DE LA CRISE A LA RESURRECTION DE L’ETAT

EN CENTRAFRIQUE. UNE LECTURE CROISEE DES INSUFFISANCES ET DES PERSPECTIVES DE REFORMES (*)

 

De tout temps, l’Etat a été et demeure le monteur de régulation politique, économique, sociale, culturelle et technologique de la société. En Centrafrique, cette affirmation dogmatique et réaliste a prouvé ses effets et ses limites au lendemain de la décolonisation jusqu’au début des années 80. Depuis lors, l’Etat abstrait dans sa conceptualisation et réel dans sa matérialité du développement multisectoriel est devenu un instrument incapable d’assurer l’unité républicaine, la cohésion sociale et le progrès pluriel du pays.

De la conscience prise, il urge de réformer l’Etat en profondeur dans sa matrice constitutionnelle et ses composantes structurelles de création normative, d’intervention économique et technologique, et de pacification sociale. Mais sur quel fondement et à quel prix ?

1. L’approche sociologique et juridique de l’Etat. La querelle des anciens et des modernes en question.

D’une manière démagogique, l’infirmité normative pour justifier l’incapacité structurelle de l’Etat d’assurer sa mission de promotion et de défense d’intérêt général, de gendarme, de police, de sécurité sociale et du développement de la croissance économique, les politiciens renvoient l’existence et la fonctionnalité de l’Etat aux citoyens. Pour eux, une telle approche est une façon de camoufler leur démission et a contrario de culpabiliser la communauté des gouvernés à cogérer la société civile. Ce détournement est encouragé par la difficulté ou l’imprécision de conceptualiser l’« Etat » dans la matrice constitutionnelle de fondement et son essence de régulation. La dynamique de la constitutionnalisation – approche normative supralégale – et son abstraction liée à l’impersonnalité structurelle de gestion communautaire – approche matérielle de régulation – prétendent exclure l’Afrique selon certains théoriciens de la reconnaissance sociologique de l’existence de l’Etat dans sa forme primitive et moderne. Loin de là.

L’Etat est né qu’avec l’homme communautaire car l’idée de l’homme isolé est totalement récusable dans une petite ou grande forme d’organisation politique de la société qu’il soit primitive ou structurement développé et moderne. Dans Politique, ARISTOTE affirmait déjà que l’homme est un être politique (politikon a anthropo) qui ne peut vivre qu’à l’intérieur d’une cité (kota polis). Le droit naturel fait de l’état civique l’état naturel, le commencement et le développement de l’Etat, communauté civique de gestion collective des biens publics et protectrice des intérêts individuels ou groupusculaires. L’Etat répond judicieusement à cette entente publique et privée de la sociabilité de l’homme.

Nonobstant son degré évolutif et organisationnel, le sentiment existentiel de l’Etat appartient à chaque peuple. Pour celui-ci, l’Etat est source de l’ordre pacificateur et de bien être collectif. A ce titre, le royaume de Bangassou ou le sultanat du Nord centrafricain ont connu la forme de l’Etat. Les grecs traduisent l’Etat « koinonia politike » dans sa configuration polyforme y incluant la société civile. Les théoriciens latins l’appréhendent sous le concept de « Res publica » ou encore de « civitas » c'est-à-dire de la cité. Pour élaborer la théorie des Cités-Etats, Machiavel assimule celle-ci au « Stato » forme première de l’Etat moderne. Le dogme français perçoit alors l’Etat comme une structure statutaire de laquelle découlent la stabilité, l’ordre et l’intérêt général.

Sous l’ombre du suprajuridisme, la Constitution s’appuie sur l’école de Hans Kelsen de faire de l’Etat la norme des normes. L’Etat est source du droit. Ce qui conduira Max Weber à faire de l’Etat une structure couvrant un territoire donné qui légitime ses lois supra et infralégales. L’Etat et la Constitution s’imbriquent et se confondent à un degré supérieur inaccessible dans leur essence, dans leur finalité de gestation, de l’effectivité des normes consacrées et de l’évaluation de leur pertinence ouvrant ainsi voie à leur révision comme fondement vivant de la vie politique et juridique de la nation. D’ailleurs le Doyen VEDEL lance d’une manière irrécusable que si la révision est impossible, le contrôle de la constitutionnalité deviendra illégitime. Et j’y ajouterai personnellement que le mécanisme des contre pouvoirs dans le système de la démocratie gouvernante deviendra inopérante.

