Le médicament, un autre exemple du gâchis centrafricain…

 

 

AVANT-PROPOS

 

 « Jouir du meilleur état de santé est un objectif et un droit fondamental pour tout être humain », prescrit l’Organisation mondiale de la Santé ; nul doute pour chacun de nous, la santé est son bien le plus précieux, même s’il est inégalement distribué, génétiquement de par la naissance et au cours de la vie.

 


Docteur Bernard Lala, Photo-ACAP/Soupou

A l’évocation de ce patrimoine, on se prend à penser à l’alchimie complexe des facteurs de l’hérédité, le résultat de leurs actions synergiques ou antagonistes modulé par nos habitudes et cadre de vie ; en résumé, cette « somme à la fois d’avantages biologiques et de faiblesses » inhérente à chaque individu, qui explique qu’une épidémie aussi virulente soit-elle, peut passer sur une population et bien sûr causer beaucoup de morts, il subsistera toujours des survivants qui, pour certains auront guéri de la maladie épidémique et pour d’autres auront échappé indemnes à l’affection…En vérité la science a , de nos jours, fini d’élucider ces concepts, éliminant toute zone d’ombre. Néanmoins on sent poindre un peu d’angoisse chaque fois qu’à la réflexion on en vient à réaliser combien « l’état de bonne santé » parait structurellement labile, facilement désorganisable. Est-ce en réaction au constat de cette fragilité de la santé face à sa fonction vitale, l’adulte responsable accorde une attention particulière à tout ce qui concourt à la préservation, au maintien et à l’amélioration de son « bien être ». Ainsi en va-t-il du médicament, outil central indispensable à la réalisation et à la réussite de toute action de santé. Malheureusement autour de ce rôle prépondérant, se sont également créés dans la population, sous forme d’attitudes et de comportements divers, bons ou mauvais, favorables à la santé ou constituant de véritables menaces, des rapports complexes face au médicament, au double plan de sa perception et de son utilisation.

Le médicament, dans notre société, attire, séduit et « mystifie » ; il mystifie en particulier ceux ou celles qui n’ont aucune connaissance en physiologie, en pathologie humaine et en pharmacodynamique ; ceux ou celles pour qui les mécanismes d’action de la molécule-base qui fonde l’efficacité du médicament reste un mystère. Nos coutumes et notre « médecine » se nourrissent de ce mystère fait de zones d’ombre entretenues à dessein pour générer la peur, la vénération et le mysticisme dans un but de contrôle psychologique sur des tiers. Les Centrafricains, toutes générations confondues jusqu’à notre époque, qui constituent la majorité de la clientèle assidue ou occasionnelle de la médecine traditionnelle, y sont « formatés » et estampillés « Yétikoua ». Comme tels, ils croient au lien fort entre leur « moi culturel » et le déterminisme de toute maladie qui les frappe ; en conséquence, le tradithérapeute, seul capable d’interpréter et de comprendre ce lien, s’impose comme le plus apte à les soigner. Selon la même vision des choses, l’efficacité d’une décoction médicinale serait conditionnée et proportionnelle à la qualité des danses rituelles et des incantations psalmodiées par le guérisseur avant l’administration aux patients. Le rite serait une étape obligée pour tout traitement garanti efficace. Or voilà arrivés les médicaments de la médecine moderne. Le praticien les prescrit et le patient les prend tout simplement ; nul besoin de passer par des « youyous » et autres « contorsions » ; la guérison est même encore plus franche ! Evidemment de tels résultats, assimilables à des miracles, frappent l’esprit des « Yétikoua » ; et du fait que ces derniers ont pris une part active dans la réalisation du « miracle », ils se croient déjà investis de quelques-uns des pouvoirs de guérisseur. Ainsi nait et s’explique une part de la grande fascination qu’exerce le médicament sur la population.

En effet, de tous les adjuvants restaurateurs ou facilitateurs de la santé, le médicament est de loin le plus « populaire ». La population, totalement conquise, « le met à toutes les sauces » ; la panacée universelle n’existant pas, ce triomphe du médicament expose son utilisation à tous les dévoiements possibles, souvent dangereux. Cette situation est devenue encore plus préoccupante dès l’instant où, sans le vouloir, les firmes pharmaceutiques ont facilité ces dévoiements en proposant certaines formules pour des schémas thérapeutiques simplifiés ; le but, noble au départ, celui de promouvoir le principe de la dose de traitement en une prise ( traitement-minute ) ou en prise unique journalière sur une durée raisonnablement courte, se trouva abatardi, galvaudé...

ENONCE DU PROBLEME

Quand Yétikoua malade est reçu en consultation externe par un médecin, il ressort avec une ordonnance qu’il doit présenter au pharmacien pour l’exécution de la prescription. Souvent et c’est là où commence le dysfonctionnement, au niveau des officines à Bangui, Yétikoua est servi par un « petit personnel » dont il doute de la formation à la dispensation du médicament et dont il n’attend certainement pas de recevoir des conseils pour la bonne conduite de son traitement, conseils utiles qu’il aurait volontiers acceptés du pharmacien. L’exemple lui est ainsi donné qu’il n’est nul besoin d’habiletés spéciales pour « vendre du médicament ». A tort ou à raison on peut penser qu’en déléguant ses tâches et responsabilités à des assistants peu convaincants professionnellement mais plus visibles au comptoir que lui, le pharmacien centrafricain a réussi à faire oublier qu’il a dû compléter plus de cinq années d’études universitaires pour être autorisé sur diplôme à tenir une officine. Il a lui-même déprécié sa fonction que désormais n’importe quel aventurier attiré uniquement par le côté lucratif voudrait exercer.

Yétikoua rentre chez lui avec ses médicaments prescrits par un médecin ; il suit son traitement et guérit complètement. Cet heureux dénouement, aussi spectaculaire à ses yeux que son mal et sa détresse étaient profonds, enflamme son esprit resté très proche de la nature comme la majorité de nos compatriotes. Rétrospectivement il est impressionné par sa maîtrise de l’exécution de la prescription médicale ; il mesure le gain d’expérience et il apprécie l’expertise qu’il s’est bâtie, le temps de sa maladie, dans le domaine médical. Il est prêt à sauter le pas car « moins on sait, plus on ose », n’est-ce pas ? Ajoutez qu’en tout Africain il y a un guérisseur qui sommeille ; donnez-lui les moyens et il prend en main son automédication ; à l’occasion il prodiguera des conseils aux malades et au besoin il s’autorisera à prescrire des médicaments.

