LE BAL DES BOULAFEURS À LÉNINGRAD

 

 

 1.       INTRODUCTION.

 

Nous présentons quelques impressions de lecture sur la traversée de l’amour dans l’espace russo-africain. Une lecture critique du roman de Zounga Bongolo, Un africain dans un iceberg. L’auteur décrit les idylles amoureuses des étudiants africains en UR.S.S. Sous un regard pessimiste car les préjugés raciaux sont manifestes. Nous nous sommes demandés en exhumant Résurrection de Tolstoï, qu’elle est la définition du bonheur conjugal entre Russes. Et enfin à travers les films africains Amanie de l’Ivoirien Gnoan M’bala Roger, Muna Moto du camerounais Dikongue Pipa, qu’est ce que l’amour entre Africains.

 

2 - PROLOGUE : LE DEUIL DES CHAUVES-SOURIS

 

Le législateur kongo dans les juridictions coutumières réglemente la question de l’héritage selon des prosopopées précises :

“ Pour hériter du chien, il faut au moins être né de l’espèce des canidés comme le chat.” (1)

 

“Pour hériter de la fouine, il faut être né de l’espèce des mustélidés comme la belette.”

 

En toute logique matrilinéaire, l’héritage d’un individu passe à un membre de son clan. Ainsi un neveu hérite de son oncle, c’est-à-dire du frère de sa mère. Cependant, un enfant n’hérite pas de son père géniteur. Une veuve n’hérite pas de son défunt mari. Le droit civil congolais tiré du droit Napoléonien s’oppose de façon radicale aux droits coutumiers de différentes ethnies congolaises. Cette cohabitation juridique pose un casse-tête aux magistrats congolais confrontés à trancher les questions d’héritage soumises par les justiciables des deux Congo, d’Angola et du Cabinda. Pour justifier la cohérence de sa démarche parémiologique, le législateur kongo, a posé une controverse aux lois évoquées dans les deux premières métaphores : « Fua dia ngembo, biadila lumfikini ? !  »

 

Cette proposition est interrogative et exclamative à la fois. Elle n’est pas déclarative ni affirmative. En français, elle se traduirait de la sorte : « Ce serait scandaleux que l’héritage d’un vrai chiroptère comme la roussette passât à la chauve-souris.»

 

Les deux personnages, la chauve-souris et la roussette appartiennent à la même espèce des chiroptères. Pourquoi le législateur kongo a-t-il introduit une discrimination parmi les chiroptères ? Pourquoi ?  Un vaudeville kongo nous en suggère l’intuition :

 

N’tu ngembo                La tête de la roussette

Bu ba bindamana go,   Allume tant de convoitises

N’tu ngembo,               La tête de la roussette

Lugu lua yoka.             À Cause de sa saveur.

 

D’après l’imagerie populaire kongo, ayant inspiré le législateur, la roussette et la chauve-souris ne sont pas de même condition, ni de même classe :

 

« Ils n’appartiennent pas à la même classe, même s’ils sont de même origine clanique ».

 

La roussette ngembo est une grande chauve-souris, tandis que lumpukunia ou lumfikini est une petite chauve-souris. Le législateur aurait découvert dans ses investigations l’existence des classes, concomitantes aux clans dans la société kongo. La classe serait perçue comme le tragique existentiel au sens kierkegaardien ou la cohorte plaideront les démographes, dont une proposition traduit la présence : «Dans un champ de maïs, nous portons tous la barbe ». Sous une formulation usitée, les Kongo clament :

« Nkunku imosi tuena, nous appartenons à la même génération ».

 

La contre-proposition laissée au pouvoir discrétionnaire des magistrats coutumiers, Banzonzi, pour éviter un vide juridique est la suivante :

 

 «La famille n’est pas un champ de maïs où tout le monde porte la barbe ».