Cette puissance naturelle et constitutionnelle de l’Etat est telle que le Droit international en fait une personne et un acteur primordial des relations internationales.

Les droits de l’homme poussent cette approche intra et supraétatique a dépassé son seuil historique pour marquer l’évolution politique et sociale de la nation. La résurgence des Droits fondamentaux et des Libertés publiques enclenche un mouvement historique de la modernité objective et réflexive en poussant vers la recherche de formes alternatives et judicieuses des rapports gouvernés / gouvernants en induisant la prévalence des Droits individuels et collectifs. Sous l’angle polyforme de la politique, l’économique, le social, le culturel, le technologique et le scientifique, cette force régulatrice s’impose aux substructures de l’Etat. En un mot, l’Etat constitutionnel démocratique est dans sa plénitude l’Etat de droit. Le primat de la Constitution sociale - Droits fondamentaux - s’impose indéniablement à la Constitution politique – les organes publics de l’Etat. C’est ce qu’on nomme du néoconstitutionnalisme dont la force s’exprime au travers de la justice constitutionnelle protectrice des Droits fondamentaux et des Libertés publiques, en plus de sa fonction du juge électoral dans le cadre de la Démocratie constitutionnelle. En clair, l’éthique des Droits de l’homme commande la raison d’Etat du politique. A l’heure actuelle, la République Centrafricaine est à la symétrie du social et du politique et de mise en ordre des organes publics de l’Etat. Le succès de la Démocratie pluraliste et citoyenne en dépend. La communautarisation des hommes et la socialisation des droits au fleuron d’un Etat rationaliste et d’une nation respectueuse de la pluri ethnicité et de la polycommunauté sont la condition sine quanon de la réussite de la Démocratie parlementaire en Centrafrique.

2. La crise de l’Etat en Centrafrique. Détermination des causes et identification des responsabilités

Le courant rationaliste de la modernité étatique au lendemain de l’Indépendance a ouvert des perspectives réjouissantes au développement plénier de l’homme en Centrafrique. L’économie était à l’épicentre de la politique. L’égalitarisme rampant sur l’ensemble du territoire constituait par le résultat acquis une fierté pour les gouvernants, les fonctionnaires et agents de l’Etat et les promoteurs économiques.

Au-delà de son caractère autoritaire, l’interventionnisme étatique tend sans cesse à faire des rêves économiques et sociaux des Centrafricains une réalité et servait de référence ou de modèle, au plus de son rôle de participation sociale, d’unificateur national et de correcteur de l’injustice sociale. Mais la dictature militaire et bureaucratique mit fin à ce rêve planifié de l’essor communautaire. C’est la crise de la modernité de l’Etat en Centrafrique. Les raisons furent multiples et complexes. Pour faire court, il convient de les retenir dans leurs aspects structurel, normatif et politique.

D’abord structurel et normatif. Le caractère impersonnel de l’Etat demeurait dans la pensée de la masse populaire combien majoritairement pauvre et une intelligentsia révolutionnaire en infime partie une exigence de service public.

Le coup d’Etat constitutionnel de David DACKO contre Abel GOUMBA et le renversement du Président de la République par son Chef d’Etat Major, le Colonel BOKASSA donnaient les signes combien forts politiquement et structurellement de la mise à coupe de l’Etat. Cet accaparement autoritaire du pouvoir est contraire au courant libéral de la philosophie politique élaborée par les théoriciens comme JOHN LOCKE. L’influence culturelle de cette forte pensée commande à la légitimité de la Démocratie, à la défense des Droits fondamentaux, à l’interventionnisme encadré du Gouvernement et à la promotion de prise de risque capitaliste. Or, il se trouve que les régimes successifs centrafricains ont nié l’emprise des valeurs libérales et pluralistes sur les structures politiques et administratives de l’Etat. Plus tard, cette perception sera appliquée sans ménagement et fortement militarisée par Ange Félix PATASSE dans le cadre rigide et insécuritaire de la démocratie pluraliste.