Les faits qui viennent d’être rapportés, figurent parmi les principaux facteurs qui ont abouti au développement du marché parallèle du médicament qu’on trouve en vente libre sur des étals, à côté des clous et des boutons, en démarchage ambulant par de petits dealers et au niveau de pseudo-centres de santé où diagnostics et prescriptions ont la curieuse manie de toujours correspondre aux médicaments disponibles en stock au centre qu’on peut écouler de cette manière…Ces ventes frauduleuses font un tort inestimable au circuit légal de dispensation du médicament auquel elles tendent à se substituer, aggravant chaque jour un peu plus, la menace qu’elles exercent sur la santé de la population, par l’accès trop facile et non contrôlé à des produits, souvent de mauvaise qualité ou devenus dangereux du fait des mauvaises conditions de manipulation ou de conservation.

A l’évidence le marché parallèle se nourrit de l’ignorance et de la crédulité de la population qui continue d’acheter ces médicaments malgré les mises en garde. Il se renouvelle parce que des professionnels de la santé du niveau grossiste importateur continuent de l’approvisionner en violation de la réglementation en vigueur. Il prospère en toute illégalité sous nos yeux parce que les contrôles aux frontières sont inefficaces et parce que nos lois ne sont pas strictement appliquées. Les responsabilités dans la pérennisation de ce marché illégal sont donc également partagées entre différents protagonistes clairement identifiés qui, sur cette base et chacun en ce qui le concerne, devraient contribuer par des solutions durables à assainir la dispensation du médicament et à renforcer son utilisation rationnelle au bénéfice de la santé du malade. La situation actuelle exige comme une urgence qu’on s’en préoccupe afin d’éviter :

1. que la résurgence inopportune d’une résistance des germes ne prive la majorité de la population du bénéfice des quelques rares génériques actifs qui sont encore à des coûts abordables pour ses besoins de santé ;

2. qu’en continuant de l’utiliser de façon anarchique et sans avis médical, le médicament n’en vienne à causer plus de mal qu’il n’en guérit ;

3. ou pire encore, qu’il ne tue plus de Centrafricains qu’il n’en sauve…

SOURCES ET FACTEURS ETIOLOGIQUES DETER MINANTS DU PROBLEME…

Petit retour sur l’histoire de notre pays pour un court rappel comme une étape utile d’information permettant à chacun de mieux comprendre les différents aspects de nos problèmes de gestion en général et dans le domaine de la santé en particulier.

Le service colonial de santé tel qu’il a fonctionné dans notre pays mettait principalement l’accent sur la prévention ; il reposait sur des équipes mobiles dites d’hygiène, de prophylaxie et lutte contre les grandes endémies. Notre pays, Oubangui-Chari à l’époque, était divisé en secteurs de santé qui préfuguraient déjà les régions sanitaires actuelles. A la tête de chaque secteur était invariablement un médecin militaire français, assisté en tournées et dans les activités techniques par des paramédicaux autochtones « formés sur le tas ». Sur le bilan de performance de ces secteurs à l’entrée des années de l’indépendance en 1960, l’opinion est unanime pour reconnaître la grande efficacité des équipes mobiles et la qualité des résultats obtenus : pratiquement tous les foyers de trypanosomiase humaine africaine éteints, l’incidence du paludisme réduite en ville comme en zone rurale, les principales endémies ( Pian, Bejel, géohelminthiases…) sous contrôle. Pour autant, considérées à l’échelle du pays, les équipes mobiles constituaient une « grosse machinerie » dont le fonctionnement consommait des quantités énormes de resssources que seule la puissance coloniale avait la capacité de supporter. Au lendemain de la proclamation de l’indépendance, à la suite du désengagement de la France et du fait du volume insuffisant de l’aide extérieure, notre pays s’est retrouvé rapidement dans l’impossibilité de maintenir les équipes mobiles en activité ; tout l’édifice était dès lors condamné à un délitement continu inexorable ; la stratégie mobile fut abandonnée. Cette décision mit à découvert toute la zone rurale qui abrite la majorité de la population : l’offre de soins curatifs cantonnée en zone urbaine restait encore trop faible pour assurer une vicariance à la hauteur des besoins de santé mis à découvert. Le système national de santé entra progressivement en crise sans espoir de solution en vue. Dix années plus tard il était dans un délabrement profond. A l’origine on pourrait retenir au moins trois causes :

• le déficit aigu en Ressources Humaines formées et l’absence de leadership en santé s’inscrivent en premier. En 1960, année de notre nouveau départ, l’effectif du personnel disponible pour animer les activités de santé se réduisait, pour les cadres nationaux , à un petit nombre de paramédicaux et deux étudiants de troisième année de médecine…et pour les cadres expatriés, à une dizaine à peine de médecins, tous français, qui se partageaient entre les programmes de prévention pour les épidémiologistes vrais ou faisant fonction, les services de soins dans les rares formations sanitaires pour les cliniciens, l’Institut Pasteur pour les chercheurs et le cabinet du Ministre pour les conseillers techniques. Aucun de ces derniers n’était formé en santé publique ; du fait de l’absence de cette capacité technique, ils n’ont jamais été en mesure d’aider le Ministre à définir une véritable politique nationale de santé assortie d’un Plan National de Développement Sanitaire qui aurait été la réponse adaptée à la situation.

La RCA est la seule des anciennes colonies à avoir « perdu » toute son équipe politique, la veille de la proclamation de l’indépendance nationale. Dès lors l’histoire du pays s’est mise à boiter ; et elle continue de boiter ; et c’est la deuxième cause de nos maux, combien profonde et dévastatrice.

- Depuis 1959, le 29 Mars de chaque année, la nation centrafricaine se met en deuil et pleure ses héros disparus ; mais a-t-on jamais saisi toute la profondeur et les répercutions du tort causé au pays quant à ses chances de développement par cet « accident d’avion » ? Boganda et son équipe disparus, en l’espace de la même nuit se sont envolés, et les projets patiemment mûris pour organiser et gérer le pays, et la somme d’expérience politique et le leadership, fruits de longues années de lutte qui constituaient le socle sur lequel on aurait assis la Première République. Par défaut, l’inexpérience a été placée à la tête de l’Etat. Inévitablement, plus par réflexe de survie au début que par ignorance, elle a secrété puis imposé la médiocrité comme critère de choix des hommes et de gestion. Dans le contexte créé, le brillant second est perçu comme menace par son chef très mal à l’aise à son poste ; la crainte de se découvrir fait exclure toute collaboration ; le travail en équipe proscrit, toute possibilité de développer un leadership à la tête des départements est annihilée. Ce refus de progrès, attitude absolument suicidaire de nos jours pour toute communauté organisée, est complaisamment entretenu par la situation paradoxale créée où le pays, déjà limité dans ses projets de développement par la pénurie aiguë de ressources humaines formées, se paye le luxe d’écarter systématiquement ses rares cadres compétents des postes de travail au motif que leur cursus universitaire et leur expertise trop enviables font peur. La cooptation selon ces critères d’exclusion a produit le biais de sélection d’une élite parasite, toujours symbiotique du pouvoir en place, qui joue à occuper des postes pour le titre et les avantages sans en assumer les responsabilités, avec toujours la peur au ventre et le spectre de la fuite en exil comme seule issue en cas d’alternance.