 

Ainsi s’éclaire l’histoire de la pauvreté des chiroptères. Alors que « le malheur du hérisson fut occasionné par le chien », la pauvreté de la chauve-souris n’est ni congénitale, ni intra clanique. Que non ! A l’assemblée des animaux, lisanga ya banyama, le plus fêlé d’entre eux, le lion, dictateur de la savane fut représenté par sa femelle. La lionne prononça des sentences relatives au devenir de l’humanité :

 

«La chauve-souris est un commis sur terre de la roussette. L’héritage échut à la chauve-souris sera réversible sur la tête de mon cousin, le léopard ;

 

Nous confisquerons l’autorité des coqs sous couleur de défense des poussins ; Nous placerons le sexe de la poule sous la patte des pintades ; la vache et le taureau sèmeront la débauche dans vos lieux de prière. Au point où le peuple élèvera au rang de pasteurs les plus vicieux d’entre eux. L’homme dansera à la sueur de ses infidélités. »

 

3.      DES NIÈGRES AU PAYS DE POUCHKINE

 

Un Africain dans un iceberg est le dernier le roman de l’écrivain congolais Zounga Bongolo. Quel rapport m’objecterez-vous entre la question de l’héritage chez les Kongo et ce roman ? L’héritage est une métaphore, bien sûr. Quand une jeune fille atteint l’âge légal de se marier, sa mère, ses parents pensent en termes d’héritage. Quel beau-fils héritera de la main de notre fille ? Quel gendre perpétuera notre sang ? Dans le cas de Natacha, personnage principal du roman, l’héritier sera un Niègre, un cousin des Pygmées, un Congolais issu des forêts vierges parlant la langue de Pouchkine, Jan ! Gospadi, oh ! Mon Dieu ! Natacha est devenue une femme à Niègres. C’est ainsi que les Soviétiques désignent un Noir : un Niègre ! Cet hétéronyme est doublement péjoratif. Péjoratif historique, Nègre, lié à l’esclavage des Noirs ; Niègre préjuge de niais !

 

Vous comprendrez la portée de la métaphore, « Une chauve-souris héritée de la roussette ! ? », clamée dans le langage de Tyotia Zoïa, la voisine des Natacha dans la bourgade de Narva : « Quelle mère blanche approuverait-elle le mariage de sa fille avec un Africain ? » (Zounga B., op. cit., p. 39). Ce fut également le désenchantement chez Valia l’institutrice, la mère de Natacha :

« [...] N’as-tu pas honte d’introduire un Noir dans notre famille en signe de récompense pour toute l’attention, toute la tendresse, tout le travail dont nous avons entouré tes âges ? S’insurge t-elle.» (ZOUNGA B., ibidem,p. 37).

 

Pourquoi des Niègres congolais en Russie ? Pour développer le Congo Brazzaville, un pays ayant acquis son indépendance politique en 1960, les gouvernements successifs congolais avaient opté pour une politique de formation des cadres supérieurs. La majorité des Intellectuels congolais avaient bénéficié, pendant leurs études supérieures à l’étranger, des bourses congolaises. Pendant la guerre froide, le Congo Brazzaville d’obédience marxiste-léniniste, allié à l’Union soviétique, indique tout à fait dans l’ordre des choses que de jeunes Congolais ayant terminé leurs études secondaires à Brazzaville et à Pointe-Noire eussent poursuivi leurs formations universitaires en U.R.S.S. L’écrivain congolais brazzavillois Jean-Claude Zounga Bongolo a fait ses études supérieures en U.R.S.S. A l’institut pédagogique « Herzen » de Léningrad, de 1973 à 1985, il étudia les sciences politiques en langue russe. Il situe les origines des deux personnages de son roman, Jan et Joakim, au Congo Brazzaville. Cependant les psychosociologues travaillant à la Direction de l’Orientation et des Bourses (D.O.B.) discriminaient la population féminine. On peut objecter ce point de vue : le taux de scolarisation des jeunes filles dans l’enseignement secondaire congolais fut insignifiant par rapport à celui des jeunes garçons. Sur cent étudiants expédiés en URSS ou dans les démocraties populaires des pays de l’EST européen, quatre vingt dix pour cent furent des garçons. Il fut exclu pour ces derniers de choisir à l’avenir une conjointe congolaise. Cette situation, en amont, avait échappé à l’U.R.F.C., l’union “révolutionnaire” des femmes du Congo. Les Dames de l’U.R.F.C. s’étonnèrent, en aval, du déferlement des femmes soviétiques au Congo Brazzaville dans les décennies 1970 et 1980. Les Congolais ayant raté d’épouser des femmes soviétiques se précipitèrent à leur retour de choisir sur place au Congo des conjointes congolaises au statut social modeste. Celles-ci enchérissaient en lingala : « Nazui Docteur na nga, jai eu la chance d’épouser un docteur ». Dans ce calcul matrimonial, les hommes redoutaient de perdre leur domination masculine, au sens de Pierre Bourdieu, en épousant des femmes congolaises instruites.