Le refus d’admettre une approche rationnelle, prospective, fonctionnelle et évaluative des institutions étatiques évitait intellectuellement et moralement aux Gouvernants soutenus par l’élite technocratique de passer à l’aveu de leur incapacité scientifique et administrative d’assurer l’intérêt général qui sous tend le développement public de l’économie et rendre cogestionnaire les citoyens promoteurs de l’initiative privée. Cet obscurantisme voulu à dessein est à la taille de la cupidité et l’avarisme des dirigeants politiques et des bureaucrates.

La négation des structures de l’Etat élaborée dans le cadre normatif de la déconcentration et de la décentralisation a pour conséquence de recentrer les intérêts néopatrimoniaux entre les mains d’une petite élite politique et administrative ouvrant perspectives sombres à la destructuration des organes publics et à la paupérisation des administrés. Il importe de reconnaître que l’Etat est arrivé à un stade de dépérissement tel qu’on se demande si son existence organique n’est qu’idéelle et formelle dans le subconscient des victimes de la dépravation économique nationale orchestrée allégrement par les Gouvernants. Même aujourd’hui, le chemin de sa réhabilitation est long au regard de la mise à mort programmée par les actes politiques, administratifs et économiques impopulaires et injustes des gestionnaires de l’intérêt général. Car, pour ces derniers, l’intérêt privé, clientelaire ou chronique marque sa prééminence sur l’intérêt communautaire.

La faiblesse de la codification de la vie publique est l’un des aspects non négligeables du dépérissement de l’Etat centrafricain.

La codification originelle est la Constitution. Malheureusement celle-ci évolue en fonction des intérêts des Gouvernants sans tenir compte des impératifs politiques et économiques des citoyens. Elle épouse les contingences internationales et de coopération multilatérale. La guerre froide basculait le pays dans le camp de son ancienne puissance coloniale. Les lois fondamentales reflétaient la vision autoritaire et monocratique dictée par les intérêts néopatrimoniaux de dirigeants endogènes mais aussi par la vision structuro politique des puissances du bloc de l’Ouest de contrer par tous les moyens – voire non démocratiques – l’influence communiste dans le monde. Les Constitutions monocratiques centrafricaines reflétaient cette tendance sauf l’intermède contestataire et pluraliste de la fin des années 70 et le début de l’année 80. Le discours de la Baule et la chute du mur de Berlin réorientent le constitutionnalisme centrafricain vers l’expression plurielle de la conquête pacifiée et contractualisée du pouvoir. La conditionnalité des aides bilatérales ou multilatérales y dépend construisant ainsi progressivement le principe de l’irréversibilité de la démocratie constitutionnelle et pluraliste en Droit international public et Droit régional. Ce mode disputé et respecté de l’accès au pouvoir présente des atouts considérables si l’éthique politique et l’alternance résistent à l’épreuve du pouvoir absolu du Monarque républicain. Car, le révisionnisme constitutionnel apparaît aujourd’hui comme moyen supralégal de conservation durable du pouvoir contraire aux principes démocratiques de conquête de pouvoir et de l’alternance politique. La démocratie réelle a pour portée constitutionnelle d’éviter une tendance désabusée de personnaliser le pouvoir et les institutions politiques.

En somme, l’absence de pensée renouvelée, de la créativité et du criticisme tue l’Etat.

Par ailleurs, la codification infralégislative et réglementaires des normes économiques et sociales date de l’époque coloniale. Elle se fonde sur le mécanisme d’export/import juridique caractérisé par le mimétisme. L’édiction des rares normes nouvelles répond à cette volonté de transposer des valeurs juridiques occidentales déconnectées des réalités endogènes en Droit interne centrafricain.

La crise dans sa dimension politique reflète l’absence de conscience afin de rendre à l’Etat sa noblesse politique et éthique servant rigoureusement l’intérêt général. L’absence de rigueur est traduite par l’alternance de la monocratie et de la pluricratie débouchant quelque soit la forme du régime au renforcement autoritaire des institutions politiques et à concentration des pouvoirs entre les mains d’une minorité dirigeante. Paradoxalement, une telle crise se retrouve sous l’empire du parti unique et du multipartisme et conduit à l’affaiblissement de l’Etat.