- L’aisance sociale soudaine qu’affichent ces « promus » les expose immédiatement parce qu’il n’existe pas de classe moyenne où ils se seraient fondus pour rester moins voyants. Le quotidien restant irrémédiablement morose pour la majorité, ces « happy few » cristallisent la jalousie et la haine , d’abord de ceux avec qui encore hier ils partageaient le même niveau de pauvreté, ensuite des censeurs qui n’y voient qu’usurpation, détournement et jouissance sans mérite des biens publics, enfin du « petit fonctionnaire » qui, en fin de journée de travail, attendant de se serrer dans un hypothétique minibus pour rentrer à la maison, trouve là une facile justification à sa propre paresse et ses petits trucages au bureau. Il attendrait le temps qu’il faut pour que la roue tourne à son avantage ! A l’occasion il susciterait des nuisances sociales sur des motifs farfelus pour forcer le destin et raccourcir les délais. Ainsi se présente l’archétype centrafricain du « militant » de nos multiples partis d’opposition qui sont en réalité des « outils » d’appels au secours que lancent des compatriotes, pour la plupart, des « has been » incapables de monter une initiative privée pouvant leur assurer la subsistance et devenus parasites obligés de l’Etat : rendu prosaïquement, ce sont des ventres vides qui demandent à aller à leur tour au festin…Et ce sera du « pareil au même » car c’est le dernier de leur souci de disposer d’un programme, de préparer une équipe de rechange ou de travailler à la promotion d’une vision structurée qui mettrait le pays sur la voie du développement.

- Tout cela mis ensemble a abouti à l’affaiblissement, voire à la dénaturation des messages de mobilisation au travail qu’adressent régulièrement les Autorités nationales à la population qui, du fait de ces mauvais exemples ambiants, n’en retient que les distorsions. Le concept du travail honnête rémunérateur est vidé de son sens. Comment le chef de Département réussirait-il à mettre ses collaborateurs au travail s’il a peur de certains et ne s’intéresse pas aux restants, s’il ne les convainc pas par son opiniâtreté au travail, s’il n’est pas capable de leur montrer ce qu’il faut faire et comment il convient de le faire. Remonter la pente sera dure. Mais ne rien faire équivaudrait à exclure le pays de toute opportunité de développement. Des erreurs ont été commises, certes, et se commettront encore mais comme dit l’adage « to err is human » ou encore « seul ne se trompe jamais, celui qui ne fait rien ». Les progrès de l’humanité viennent de la capacité des hommes à reconnaître leurs erreurs et à les corriger. A cet égard le travail en Centrafrique aurait un urgent besoin de réhabilitation et de revalorisation selon un train de réformes où devraient prévaloir la dépolitisation de la fonction publique, la nomination au mérite sur des postes décrits avec profil défini, la promotion des cadres et de l’initiative privée dans tous les secteurs, la volonté affirmée d’aider le citoyen centrafricain sans exclusive ni favoritisme, à prospérer et à s’enrichir dans son domaine d’activité. Lancer cette dynamique de réformes serait hautement opportune et bénéfique à notre pays qui parait avoir atteint l’acmé d’un processus pernicieux, lequel a achevé de dépouiller « tout ce qui exerce une parcelle de pouvoir » de toute crédibilité, de la même manière qu’il a avili et enlevé toute noblesse au concept « faire de la politique » qui dans notre langue nationale est synonyme de « raconter des fadaises », « proférer des mensonges » et « faire des promesses non tenues ». Le risque à la longue serait que plus personne ne nous prenne jamais au sérieux pour discuter de nos problèmes et accepter de nous accompagner dans la mise en œuvre des solutions.

• la troisième cause est en rapport avec le sort commun fait à l’époque à toutes les anciennes colonies d’Afrique venant d’accéder à la souveraineté de gestion ; elle est l’œuvre d’une génération de pseudo-experts qui sévissaient alors à la Banque Mondiale et dont, rétrospectivement, au regard de la position actuelle de leur institution sur la question, on n’a pas fini de sonder la profondeur de l’incompétence et de mesurer l’absence de vision. En effet les programmes d’ajustement structurel qu’ils imposèrent sans variation, avec morgue et indifférence à tous les pays, n’eurent pour effets visibles que d’ébranler les fondements du secteur social naissant et de désintégrer les services précaires qui fonctionnaient encore dans le domaine de la santé, précipitant la majorité de la population dans l’extrême pauvreté. A la fin de la première décennie d’indépendance, l’ensemble des secteurs sociaux étaient plongés dans une crise profonde ; la situation sanitaire en Centrafrique était devenue une véritable catastrophe.

 

LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE AU CHEVET DES SYSTEMES NATIONAUX DE SANTE..

En Septembre 1978, à l’initiative de l’OMS et de l’UNICEF se tint à Alma Ata au Kazakhstan ( URSS ) la Conférence Internationale sur les Soins de Santé Primaires ( SSP ). Les Chefs d’Etat et de Gouvernement du monde invités devaient se prononcer sur la validité des SSP en tant que réponse aux diverses contraintes au développement sanitaire dans les pays. Les SSP se définissent comme des soins de santé essentiels organisés en huit composantes dont la mise en œuvre, pour être complète et efficace, exige de collaborer avec certains secteurs connexes qui sont l’Education Nationale, l’Agriculture, le Commerce et les Finances. Le succès fut total et la Conférence eut un grand retentissement qui depuis lors ne s’est jamais démenti. La Déclaration Finale reçut le visa unanime des pays participants qui, avec la même unanimité, adoptèrent les SSP comme stratégie nationale de développement sanitaire et la seule capable de leur permettre d’atteindre l’objectif social de la santé pour tous en l’An 2000. La République Centrafricaine était représentée à la Conférence par le Prof Georges Pinerd.