 

Arrivés dans les lieux académiques où ils étudiaient, les jeunes Congolais étaient dépaysés, esseulés et déracinés. Ils devaient, réflexe de survie de l’espèce humaine oblige, se reconstituer une vie communautaire, des relations sociales héritées de la culture africaine. Ce n’étaient pas des militaires conscrits habitués à vivre entre hommes dans une garnison. Il leur fallait la présence des filles congolaises pour mener une vie chaleureuse puis sociale. Les filles africaines étaient rares. Dans les campus universitaires, les étudiants africains accusaient d’un pouvoir d’achat faible pour entretenir une relation sentimentale avec une fille de leur âge. Ils durent rivaliser avec des Diplomates africains affrétés à Moscou, Kiev ou Leningrad, pour conquérir de rares étudiantes congolaises. Les diplomates monnayaient leur idylle au rouble fort et s’alimentaient dans des Beziozka, ces boutiques réservées à la nomenklatura. Les jeunes filles soviétiques comblèrent les cœurs des étudiants africains. L’éducation socialiste soviétique les avait prédisposées à vivre modestement auprès des Africains.

 

Certains étudiants, pour se constituer un patrimoine vital, pour se préparer au mariage, ou pour gagner des cœurs, baignaient dans des micmacs, dans des trafics des produits occidentaux rares dans les pays de l’EST : vêtements en jeans, produits de beauté, produits alimentaires, chewing-gum rapportés lors d’un voyage furtif à Paris, Berlin, Londres, Rome et Berlin Ouest.

 

4.      CONFLIT CULTUREL ENTRE SOVIÉTIQUES ET AFRICAINS

 

Dans les campus universitaires, les étudiantes soviétiques découvraient un nouveau monde différent du monde slave et soviétique. Ces étudiants africains véhiculaient une double culture, celle du monde occidental traitée d’impérialiste par les Soviétiques et celle de l’Afrique. Dans son roman Zounga Bongolo tel un historien géographe sculpte avec dextérité toutes ces réalités. En touristes virtuels, nous parcourons à travers ce roman la majestueuse ville de Leningrad. Le romancier pénètre la complexité des cultures et des populations soviétiques. On découvre l’origine polonaise des Voïnsky, la famille de Valia et des Dmitrievitch, la famille du père de Natacha. L’immigration définitive de la famille de Natacha en Russie est due aux diverses guerres que la Russie livra contre les pays frontaliers ou lointains.

 

On découvre dans ce roman, un puritanisme soviétique d’origine orthodoxe ou d’influence politique. Ce serait réducteur d’analyser le comportement de la mère de Natacha comme imprégné d’un simple racisme primaire. Pour Valia une enseignante intègre, sa fille Natacha était une devenue une évadée (au sens congobrazzavillois du terme), ayant troqué sa condition d’étudiante en libertine à Niègres. D’abord Joakim son premier amour platonique dont Maman Valia soupçonnait le péché de la fornication ; puis Jan, à l’image de Kouassi Kan, le personnage de l’ivoirien Gnoan M’bala dans son film Amanie. Au-delà du Noir, les Soviétiques demeurèrent discrets dans leurs relations sentimentales. Par nature, ils ne sont pas exhibitionnistes comme dans l’Occident libéral. Ils supprimèrent la fonction du Tsar afin que les classes sociales eussent pu se mélanger.

