et tout observateur de la vie politique africaine peut en imaginer amplement les raisons et l’origine. Halte donc au ternissement de l’image de notre pays, halte à l’amateurisme politique, halte aux querelles intuitu personnae qui occultent le vrai débat sur les questions touchant à la vie de la nation. Que notre Père BOGANDA se relève ! Et que tous les fossoyeurs de la République et de ses institutions se voient retirer la confiance des militants des différents partis politiques et du peuple tout entier.

Nos dirigeants doivent stopper l’infantilisation politique de notre pays, apprendre à dialoguer franchement les yeux dans les yeux de manière sincère et savoir s’unir, lorsqu’il le faut, autour de l’essentiel, l’intérêt supérieur de la nation. Nous avons beaucoup souffert déjà, ça suffit ! Si les dirigeants ne se soucient guère du peuple et choisissent de rester sourds aux cris du peuple, celui-ci finira par se lever et prendre sa responsabilité et BOGANDA l’y poussera et l’assistera.

Tous les observateurs avisés de la politique centrafricaine savent qu’avec une Cour Constitutionnelle aussi calamiteuse pour le pays, l’horizon politique de la République Centrafricaine est nuageux et la tornade s’abattra sur le pays accompagnée des vents Maïgaro de la Nana-Mambéré, des redoudables coups de foudre de la Ouaka, ce qui provoquerait l’affolement des Mbakara de l’Ouham-Pendé, des abeilles de l’ouham, les kodos, les Karako et les EBA se réveilleraient, les Zakawa se reconstitueraient spontanément et s’adonneraient de nouveau à cœur joie à leur mission de " libération " ou de " délivrance " du peuple, des cris de détresse et des lamentations fuseraient des quatre coins du pays, la masturbation intellectuelle disparaîtrait, le syllogisme philosophique des uns et la rhétorique juridique des autres seraient remplacés par des sinistres mélodies, des crépitements d’armes semant partout la désolation et la terreur. Qui voudrait alors écouter ces airs lugubres ? Personne ni même la Cour !

Alors, pour ne pas en arriver là, la Cour et les acteurs politiques doivent revenir à de meilleurs sentiments, qu’ils se ressaisissent avant qu’il ne soit trop tard. L’élection n’est pas une guerre mais une compétition politique qui permet au peuple souverain de donner librement sa confiance à tel ou tel fils du pays pour le représenter pendant une période précise. Et la vérité c’est que tout le monde ne sera pas président à la fois et on peut servir son pays sans forcément être chef de l’Etat Aux candidats de convaincre les électeurs par leurs projets de société. Et puis nous sommes tous centrafricains, restons unis autour de l’essentiel, l’intérêt supérieur de la nation.

ERENON Dominique Désiré, Doctorant en Droit Public

DALEMET REBAILE Alain Fiacre, Juriste

Actualité Centrafrique de sangonet – Points de vue