Pourtant une fois de retour sur le terrain et malgré la volonté indéniable de faire, personne ni aucun pays ne sut par où commencer l’application des SSP. Plusieurs années s’écoulèrent sans progrès notable dans la mise en œuvre de la nouvelle stratégie, si ce n’est en 1980 la mise au point de la Liste Modèle des Médicaments Essentiels ( ME ) par l’OMS ; elle fut immédiatement proposée aux Etats Membres qui l’adaptèrent chacun en Liste Nationale des ME. Finalement c’est en 1985, au cours du Comité Régional de l’OMS pour l’Afrique tenu à Lusaka ( Zambie ) que Gottlieb Monekosso, Directeur Régional de l’OMS présente et fait adopter le Scénario en trois phases pour le développement sanitaire en Afrique. Selon les termes du « scénario », le système national de santé est une pyramide à trois niveaux : central/national, intermédiaire/régional et périphérique/ local. Le niveau central est le Ministère de la santé, appuyé par les grandes institutions de soins, de recherche et de formation ; il définit la politique de santé, élabore les plans et programmes, mobilise et alloue les ressources, évalue la mise en œuvre et reprogramme. Le niveau intermédiaire composé des hôpitaux régionaux assure la coordination pour une mise en œuvre intégrée des programmes, apporte l’appui technique et effectue les supervisions. Le niveau périphérique est le niveau du district sanitaire correspondant à la préfecture en RCA ; c’est le niveau opérationnel où l’hôpital préfectoral et les centres de santé réalisent des interventions au sein de la communauté. Une hiérarchisation des compétences et des prérogatives fonctionne du sommet à la base de la pyramide et organise la collaboration entre les niveaux dans un esprit de complémentarité. La décentralisation du système se complète par le transfert de certains pouvoirs de décision administrative et financière à la communauté afin d’asseoir sa pleine participation à l’auto prise en charge de ses problèmes de santé et à la gestion des formations sanitaires de sa zone administrative.

Selon le chronogramme d’application du « scénario », 1986 devait être l’année de l’opérationnalisation des districts sanitaires dans l’ensemble des pays. Et selon les critères retenus, un district sanitaire était déclaré opérationnel lorsque l’équipe cadre du district (ECD) était mise en place et fonctionnelle, le paquet minimum d’activités (PMA) défini, le plan d’action du district élaboré et mis en œuvre, le comité de gestion (COGES) en place avec les Représentants élus de la communauté et les rapports d’activités produits régulièrement. Mais en définitive une seule année d’application aura suffi pour convaincre de la nécessité de fournir régulièrement au district des ressources en quantités suffisantes pour son fonctionnement.

Au cours de l’année suivante c.à.d 1987, différents schémas de financement qui lèveraient les contraintes et autres limites au développement du district sanitaire furent tour à tour examinés. Lors d’une réunion à Bamako (MALI), le Camerounais Monékosso, directeur régional de l’OMS et l’Américain Grant, directeur exécutif de l’UNICEF présentèrent un mécanisme permettant de mettre des ressources de façon pérenne à la disposition des districts pour leur fonctionnement. Ainsi naît l’Initiative de Bamako. Dans le cadre et l’esprit de l’Initiative, la communauté accepte de payer pour sa santé ; en contrepartie, à travers ses élus siégeant au comité de gestion (COGES), elle exercera un contrôle direct sur les activités de santé organisées par et dans les formations sanitaires de sa zone administrative. C’est la communauté qui désormais fixe les tarifs de prestations. Pour enclencher le mécanisme, chaque district reçoit au départ en capital d’amorçage, un lot de médicaments calculé en quantité et en proportions des différentes molécules en fonction de la taille de la population, de la prévalence des maladies du district et de son PMA ; le recouvrement des coûts de prestations offertes grâce aux médicaments génère des recettes qui serviront en priorité au renouvellement du stock de médicaments du district ; le reliquat sera utilisé pour couvrir les frais de fonctionnement de la formation sanitaire ou pour financer certaines activités de santé telles que les vaccinations. Ce cycle une fois lancé est censé tourner indéfiniment au bénéfice des activités de santé du district, à la seule condition que le COGES gère efficacement…

La mission de l’Initiative de Bamako était donc de rendre les médicaments disponibles en permanence pour les soins aux malades et grâce aux recouvrements des coûts de prestations offertes à la communauté permettre le financement et la pérennisation des activités de santé du district. Tous les pays de la Région africaine y compris la République Centrafricaine ont adopté « l’Initiative » et l’appliquent actuellement à la mise en œuvre et au financement de leurs activités de santé. Au bilan au terme de plus de vingt années d’application de l’Initiative en Centrafrique, le médicament est-il accessible aux malades pour les soins, c.à.d disponible géographiquement et abordable au coût ? Jusqu’où les mécanismes mis en place dans le cadre de l’IB remplissent leur rôle de facilitation d’accès aux soins ? Quels sont ces mécanismes s’agissant de la RCA ?

 

LE CADRE CENTRAFRICAIN DE GESTION DU MEDICAMENT…

D’un point de vue général la chaîne d’opérations aboutissant à la mise d’un nouveau médicament sur le marché et à disposition pour les soins aux malades comprend les recherches, la production, l’approvisionnement, le stockage, la distribution et la dispensation. En amont de la production qui leur est intimement tributaire, se font les recherches, fondamentales ou appliquées, dont les tests biologiques et les essais cliniques constituent des étapes souvent onéreuses mais obligées de mise au point pour toute nouvelle molécule. En Centrafrique le maillon recherche n’existe pas et celui de la production est encore au stade d’intentions ou de projets à leurs débuts. Un instantané de la situation actuelle retiendrait ASPHARCA, entreprise chinoise pour la production de solutés de perfusion et ROFFE PHARMA, société indienne, pour la réalisation annoncée de copies de génériques courants.

A partir du maillon approvisionnement commencent les domaines que la RCA s’efforce de maîtriser ; les preuves visibles de ces efforts sont les mécanismes mis en place pour bâtir un véritable système national permettant l’accès au médicament. Au sommet de ce système qui épouse la pyramide sanitaire est l’Unité de Cession du Médicament (UCM), structure para-étatique créée en 1994 pour répondre à la menace sur l’accès au médicament suite à la dévaluation du F CFA. L’UCM est la centrale d’achats de Centrafrique. Trois autres grossistes, Centrapharm, Roffe Pharma et Shalina complètent et appuient la mission de l’UCM qui s’étend à tout le territoire national et vise à assurer la permanence des médicaments essentiels dans toutes les formations sanitaires du pays. Selon les termes de la loi, à Bangui, seules les pharmacies tenues par un pharmacien diplômé sont autorisées ; leur nombre est limité à 20 et en concertation avec le Ministère de la santé elles devaient se distribuer de manière à couvrir équitablement tous les arrondissements de la capitale. En dehors de Bangui, tout citoyen centrafricain peut être autorisé à ouvrir un dépôt de produits pharmaceutiques s’il en fait la demande au Ministère de la santé et qu’il satisfait à toutes les conditions qui sont des précautions minimales à exiger pour la dispensation de médicaments. La loi dit aussi que dès qu’une pharmacie d’officine s’ouvre à distance d’un dépôt, celui-ci doit fermer immédiatement. En somme les dépôts sont tolérés parce que le pays ne dispose pas encore d’assez de pharmaciens pour ouvrir des officines sur tout le territoire.