 

Avant la révolution d’Octobre 1917 il fut inconcevable d’unir un Noble à une roturière. Arrivé aux affaires, Lénine publia un nouveau code familial à partir duquel la femme russe revendiqua des libertés fondamentales. Dans son roman Résurrection, Léon Tolstoï peint la difficulté éprouvée par le Noble Nekhlioudov de conquérir avec précipitation et maladresse, le cœur de Katioucha Maslova, une relation amoureuse furtive.. Dans La Dame de Pique, l’écrivain russe Pouchkine déplace son personnage principal, la Comtesse Lisa, la « Vénus moscovite », dans Paris, la ville lumière, où elle se livre aux jeux du hasard, aux dépenses ostentatoires avec la noblesse française. Pourquoi la scène ne fut pas placée ou maintenue à Moscou ? Par pudeur. Pour ne pas brutaliser ou perturber Natacha, Joakim la quitte. Pourquoi ? Par honneur. La jeune étudiante aime Joakim, mais elle souhaite préserver sa virginité et l’offrir à son amoureux au premier jour de leurs noces de mariage. C’est pour Joakim, imprégné de culture congolaise et africaine, une régression culturelle. Le conflit culturel entre Africains et Soviétiques s’est encore accentué autour de Jan. Ce personnage témoigne d’un dispositif de sexualité, au sens de Michel Foucault, intrinsèque à la jeunesse africaine urbaine. La facilité des rapports sexuels entre garçons et filles africains, l’hétaïrisme immédiat finissent presque par abolir les sentiments amoureux. La mère de Natacha fut victime de ce choc culturel à travers lequel transparaissent deux histoires de la sexualité inconciliables, celle des Africains et celle des Slaves, et plus singulièrement les Russes. Cependant quand on observe Kouassi Kan et Ngando, principaux personnages respectifs des films Amanie et Muna Moto, le libertinage des baloufeurs africains en U.R.R.S.S. fonctionne sous le mode de la délinquance. La réalité culturelle africaine est celle incarnée par Ngando et par Kouassi Kan. Ce dernier échouera à conquérir une femme aguerrie à la jungle urbaine abidjanaise. La même scène nous replonge dans l’échec de Ngando qui ne pût s’acquitter de la dot de sa future épouse que son cupide beau-père avait fixée à un niveau trop onéreux. “Les questions d’argent, les questions matérielles ont entravé nos deux personnages Ngando et Kouassi Kan dans deux films différents la conquête des femmes courtisées. Ce dispositif de mercantilisation des rapports humains est une valeur essentielle de la société de consommation. L’autorité parentale déployée dans Muna Moto témoigne d’un dispositif d’alliance dans une société de tradition africaine. Dans Histoire de la sexualité de Michel Foucault, l’autorité parentale témoigne d’un dispositif d’alliance : Système de mariage, de fixation et de développement des parentés, de transmission des noms et des biens”. Amanie excelle dans le dispositif de sexualité manifeste dans une société ivoirienne contemporaine ayant intégré des modèles de consommation occidentaux. Stanislas Adotevi, dans Négritude et négrologues, (Paris, U.G.E., p. 46), rapporte les impressions d’un voyage en Afrique effectué par l’écrivain africain américain Richard Wright, notamment sur la sexualité des Africains : “ Il y avait trop de facilité dans les rapports, disait-il. ” (Ibidem, p. 47). Cet hétaïrisme au sens engelsien “ finissait presque par abolir la sexualité avec toutes les implications d’ordre émotif dont l’entoure l’esprit occidental ” (ibidem, p. 47). L’introduction d’une mesure d’entropie ou de désordre dans le dispositif d’alliance induit le dispositif de sexualité. La sexualité contre la culture, question freudienne s’illustre dans la modernité africaine. La distribution de la sexualité dans la communauté s’oppose à l’apprentissage des savoirs. Cette opposition brise la nuptialité, l’élan de formation des familles dignes intègres et responsables dans la communauté. Il y a eu pénétration dans la masse communautaire d’une contre culture de la sexualité : - sex machine ; expression du chanteur africain-américain, James Brown signifiant “Activité sexuelle perverse (c’est-à-dire détournée de la finalité génitale” (Michel Bataille, La part maudite, Paris, Les éditions de Minuit, 1967, p. 28)- unités familiales improductives destinées à la consommation ; investissant leurs avoirs dans la dépense improductive, ostentatoire ;- majorité juvénile précoce ;- grossesse prénuptiles ; avortements récurrents ; confiscation aux géniteurs du désir d’autorité parentale ;- dissimulation de la généalogie des enfants ;-Dissimulation de la généalogie des enfants ; sida, maladies sexuellement transmises. ” (M’Boka Kiese, “L’accumulation récursive du capital”, op. cit., p. 107).

