L’ONU critiquée pour l’absence de plan Marshall en Centrafrique

 

economie - Par Francis Sahel - Publié le

 

Dans un rapport publié récemment l’ONG International crisis group (ICG) critique sévèrement la stratégie des Nations unies en Centrafrique et appelle à prendre en compte les aspects économiques de la reconstruction du pays

 

Jeunes à côté de la Cathédrale Notre Dame au centre ville de bangui - Crédit 
photo: Tous droits réservés d.r.

 La mort samedi dernier de cinq casques bleus rwandais de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations pour la stabilisation de la Centrafrique (Minusca) lors d’un tragique incident  a relancé le débat sur la stratégie onusienne dans ce pays d’Afrique centrale confronté depuis plusieurs années à une grave crise politique et humanitaire. Pour l’ONG International Crisis group (ICG), « la dernière résolution des Nations unies s’inscrit malheureusement dans la continuité et ne fait guère preuve d’imagination en évitant soigneusement d’impliquer la Minusca dans l’indispensable tâche de reconstruction stabilisatrice ».

Dans un rapport consacré au pays, au terme de plusieurs semaines d’enquête sur place, ICG estime qu’il « se révèlera impératif de compléter et modifier le mandat de la Minusca pour utiliser l’économie comme levier de la stabilisation, de poser les fondations d’une administration plus intègre et lutter contre la prédation par des actions de police régionales, voire internationales ».

Estimant que les Nations unies vont droit dans le mur en Centrafrique avec leur approche actuelle, l’ONG les appelle à sortir du champ balisé des mandats traditionnels et à comprendre qu’une opération de maintien de la paix n’est pas une stratégie mais un outil.

« L’organisation des élections n’est pas une sortie de crise », met en garde ICG qui déplore que les acteurs internationaux n’acceptent pas « un sérieux exercice d’analyse rétrospective et d’autocritique » pour tirer les enseignements de précédents échecs d’interventions multinationales en Centrafrique.

Lutte sans merci contre la corruption

Les auteurs du rapport vont bien au-delà de la seule responsabilité des Nations unies pour définir les conditions minimales de la reconstruction de la Centrafrique. Selon eux, rien de solide ne peut être envisagé dans le pays sans une relance de l’économie et une meilleure gouvernance économique.

« Grande absente de la résolution de la crise en RCA, la relance de l’économie n’en est pas moins indispensable. Il s’agit en effet de répondre à deux objectifs essentiels : à court terme, fournir du travail à la population par une politique de reconstruction et, à plus long terme, rebâtir une économie productive  qui a disparu afin de réduire le champ d’action des groupes armés », conseille ICG.

L’ONG insiste la nécessité de compléter la relance économique par une réforme totale de la gestion des finances publiques guidée par la volonté de lutter contre la corruption d’Etat.

« L’assainissement des finances publiques et la réorganisation de certains services financiers de l’Etat doivent être des priorités. Ces chantiers sont compliqués à mettre en œuvre dans les pays frappés par des crises cycliques comme en RCA, car ils se heurtent souvent à l’absence de la volonté politique des dirigeants de réformer leurs administrations », insiste le rapport.

En dépit de ses immenses ressources extractives, la Centrafrique est classé au plus bas du classement de l’indice du  développement (IDH) des Nations unies.

« La lutte contre la prédation passe par la suspension des signatures de contrats miniers, la reprise du contrôle du secteur diamantifère, la lutte contre les trafics internationaux et la recherche des fonds présumés détournés par les deux gouvernements précédents », poursuit ce rapport opportunément intitulé « La crise centrafricaine : de la prédation à la stabilisation ».

Toutes ces réformes ont pour enjeu principal d’assurer un changement de gouvernance en Centrafrique, un passage indispensable pour éviter que le pays ne retombe dans une nouvelle crise, même en cas de succès de la transition actuelle. L’ONU ne semble pas avoir choisi cette lecture des événements, ce que déplore ICG.  

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Centrafrique, l’échec annoncé du forum de Bangui

editos - Par Francis Sahel - Publié le

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Censé amorcer un processus de réconciliation en Centrafrique, le forum de Bangui s'est achevé lundi 11 mai dans le trouble. Des tirs ont éclaté devant l'Assemblée nationale et des barrages ont été érigés dans la ville. Preuve que rien n'est réglé dans le pays.

Après plusieurs reports et une énorme cacophonie dans sa préparation, le forum de réconciliation nationale en Centrafrique a fini par se tenir du 7 au 11 mai à Bangui. Et c’est en soi un événement ! Rien n’indiquait il y a quelques semaines que le pays réussirait le pari de réunir pendant huit jours plus de 500 participants dont de nombreux se vouent une haine viscérale. 

La RCA, championne des forums

Mieux, les résultats qui sont sortis de ces assises confortent l’optimisme. Comment ne pas se réjouir de la volonté proclamée de mettre fin à la longue tradition d’impunité en RCA à travers la création d’une cour pénale spéciale associant magistrats centrafricains et internationaux ? Comment ne pas applaudir l’accord sur le désarmement, la démobilisation et la réinsertion signé entre le gouvernement de transition, d’une part, et les milices anti-Balaka, et ex-Seleka (rébellion armée qui a chassé François Bozizé du pouvoir en 2003) d'autre part ? L’engagement solennel du Forum à mettre un terme au cycle de prise de pouvoir par les armes n'est-il pas louable ? Depuis près d’un quart de siècle, les seules alternances que le pays a connues se sont produites par les armes : renversement de Ange-Félix Patassé par Bozizé en 2003 ; éviction de Bozizé lui-même par la Séléka en 2013... Au tableau idillyque des conclusions du forum s'ajoute le consensus obtenu pour reporter à bien plus tard l’organisation des élections législatives et présidentielles, initialement prévues en juin-juillet prochains. Que demander de plus ? 

A en croire ces glorieuses résolutions, la réconciliation est en marche et le pays a tourné définitivement la page de la crise socio-politique de ces deux dernières années. C'est aller bien vite en besogne. Pour rappel, la Centrafrique a déjà organisé plusieurs rencontres de réconciliation nationale en 2003 et en 2008. Les recommandations issues de ces grands raouts sont toujours restées lettres mortes. La RCA est le pays africain qui détient, de très loin, le record du plus grand nombre de forums organisés et du plus grand nombre d’accords de sortie de crise signés. Sans résultats tangibles. Le forum qui vient de se cloturer pourrait bien finir lui aussi au cimetière des bonnes intentions.

Les délégués n’ont défini aucun mécanisme de suivi des conclusions de leurs travaux avant de se séparer. La mise à l’écart des ex-chefs d’Etat Bozizé et Djotodia a par ailleurs entaché le caractère inclusif que l’on a voulu donner aux assises. Cerise sur le gâteau, anti-Balaka et ex-Seleka ont érigé des barrages et tiré à l’arme lourde dans Bangui le jour même de la clôture du forum. Il faudra, sans doute, une autre rencontre pour se pencher sur leurs revendications spécifiques. La Centrafrique est bien loin d'être tirée d'affaire.