A Bangui l’UCM dispose d’un magasin de stockage et des guichets de dispensation de médicaments dans les hôpitaux centraux et les centres de santé d’arrondissements ; en province elle a un dépôt pharmaceutique dans chacune des seize préfectures du pays. L’approvisionnement régulier des dépôts préfectoraux rapproche le médicament des formations sanitaires du district qui peuvent s’y fournir selon leurs besoins. Dans le contexte de l’Initiative de Bamako, les médicaments sont achetés par les COGES des formations sanitaires et utilisés pour des soins contre payement. Cependant au moins deux fois au cours de l’année, toutes les formations sanitaires du district reçoivent en don financé par le Fonds Mondial et l’UNICEF, un lot de médicaments destiné spécifiquement à la prise en charge des « moins de cinq ans ». Tout cela mis ensemble vise à garantir la permanence du médicament pour les soins à la communauté. Lorsque la rupture est constatée dans une zone, les causes sont à rechercher au niveau des différents points critiques du système et elles sont généralement :

• les unes attribuables à la mauvaise gestion des ressources du district : certains COGES doivent faire face à de nombreuses contraintes extérieures qui finissent par affecter négativement leur performance. Ici c’est le Président du COGES lui-même, habituellement le maire de la localité, qui s’empare de la caisse et en utilise les fonds à sa guise pour ses frais personnels ; ailleurs c’est le sous-préfet qui d’autorité puise dans la caisse pour financer ses missions fictives. Evidemment dès que le capital est asséché, le cycle de renouvellement se rompt. Le centre de santé et sa communauté s’installent alors dans la pénurie. En cause ici sont le manque d’esprit de responsabilité dans la gestion de la « chose publique » et l’égoïsme de certains qui se fichent du mal qu’ils causent à la majorité.

• les autres liées à la faillite du dépôt préfectoral : il s’agit habituellement d’erreurs de gestion ou de malversations avérées. Le résultat est l’incapacité dans laquelle se retrouve le dépôt de régler ses factures de re-approvisionnement à l’UCM. La pénurie qui s’installe va affecter toutes les formations sanitaires de la préfecture, y compris celles disposant de fonds pour renouveler leur stock. Ce fut le cas à Bangassou, préfecture du MBomou ; ici comme ailleurs l’UCM a été obligé de reconstituer le stock sur ses fonds propres ; en concertation avec les autorités locales une équipe de gestion du dépôt a été nommée et placée sous la supervision directe de l’UCM. Le dépôt de la préfecture du MBomou a été ainsi recapitalisé à cinq millions F CFA, avec à la tête de la nouvelle équipe de gestion une sœur de l’église catholique. Dieu veille sur nos médicaments !

La disponibilité et l’accessibilité au médicament dépend de la vitalité de l’UCM. A-t-on des raisons de rester serein ?

L’UCM dispose de réels atouts : le cadre institutionnel a été défini et légalement établi ; l’expertise pour organiser une gestion efficace est en place. En effet l’actuel Directeur de l’UCM, pharmacien de santé publique, formé aux meilleures écoles de gestion du médicament, est un cadre compétent et travailleur. Il sied au poste ; il reste à lui faire confiance et lui accorder le temps et les ressources nécessaires pour la réalisation complète des objectifs de sa mission. Cependant des contraintes existent qui demandent à être levées parce qu’elles constituent autant de brides à l’efficacité. Ainsi en va-t-il de la capacité logistique trop insuffisante à son niveau actuel pour permettre un approvisionnement régulier de tous les dépôts préfectoraux. Elle devra être étoffée. De même l’espace de stockage à son volume actuel sera vite débordé si les commandes sont ajustées aux besoins nationaux. Il doit être agrandi. A cet égard la recapitalisation attendue de l’AFD qui porterait le capital à près d’un million d’euros sera bienvenue ; cette bonification du compte dépôt de l’UCM conférerait à cette dernière la capacité de passer des commandes au montant proche du milliard F CFA et à la hauteur des besoins nationaux. A la suite, dans un souci d’efficience l’UCM devrait affiner sa collaboration avec les autres grossistes, les indiens Roffe Pharma et Shalina et le centrafricain Centrapharm. Dans le même temps il lui faudra bâtir une solide équipe nationale qui inclurait pertinemment le deuxième pharmacien de santé publique, tout aussi brillant , qui s’épuise indûment à corriger les erreurs de la « cellule dite de gestion » du PNUD, une hérésie en matière de management responsable et dont les performances médiocres sont source de stress permanent chez nos compatriotes malades tributaires des trois programmes de santé financés par le Fonds Mondial. Le démantèlement de cette cellule, décision salutaire, permettrait de bâtir une équipe nationale structurée au service du nouveau Bénéficiaire Principal du Fonds Mondial pour le Centrafrique.

Le dispositif national tel qu’il se présente et tel qu’il fonctionne, donne toutes les garanties d’un système apte à conduire à la réalisation complète des objectifs assignés, à savoir rendre les médicaments essentiels disponibles aux formations sanitaires pour les soins aux malades sur l’ensemble du territoire national. Cependant sur le terrain son efficacité apparaît limitée du fait des pressions de la fraude et diverses dérives qui produisent des effets parasites négatifs perturbant le fonctionnement des structures légales.

 

DE LA NECESSITE DE PROTEGER LE MEDICAMENT…

Il apparaît plus que jamais urgent et nécessaire de « sécuriser » toutes les étapes d’accès au médicament y compris la dispensation et l’utilisation. Le professionnel de santé qui observe nos compatriotes en diverses situations face au médicament est frappé par le côté trop souvent incompréhensible des comportements où la déraison le dispute à la crédulité infantile, l’irrationnel au lucre et à la cupidité. Il aura noté, outre l’absence d’esprit critique, de méfiance et de prudence, l’engouement fébrile pour utiliser tout ce qui peut être qualifié de médicament, oubliant que c’est avant tout, un produit chimique potentiellement dangereux, dont le maniement délicat exige certaines connaissances de base si on veut en tirer les seuls effets bénéfiques au service de la santé. Les exemples qui suivent indiquent pourquoi il faut protéger le médicament contre nous-mêmes si nous voulons qu’il nous serve efficacement et plus longtemps :

• pour commencer, chaque centrafricain aimerait avoir à sa disposition en permanence « son » médicament et si possible se constituer un petit stock à tenir sous la main, sans souci de péremption. Il est alors « armé » et toute crainte devrait être apaisée. Peut-être espère-t-il ainsi se prémunir psychologiquement, conjurer le sort et éloigner la maladie ? On en vient à se demander si la pression des endémies et le spectre trop présent de la mort suffisent vraiment à expliquer qu’on ait surévalué à ce point le « pouvoir protecteur » du médicament. Le député qui retourne dans sa circonscription avec un carton de médicaments rassure par le simple fait que « les médicaments sont là ». Et quand le médecin, même en sa position de chef du département, voudrait s’assurer qu’il remettra ces médicaments au chef du centre de santé de sa zone qui seul décidera de l’utilisation, l’élu du peuple s’agace de toutes ces précautions de « petit blanc ». L’essentiel après tout n’est-il pas « d’avoir des médicaments » ?…médicaments parapluies contre toutes les maladies, médicaments-vaccins à distance par simple effet d’annonce ; avec malheureusement tous les dévoiements d’utilisation possibles. Une fois encore nous nous attachons à la forme sans nous soucier du fond et des résultats !