La dialectique infondée entre les deux formes politiques de la non prévalence de l’intérêt général et la néopatrimonialisation de la chose publique met en exergue un enjeu central et incontournable du mauvais rapport entre les citoyens et l’Etat d’une part, et les relations organisées entre les Gouvernants et les Gouvernés, d’autre part. L’Etat n’est plus au service de la nation mais de celui des Gouvernants. De là, découle la prééminence de l’infrastructure sur la superstructure. L’économie confisquée s’impose à la politique. Il était temps de redonner raison au maître penseur du socialisme scientifique, Karl MARX. Malheureusement, les richesses nationales ne servent plus d’une manière désintéressée aux populations. Elles servent plutôt les détenteurs des capitaux et leur faire valoir politique.

La destructuration de l’architecture politique, institutionnelle et démocratique est voulue à dessein en vue de tirer au maximum profit des biens de l’Etat. Car, l’Etat bien organisé et contrôlé freine la volonté minoritaire dirigeante de voler les biens de l’Etat, de détourner les fonds publics et de placer des incompétents au service du néopatrimonialisme. La permanence de la main mise politico-étatique entretient la pseudo pérennité du pouvoir personnalisé et ses agrégats symboliques de gouvernance, son fondement pluraliste et sociologique de justification existentielle, et son innombrable facette immatérielle et matérielle d’enrichissement occulte.

A contrario, la réussite des politiques impose au supraétatisme dont le mécanisme objectif régule hors volonté intéressée des gouvernants l’espace public sous toutes ses coutures.

Ce qui implique une bureaucratie forte, objective, compétente et désintéressée.

Or, la République Centrafricaine connaît une crise sans précédente de l’éthique des administratifs et agents de l’Etat. Elle annonce le requiem de l’Etat fort politique, économique et social.

La privatisation de la gestion de la chose publique, la récession chronique et la dépression aggravées par l’obsolescence croissante de l’économie, et l’absence d’une politique macroéconomique innovatrice et soutenue de sortie de crise ont engendré chez les fonctionnaires et agents de l’Etat que des privations et de désespoir. A cela s’ajoutent le détournement puis la rareté des aides publiques bilatérales et multilatérales annonciateurs du cycle jusqu’aujourd’hui irréversible des arriérés de salaires créant une paupérisation effrénée des fonctionnaires. Ce sous-développement financier et social crée la dépendance et l’asservissement du fonctionnaire centrafricain par rapport aux politiques et aux détenteurs des finances publiques et / ou privées. Cette situation débouche sur la corruption chronique des fonctionnaires et agents de l’Etat.

Pour échapper à la vie de privation et du sous-développement socio financier, des complicités et intelligence se sont instaurées entre l’élite militaro civile et la classe politique en vue d’organiser hors règles budgétaires et impunies une certaine redistribution des revenus publics entre elles. Du reste, la grande majorité des fonctionnaires et agents de l’Etat sont appauvris et maintenus dans la misère par le versement des salaires épisodiques. Les pauvres sociaux non salariés sont maintenus dans un dénuement total sans aides sociales publiques sauf, de temps en temps, soulagés par l’action des ONGs du développement.

Pour finir, l’économie publique est quasi inexistante. Dans sa moindre existence, elle sert la cause subjective des gouvernants et dirigeants des Entreprises publiques, sociétés et offices parapublics. Paradoxe, les Entreprises stratégiques en bonne santé financière sont menacées par la privatisation déniant durablement à l’Etat sa capacité d’intervenant économique et de distributeur des dividendes économiques, sociales et financières par la répartition, à titre d’exemple, de l’eau courante, de l’électricité et des aides sociales ou régulateur des prix sur le marché.

La crise de l’Etat est malheureusement multiforme et intolérablement durable. Il convient d’effectuer un traitement de choc pour sa sortie de crise et un renouement à la politique programmée de relance économique et de justice sociale.

3. Tentative d’esquisse de réhabilitation de l’Etat en Centrafrique. Propos pour des réformes adaptées.

Le préalable à toute réforme de l’Etat centrafricain réside dans l’impersonnalisation, l’objectivation de toutes ses composantes fonctionnelles – politique et technicoadministratives – et la moralisation de son personnel.