• la demande de médicaments est évidemment forte, permanente, inextinguible. Elle a inévitablement aiguisé des appétits mercantiles et déclenché une véritable « ruée vers l’or » avec comme résultat, le développement explosif de diverses formes de ventes illégales des médicaments. Le chomage a versé beaucoup de nos jeunes sur ce volet d’activités dont ils ne tirent en définitive qu’une maigre part des bénéfices énormes d’un marché estimé à plusieurs milliards de dollars, organisé et tenu par de gros bonnets dont certains occupent des positions dans l’administration publique qui leur permettent de se jouer des douanes et d’ignorer les règlements en vigueur. Ils controlent toute la filière d’entrée frauduleuse des produits sur le territoire national qui se fait principalement à partir du Nigeria et du Cameroun. De fait le phénomène est général ; il s’agit d’une véritable « lèpre » qui ronge la majorité sinon tous les systèmes nationaux de santé en Afrique au sud du Sahara.

• en Centrafrique à présent, les garde-fous mis en place pour encadrer la gestion du médicament sont contournés, débordés. Des compatriotes animés par le seul esprit de lucre, ont monté des ONGs et des Associations avec des statuts interchangeables où ils se prescrivent des missions d’assistance médicale à la population en collaboration avec le Ministère de la santé publique. Une fois l’agrément du Ministère de l’Intérieur obtenu, ils s’en vont immédiatement ouvrir leur « centre de santé », oubliant délibérément d’en demander l’autorisation préalable au Ministère de la santé. A ce jour chaque arrondissement de Bangui abrite en moyenne deux à trois de ces « centres de santé sauvages », ouverts illégalement. A leur niveau officie habituellement un vieil infirmier retraité qui joue à la fois au « nganga » et au « docteur », mêlant dans un même élan le traditionnel et le moderne, avec autour du cou un stéthoscope qui sert plus de parure que pour l’auscultation des malades. Il est secondé par un agent de santé communautaire que la Croix Rouge Centrafricaine, à travers ses formations sommaires , a rempli d’illusoires capacités et de fausses certitudes. C’est lui qui a la charge de réaliser les analyses biomédicales. A l’évidence ce n’est pas avec son vieux monoculaire à l’objectif rouillé et encrassé que cet « agent de santé » pourrait identifier un parasite, des œufs ou des bactéries colorées. Une équipe du Ministère de la santé avait une fois saisi un vrai jouet qui faisait office de microscope dans l’un de ces « centres de santé ». On est dans la caricature et le simulacre au service de vrais escrocs ! Le stratagème est simple : le « chef » informe son « assistant » des prescriptions qu’il doit absolument faire dans la journée pour écouler le stock de médicaments qu’il a sous la main ; à charge pour ce dernier de lui en apporter la caution biologique avec ses tests fictifs, également facturés aux patients. A l’observation on notera que selon le contenu du stock de médicaments, il se trouve des jours où tous les malades ou presque ont des œufs d’ankylostome, des kystes d’amibe, des jours où prévaudront des staphylocoques et ainsi de suite. Pauvres compatriotes ! Je peux comprendre que ces escrocs profitent des faiblesses des services de l’Inspection de la santé et de la vigilance de la communauté pour faire quelques victimes. Mais pris individuellement, est-il permis à un adulte responsable parfois d’une famille, d’être aussi crédule, aussi naif ? La pauvreté n’est nullement une excuse. Mon père en son temps n’avait rien de plus que le centrafricain moyen du Kilo 5 ou de BoyRabe ; pourtant jamais il ne s’est mis, ni lui ni sa famille, dans des situations de pure ineptie. Etre pauvre n’est pas forcément être bête ! Récemment un ami m’interpellait sur le retard accumulé de notre pays, pour m’informer que sur la base d’analyse de situation et d’étude d’indicateurs et de paramètres du développement, la RCA en 2008 se situerait à son niveau socio-économique de 1970. Il m’est alors revenu en mémoire ces comportements puériles et j’ai pris peur à la pensée que sur le plan de sa maturation psychomotrice et intellectuelle, la population centrafricaine aurait peut-être regressé d’autant d’années..

• à cette situation déjà suffisamment alarmante, un des grossistes n’a pas hésité à ajouter son grain de sel. Dès son installation récente en grandes pompes lors d’une cérémonie officielle qui a vu la participation du Premier Ministre et des Membres du Gouvernement, ce grossiste s’est senti pousser des ailes qui le mettaient au-dessus des lois, règles et procédures de son secteur d’activités. Ainsi s’était-il mis à vendre des médicaments de prescription médicale à « des distributeurs » connus du marché illégal. Dans une campagne d’affiches à grands placards publicitaires il entreprit de vanter la bonne qualité de ses produits, sous-entendu par rapport à celle de ses concurrents ; et c’est sur la Place Centrale de Bangui qu’il choisit de planter l’un de ces placards pour promouvoir son dermocorticoide d’éclaircissement de la peau. Pourtant un texte datant du mandat du Président Patassé interdit d’importation et de vente les dermocorticoides utilisés à des fins non thérapeutiques. Avons-nous affaire à des amateurs ? En principe un professionnel autorisé à s’installer dans un pays, s’oblige à se familiariser avec la législation qui organise son secteur d’activités pour asseoir son exercice dans de bonnes conditions.

- La RCA est en quête d’initiatives et d’investissements pour enclencher la dynamique de son développement et c’est un chantier ouvert à tous et à toutes les convoitises ; les cadres centrafricains de notre époque doivent rester vigilants pour s’assurer que les déclencheurs du développement qui se mettent maintenant en place réalisent un socle solide que nous transmettrons avec un minimum d’erreurs aux générations futures qui prendront le relais pour continuer de l’enrichir. C’est pourquoi nos choix, nos décisions doivent être pesés ; nous devons prendre du recul et par exemple faire systématiquement une enquête préliminaire sur tous ceux avec qui nous nous engageons dans l’action. Si telle avait été la démarche au moment de la demande d’autorisation d’ouverture, on aurait su que ce grossiste, établi en RDC depuis plusieurs années, ne jouit pas de la meilleure renommée ; qu’il était en délicatesse avec la population et les autorités nationales policières et sanitaires à la suite des atteintes à la santé induites par son dermocorticoide, le même dont il vante présentement la bonne qualité à Bangui ; qu’enfin sa manufacture de produits pharmaceutiques sise à Mumbay (ex-BOMBAY) en Inde était à une certaine époque fermée pour compliance insuffisante avec les normes de Bonnes Pratiques de Fabrication.