Ces deux pendantes – impersonnalisation et objectivation de l’Etat permettent de mettre ses principaux acteurs à l’abri de la captation illicite des biens et de la richesse nationaux. Elles évitent la mise en œuvre active dans le pays d’une politique du contentement débouchant sur une démocratie des « satisfaits » et des nantis où les milieux aisés monopolisent non seulement la liberté politique mais aussi les biens publics et privés de la nation.

Par ailleurs, la moralisation a pour finalité éthique et pédagogique d’exiger des fonctionnaires et agents de l’Etat l’exemplarité, l’obligation de servir l’intérêt général et du résultat.

La symétrie de trois exigences commande à l’Etat de mieux préparer et former son personnel public et semi-public afin d’assurer la mission de service public et a contrario l’évitement de la promotion de l’économie politique du contentement. De cette exigence, le progrès matériel et social transcende les antagonismes afin de concerner toutes les communautés sociologiques de la nation. Par dérogation conservatrice et injuste, ce progrès est inéluctablement élitiste facilitant l’enrichissement illicite des riches au détriment des pauvres. La correction positive et discriminatoire rétablit le quotient économique d’activation du progrès, de la croissance économique et du partage justifié entre les tenants du pouvoir et le reste des citoyens.

Ce préalable conduit à l’établissement inaltérable de la démocratie administrative et locale.

La démocratie administrative préside à la participation sociale des fonctionnaires, agents de l’Etat et des administrés. Comme le témoigne la dernière intégration dans la Fonction Publique, celle-ci est organisée d’une manière concertée entre la Fonction Publique, les ministères concernés et des délégués des candidats réunis dans le cadre de l’Association des jeunes diplômés. Sur cette base, le Conseil Permanent Chargé de la Réforme de l’Administration Centrafricaine (CPRAC) a rejeté des projets d’arrêtés d’intégration qui renfermaient des noms des candidats non retenus sur le Procès Verbal de la Commission tripartite. Et ceci, malgré la pression politique de certains ministres. Cet exemple réussi sous l’égide du Ministre de la Fonction Publique peut faire cas d’école et intégrer dans le processus décisionnel administratif en vue d’éviter la perception clientelaire, ethniciste et régionaliste de la gestion du personnel public et semi public de l’Etat.

La déconcentration administrative doit quitter le domaine du principe pour devenir une réalité permettant le rapprochement des administrés de leur administration. Une évaluation historique et temporelle de la déconcentration permettra d’épingler les échecs et de proposer des réformes adaptées concomitantes à la régionalisation in concerto de l’espace territorial.

La déconcentration et la décentralisation doivent aller de paire. Le Gouvernement doit avoir l’intelligence de dessiner une cartographie politique et administrative des grands services de l’Etat qui, intégrée fidèlement à nos Régions, Préfectures, Sous-Préfectures et Communes fixent les fonctionnaires et les administrés sur les juridictions territoriales au lieu de les faire déplacer à Bangui en vue d’effectuer leurs démarches administratives ou financières. Souvent source de « dépopularisation » de nos Provinces et de sanction pour abandon de poste dont souffrent les fonctionnaires et agents de l’Etat.

Pour réussir cette politique, l’Etat à l’obligation de créer des pools universitaires, technologiques et scientifiques attractifs au savoir, à la recherche et à la productivité dans des régions choisies pour leur capacité géographique de fournir des potentialités au développement communautaire intra-régional ou national dans les domaines de l’élevage, de l’agriculture, des mines, de la forêt, de l’écosystème et de la biodiversité, du tourisme, de l’eau, de l’électricité, des technologies de pointe, du transport, du commerce transfrontalier …

Les banques accompagnent les implantations par la création de leurs succursales pour fixer les capitaux publics et privés et permettre la circulation de l’argent produit par les salaires et activités économiques. Les régies financières publiques sont décentralisées en fonction de la géographie politique et administrative du pays. Elles favorisent l’établissement régional du circuit des recettes et des dépenses publiques gage de fixation du personnel étatique et du développement régional. Il y va de même pour les secteurs de l’Education Nationale, de la Santé, du Travail, des infrastructures publiques, du social ou de la culture.

La démocratie locale impose à l’Exécutif et au Législatif la manifestation volontariste de l’élaboration des normes de répartition des domaines d’intervention Etat / Région / Communes et d’organisation des élections régionales et communales en vue de rendre effectives les institutions de proximité. Il convient d’y rajouter les Finances Publiques « reformatées » et l’élaboration normative des Finances Locales sources de revenus pour les collectivités territoriales en vue d’assurer convenablement la mission que l’Etat central décharge sur elles. L’Exécutif et le Législateur se voient dans l’obligation de leurs prérogatives de répartir les domaines d’intervention de l’Etat et des collectivités et définissent les moyens financiers correspondants.

La refonte des fiscalités nationales et locales impose pour ces deux acteurs – Etat et collectivités, la maîtrise foncière urbanistique du Pays. Des domaines qui relèvent de l’Etat, des Régions et des Communes sont encadrés juridiquement pour éviter l’intervention intempestive des gouvernants et de leurs techniciens. Ce qui conduit à l’établissement d’un schéma directeur national, régional et communal d’identification des périmètres répartis et du plan de développement urbain, rural et fluvial. Cela doit être accompagné par des réserves foncières et touristiques à cause de leur biodiversité et leur écosystème. Un plan d’occupation du sol communal complète l’édifice et permet de définir et redéfinir le cadre foncier et juridique d’aménagement du territoire.

Le plan cadastré favorise au plan local la levée des impôts fonciers sur les battus et non battus, d’une part et les zones à moindre ou fortes activités économiques par un système de péréquation entre l’Etat, les Régions et les Communes créant ainsi une synergie de solidarité nationale entre l’Etat et les Collectivités territoriales riches ou pauvres.

En clair, la mission de souveraineté nationale et d’intérêt suprarégional relève de l’Etat gouvernant et les intérêts locaux sont gérés par les Régions, les Communes ou dans le cadre de l’intercommunalité donnant lié aux moyens appropriés.

La réussite de la décentralisation et de la démocratie locale passe par la compétence et la technicité des personnels administratifs et contractuels de l’Etat et des collectivités locales. Il convient de définir le cadre juridique de leur recrutement, rémunération, avancement et sanction en cas de faute disciplinaire. Pour éviter d’innombrables statuts particuliers débouchant sur l’inefficacité et l’inefficience, il est raisonnable de retenir trois statuts : les statuts des fonctions publiques, les statuts des militaires et assimilés et les statuts des fonctionnaires et des contractuels des collectivités locales. Ils consentissent les droits et les obligations des personnels de ces trois corps de l’Etat décentralisé.

L’Etat gouvernant a aussi mission de réussir la politique économique du Gouvernement. Ce qui implique l’accessibilité fluide au Programme Politique du Gouvernement, l’identification des priorités à court, moyen et long terme et la fixation correspondante des moyens adéquats à les atteindre avec phase périodique d’évaluation et de correction justifiée.

Malheureusement le délai constitutionnel de présentation de ce Programme, l’impréparation des cabinets de la Primature et des Ministères à un tel enjeu et l’absence de substance visionnaire et chiffrée des candidats à la Présidence de la République concourent à sortir un Programme Politique sans matrice cohérente, organisée, planifiée et chiffrée. Et l’absence a posteriori de sanction politique à la clef favorise un laisser-aller et la main libre au Gouvernement d’agir à sa guise sans l’obligation de résultat.

Pour corriger cette tendance aléatoire et défaillante, il semble nécessaire sinon importance qu’après vote de confiance du Premier Programme Politique du Premier Ministre, le Gouvernement élabore et présente dans un délai raisonnable dans le cadre de la mandature du Président de la République une loi de programmation économique, sociale et chiffré pour un quinquennat.

En cas de changement du Premier Ministre, le nouveau doit s’en inspirer pour la réorientation de la politique macroéconomique, multisectorielle et sociale de son prédécesseur qui doit être contenu dans son discours programme soumis au vote des Députés.

La lutte contre la Corruption et l’impunité est une exigence pour la maîtrise des Finances de l’Etat. Mais le Gouvernement à l’obligation préalable de faire des salaires l’une des dépenses obligatoires et incompressives de l’Etat. Ils doivent être versés régulièrement.