- il peut arriver qu’un professionnel prenne des libertés avec la déontologie de sa corporation ; on assimile cela à de l’incompétence, indicatrice d’un besoin de formation et la décision d’encadrement est en rapport. Mais nulle part on ne saurait tolérer que le même professionnel se mette à fouler aux pieds, avec désinvolture, les lois nationales qui régissent tout un secteur d’activités socio-économiques. Dans cette affaire l’histoire retiendra que la Direction de la pharmacie et du médicament, alertée et encouragée par des voix non officielles criant leur indignation, a fait son travail : enquête au niveau du grossiste contrevenant et sur le marché, confirmation de l’infraction à la vente, constatation des affiches publicitaires ; rapport a été dressé et soumis à l’attention du chef du département pour décision et action…..qu’on attend encore des mois après ; pendant que le grossiste indélicat continue ses infractions et nous nargue avec ses panneaux publicitaires. A se demander quel a été le montant de la caution payée !

 

COMPRENDRE LES MENACES SUR LE MEDICAMENT POUR EN MESURER LES CONSEQUENCES…

La chloroquine, mieux connue sous son nom de spécialité nivaquine,était jusqu’au milieu des années 1970, le médicament de première ligne pour la prévention et le traitement de l’accès palustre. Elle était efficace et elle était à portée de la bourse de la majorité des malades. Et puis brutalement on a constaté qu’un certain nombre de malades sous chloroquine ne réagissait plus au traitement. La proportion de ces cas réfractaires va augmenter sans cesse pendant que s’étendent les zones de constatation. Le phénomène né en Afrique de l’Est est bientôt signalé en Afrique Centrale ; à la fin des années 1980, sur cent malades du paludisme qu’on traitait à la chloroquine à Bangui, vingt-cinq à trente ne guérissaient pas ; il fallait utiliser de nouveaux produits, forcément plus chers. Qu’est-ce qui s’est passé !

- A tort ou à raison, la population avait fait de la chloroquine une panacée qu’elle utilisait pour soigner des maux de tête, des coliques abdominales, des douleurs rhumatismales…etc. Malheureusement la dose de chloroquine utilisée pour ces automédications est plusieurs fois inférieure à celle indiquée pour la prévention et le traitement du paludisme. Or en zone de forte endémicité palustre une proportion de la population héberge le parasite de façon permanente dans leur sang, à un taux variable qui explique les crises récurrentes. La probabilité était donc assez élevée pour que le parasite du paludisme soit régulièrement en contact avec de la chloroquine utilisée à faible dose en automédication. Dans cet environnement non agressif le microbe s’habitue au médicament ; mieux il acquiert de nouveaux avantages biologiques qui le prémunissent contre le produit. Une nouvelle souche de parasite du paludisme nait de cette manière.

- Lorsqu’elle déclenche ses premières crises, la nouvelle forme de paludisme est difficile à traiter. Elle va se répandre grâce aux moustiques et au gré des déplacements des personnes infestées. L’aire de résistance s’étend progressivement, obligeant les Ministères de la santé à ajuster leurs protocoles de prise en charge. Ainsi après les proguanils, l’amodiaquine, les dérivés des sulfamides, l’halofantrine, etc, l’ère est à la promotion des associations à base d’arthémisinine. Le traitement standard de l’accès palustre est devenu plus cher et moins accessible financièrement à la majorité pauvre de la population où sévit la maladie. Au bilan, l’habituel et anodin « Tiens, prends donc deux comprimés de nivaquine pour tes maux de ventre » a engendré un véritable désastre !

Le Fonds Mondial et l’Union Internationale mettent régulièrement à la disposition des pays en développement dont la RCA, des médicaments pour le traitement des malades du SIDA et de la tuberculose. La prise en charge de ces malades est en principe totalement gratuite. Pourtant il se trouve des malades pour suivre irrégulièrement ou interrompre leur traitement, certains pour prendre la moitié de la dose de traitement et vendre l’autre moitié, d’autres pour céder cette moitié à un tiers resté dans l’ombre et ne voulant pas apparaître au grand jour avec sa séropositivité de peur de subir l’opprobre de la stigmatisation. On se retrouve une fois de plus dans la situation où un bon médicament est mis en contact du germe dans le sang du malade à des doses non thérapeutiques qui vont favoriser l’émergence de variants résistants. Ce qui amènera impérativement le protocole de traitement à changer dès que le niveau de résistance sera suffisamment élevé ; contre la tuberculose on devra passer à d’autres associations d’antituberculeux plus chers, et contre le SIDA à des antirétroviraux de seconde ligne encore plus onéreux. Malheureusement les fonds alloués par l’aide internationale pour l’achat de ces médicaments ne sont pas extensibles à souhait ; et en face la contribution de l’Etat reste minime et aléatoire. Traduit en clair, cela veut dire que l’augmentation du coût de ces traitements subventionnés équivaut à autant de malades exclus des soins !

En Centrafrique comme ailleurs dans la Région africaine, 75 à 80% des problèmes de santé sont des affections microbiennes, bactériennes, virales et parasitaires. Cela situe le niveau sélectivement élevé des besoins en antimicrobiens et leur place prépondérante dans l’arsenal thérapeutique. Les antimicrobiens constituent justement cette catégorie de molécules qui exigent une grande attention dans leur utilisation si l’intention est de protéger longtemps leur efficacité. Le comble de l’inconscience serait que nos pays, malgré leurs ressources limitées, persistent à commettre ces erreurs d’utilisation qui aboliraient l’efficacité des médicaments, en particulier ceux auxquels nous avons plus fréquemment recours parce qu’ils sont encore financièrement accessibles. Ajoutez que nous ne sommes pas sûrs que nos priorités de lutte contre la maladie, lucrativement parlant, emportent l’intérêt des firmes pharmaceutiques pour qu’elles s’engagent à produire les nouvelles molécules dont nous aurions besoin.

 

ALORS QUE FAIRE…

A la vitesse où vont les choses, si des mesures adéquates ne sont pas prises immédiatement pour infléchir la courbe vers la restauration de plus de normes dans la dispensation et l’utilisation des médicaments, nous allons bientôt être contraints de mettre une croix sur la plupart des molécules microbicides que nous utilisons actuellement pour traiter les maladies transmissibles qui constituent, comme on le sait, la part importante de la charge de morbidité dans notre pays ; cela nous laisserait alors sans ressources face à des affections qui auront pris de plus en plus d’ampleur. A cet effet la présente démarche se veut opportune, comme une manière de sonner l’alarme pour alerter tous les protagonistes :

• d’abord la population, victime consentante qui participe activement au déterminisme de son malheur. Elle a besoin d’informations simples et compréhensibles pour s’éduquer et s’ajuster à des comportements sages qui préservent sa santé et l’efficacité des médicaments aussi longtemps qu’elle en aura besoin ; des informations qui lui détaillent les dangers liés à l’utilisation anarchique des médicaments et lui présentent la menace que les « pharmacies par terre » font peser sur sa santé ; des informations à organiser dans de bonnes conditions au comptoir des pharmacies d’officine pour expliquer le générique et la substitution avec les avantages comparatifs face aux spécialités ; à terme cet encadrement pédagogique doit amener la population à la conviction qu’en adoptant ces nouveaux comportements vis-à-vis du médicament, elle gagne à tous les coups ; d’une part elle évite les échecs au traitement toujours prévisibles avec les produits frelatés de la rue, d’autre part elle sécurise pour longtemps la qualité de ses médicaments en contribuant à la faillite du marché parallèle.