Les arriérés de salaires doivent être évalués dans la dette intérieure de l’Etat. Une conférence sociale réunissant le Gouvernement, les Syndicats et les Non Syndiqués salariés proposera au Gouvernement la stratégie de résorption de ces arriérés sans la forme financière, foncière ou de capitalisation pour la création des Entreprises. La banque des crédits publics créée à cet effet permettra de financer des projets des fonctionnaires et agents de l’Etat retraités ou bénéficiant d’une retraite anticipée dans le cadre de politique sociale de libérer des places en vue de recruter des jeunes diplômés.

L’économie sans la maîtrise des ressources nationales n’est que chimère. Le Gouvernement se trouve dans l’urgence d’évaluer ses ressources naturelles, de dégager les priorités d’exploitation et de capter intégralement les bénéfices et de les redistribuer.

L’autre secteur essentiel de réforme est la forêt et les mines. Le projet des codes et leur promulgation constituent un atout considérable de leur encadrement juridique et économique. Cet encadrement conduit à la rationalisation de la gestion de cette richesse épuisable. Il est prioritaire d’en établir une cartographie exacte et d’en planifier l’exploitation en ayant en perspective les générations futures. La constitution des réserves foncières s’impose et lie le Gouvernement dans la définition de sa politique économique et la protection de l’écosystème centrafricain.

Le développement durable admet que les Gouvernants reforment les secteurs de l’éducation et de la formation. Ils doivent préalablement tirer la leçon d’échec successif dans ce secteur qu’après, réfléchir conjointement avec les enseignants, les formateurs, les syndicats et les parents d’élèves sur la voie et les moyens de constituer une « réserve » de compétence et de technicité soutenant le renouvellement du personnel public ou privé. Le Budget de l’Etat conséquent est à consacrer à ladite réforme et à être évaluer périodiquement en tenant compte de succès et de correction à y apporter.

La santé désenclavée souffre des problèmes de réhabilitation des vieilles bâtisses, de construction des nouveaux centres hospitaliers, d’équipement moderne et adapté, de compétence et de spécialisation de son personnel soignant et administratif. Dans le prolongement des réformes, la Faculté de Médecine peut déboucher sur la création d’un pool universitaire de médecine, de santé, de pharmacologie moderne et traditionnelle et de l’administration de santé alliant moyens financiers à la dimension de sa mission multiforme sanitaire, de l’efficacité dans la formation des enseignants et formateurs et la rigueur dans la délivrance des diplômes fondés sur des programmes scientifiques et techniques adaptés.

Les quelques domaines destinés à reformer ne doivent pas occulter d’autres secteurs autant fondamentaux que les bâtiments administratifs, l’habitat, les transports terrestre, aérien, fluvial et ferroviaire. La liste n’est pas exhaustive.

L’ensemble de ces réformes concertées, programmées dans leur exécution temporelle et spatiale et financées prioritairement sur les ressources de l’Etat devient une urgence et une nécessité pour le Gouvernement et les Citoyens. La solidarité dans la conception et la réalisation garantira le succès d’une telle entreprise.

CONCLUSION

Eu égard à la crise profonde de l’Etat en Centrafrique, il convient de lui imposer la théorie de la « déconstruction » et de la « reconstruction ». « Déconstruction » dans sa substance et ses structures négatives. « Reconstruction » dans ses perspectives de renouvellement positif et du développement durable. L’enjeu est à la dimension des objectifs du millénaire, à l’enclenchement du processus irréversible du progrès économique et social et à la pacification durable de la société. L’implication des citoyens est nécessaire et utile. Mais la Bonne Gouvernance et l’établissement d’un Etat de Droit en constituent des garanties fondamentales.

La résurrection de l’Etat démocratique en Centrafrique est à ce prix de déconstruction et de reconstruction. C’est un processus historique, évaluatif et constructif. La prise de conscience est un début. L’exécution est une réalité positive.

Claude L E N G A

Coordonnateur-Chef du Conseil Permanent Chargé de la Réforme de l’Administration Centrafricaine (CCCPRAC) ;

Ancien Professeur de Droit à l’Université des Antilles – Guyane.

Professeur de Droit Public à l’Université de Bangui.

(*) Article publié dans LE CITOYEN n°s2332 du 06/01/06, 2233 du 09/01/06, 2334 du 10/01/06, 2235 du 11/01/06 et 2336 du 12/01/06

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