• ensuite les professionnels du médicament, à commencer par les grossistes importateurs ; ils devraient donner la préférence aux génériques et en même temps veiller à diversifier les sources de leurs commandes. Celles-ci devraient également inclure en priorité les molécules produites localement comme un encouragement aux manufactures installées sur le sol national.A cet égard l’UCM pourrait saisir l’opportunité de promouvoir certains produits de la pharmacopée chinoise et en fonction de leur acceptabilité par la population, les faire produire sur place chez nous par ASPHARCA. Les pharmaciens dispensateurs quant à eux mettront l’accent sur la substitution des génériques aux spécialités, expliquer et donner des conseils avisés aux malades. Ainsi commenceraient-ils à jouer pleinement leur rôle, ce qui devrait les amener naturellement à mieux sélectionner leurs assistants et à les former adéquatement. Le rétablissement du pharmacien dans sa fonction, la reconnaissance de son exercice exclusif fondé sur le diplôme signifieraient également le bannissement des « vendeuses de cacahuètes » qu’on voit encore jouer au pharmacien derrière les comptoirs de certaines officines. De telles situations, une fois constatées, devraient entrainer la fermeture immédiate de l’officine-dépôt jusqu’à la restauration de l’expertise au niveau légalement reconnu ; car gérer une activité de santé ne saurait s’accommoder de passe-droit, s’agissant de compétence et de savoir-faire au service de la vie.

• enfin les pouvoirs publics et en particulier le Ministère de la santé publique et de la population pour :

- mener à terme le processus déjà entamé où collaborent les équipes de santé, de l’Intérieur et de la Défense, avec objectif de demanteler le marché parallèle du médicament à Bangui par la saisie systématique des « pharmacies par terre », la traque impitoyable des marchands ambulants et la fermeture définitive des pseudo-centres de santé ouverts illégalement pour vendre des médicaments ;

- renforcer le marketing des génériques, promouvoir leur prescription et leur substitution aux spécialités.Dans cette perspective il s’avèrera nécessaire d’organiser des séminaires de mise à niveau afin de familiariser les médecins avec les DCI qui constitueront désormais la base de leurs prescriptions médicales ;

- rétablir le nombre optimal de pharmacies à Bangui. Au début des années 1980 le Ministère de la santé en concertation avec le Conseil de l’Ordre avait décidé que seules les officines sous l’autorité de pharmciens diplomés recevraient l’autorisation de s’ouvrir à Bangui et leur nombre serait limité à vingt, réparti pour couvrir équitablement l’ensemble des arrondissements de la capitale. Des années plus tard et du fait de la concurrence déloyale du marché parallèle, les officines pharmaceutiques sont entrées dans une crise profonde de mévente et un grand nombre d’entre elles ont dû fermer. C’est dire que les mesures d’assainissement doivent d’abord viser à restaurer la demande de médicaments au profit des pharmacies d’officines ; si elles se complètent avec succès, les officines qui ont failli faute de clientèle pourront ré-ouvrir. Le défi pour la corporation des pharmaciens sera alors, en donnant la préférence aux génériques, de vendre des médicaments de bonne qualité au prix qui concurrencerait la « rue ». Cela enlèverait à la population toute raison d’aller mettre en danger sa santé avec les produits frelatés ; et à terme c’est le marché parallèle qui sera condamné à une faillite définitive.

Finalement tout ceci considéré ensemble, apparaît décousu ; il mériterait d’être organisé, guidé et coordonné. Sans oublier qu’il y a un coût pour sa réalisation. D’ailleurs si on prend de la hauteur pour en avoir une vue hollistique, immédiatement s’impose l’avantage pratique de disposer d’une politique pharmaceutique nationale (PPN). En Centrafrique le processus d’élaboration d’une PPN et d’un plan directeur a été interrompu avant son terme. Il s’agit donc de relancer la dynamique pour actualiser, finaliser les deux documents nationaux et les faire adopter par le Parlement. La PPN fournit la trame pour l’élaboration du guide thérapeutique national ; c’est le document de référence pour les protocoles de traitement et l’outil indispensable pour la standardisation des schémas de prise en charge, démarche qui garantit l’efficacité et l’économie de ressources. Ces documents ensemble serviront de support aux travaux d’une table ronde à organiser pour mobiliser les ressources nécessaires aux différents investissements envisagés.

CONCLUSION…

La santé est sans nul doute notre bien le plus précieux. Elle est avant tout un patrimoine individuel mais son bon entretien requiert en définitive l’attention de tous, collectivement. Le médicament est l’outil central de cette surveillance. Son maniement pour obtenir les effets bénéfiques escomptés reste éminemment délicat ; en effet cela exige un savoir-faire qui s’acquiert au bout de plusieurs années de formation ; cela est valable pour le médecin, cela l’est également pour le pharmacien. Autrement dit, la seule volonté de bien faire ne suffit pas ; elle pourrait même s’avérer nuisible ; à cet égard le risque le plus probable en rapport avec les divers dévoiements de l’usage du médicament dans notre pays est l’affaiblissement progressif jusqu’à la perte totale de l’efficacité de certains produits pharmaceutiques, souvent parmi ceux qui nous servent fréquemment et dont les coûts d’achat restent à la hauteur de notre bourse. Or dans des situations où l’accès au médicament devient difficile, c’est la population pauvre qui a toujours été la principale victime. Elle doit donc rester attentive aux conseils pour s’ajuster à des comportements de sagesse qui préservent sa santé et joindre ses efforts de façon éclairée à ceux des pouvoirs publics pour que lui soit garanti l’accès permanent, selon ses besoins, à des médicaments de qualité,…

A travers ces attitudes responsables la population peut espérer amener les autorités nationales à inscrire la santé au meilleur rang de priorité dans leur programme de développement. Dans cette perspective refuser l’utilisation anarchique des médicaments, geste de grande maturité, pourrait avoir un impact sur la décision.

 

Dr Bernard LALA Fonctionnaire de l’OMS à la retraite

Sourcve : Bangui, ACAP - Lundi 24 Novembre 2008

 

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