 

Or la société socialiste soviétique fut bâtie sur la base d’une négation de la société de consommation occidentale, conséquence du modèle économique capitaliste. Les étudiants africains retrouvèrent chez leurs homologues étudiantes soviétiques en quelque sorte l’esprit communautaire d’un mode de vie précapitaliste ; presque dans un territoire propice à l’expression de leur liberté. Les étudiantes soviétiques considéraient les Africains comme des Êtres humains à part entière et non comme des Sauvages avides de sexe. Ce n’était pas le regard des gens du peuple. Eux fustigeaient le libertinage des Africains. Car Natacha sera expulsée de son institut de formation universitaire pour conduite immorale, c’est-à-dire non pas pour avoir entretenu une liaison sentimentale avec un Niègre, mais pour vie dévoyée sans lendemains meilleurs.

 

Il faut peut-être soumettre ce choc culturel à une analyse freudienne s’il l’on veut comprendre les niveaux de développement respectifs des pays de Jan et de Natacha. Selon Sigmund FREUD, il n’y a pas chez l’homme, « l’instinct du travail » ; une grande partie de l’énergie psychique, provenant des désirs de l’inconscient doit être retirée et dérivée vers le travail et vers des activités créatives socialement utiles. Dans le cas des pays sous-développés, d’où furent originaires Jan et Joakim deux personnages du roman de Zounga Bongolo, le programme freudien est un impératif catégorique. Les forces productives n’étant pas encore développées pour satisfaire quantitativement et qualitativement les besoins sociaux, il faut détourner l’énergie de l’activité sexuelle vers le travail. Dans Totem et Tabou, Freud montre la source du progrès de la civilisation dans la répression sexuelle. Cette thèse freudienne fut battue en brèche par Wilheim REICH. Celui-ci redoute des contraintes sexuelles surannées instituées par le biais des religions. Dans L’irruption de la morale sexuelle, Reich soutient l’idée selon laquelle la répression sexuelle est le résultat d’une division de la société en clans, au sens exprimé dans notre prologue, puis en classes. Elle sert les intérêts des clans dominants matriarcaux puis des classes dominantes patriarcales. Nos métaphores présentées dans le premier chapitre du prologue recouvrent enfin leur sens : « La tête de la roussette allume tant de convoitises à cause de sa saveur. Ce serait ignominieux d’en céder l’usufruit à une chauve-souris. La Chauve-souris est un commis sur terre de la roussette ». La mère de Natacha déclare : « Est-ce tout ce que tu as pu trouver comme homme à Leningrad ? Quels sentiments te poussent à cette ignominie ? » (Zounga B., op. cit. p. 37).

 

5. UN ROMAN COINCÉ DANS LA GIGANTOMACCHIA ENTRE REICH CONTRE

FREUD.

 

L’auteur aurait dû intituler son roman, « Le bal des boulafeurs à Léningrad ». Une boulaf est l’hétéronyme des étudiantes soviétiques, par-dieu le nom par lequel les étudiants africains appelaient les étudiantes soviétiques en U.R.S.S. Boulafer, ce fut pour un étudiant africain, le boulafeur, s’exercer à courtiser une étudiante soviétique. Une boulaf, bien que n’étant pas une bouchka, une femme offrant ses services sexuels en échange d’avantages économiques, viole tout de même le serment du Komsomol, l’Union de la Jeunesse Socialiste Soviétique : « Il faut préserver le sang soviétique » (ZOUNGA B., op. cit. p. 102). La conduite des boulafeurs fut jugée immorale à Leningrad. Natacha se sépara de son amoureux Jan. À la stupéfaction de Natacha, Joakim épousera une amie commune. Qu’est devenu Joakim retournant avec une Soviétique en Afrique, au Congo ? Un Africain dans un Iceberg est roman inachevé car Zounga Bongolo soulève maintes questions comme celle de la sexualité dont le dénouement risque d’offusquer quelques Féministes. Faut-il choisir entre Reich et Freud ? Le puritanisme africain n’est ni religieux, ni politique. Il est culturel. Il s’accommode d’une liberté sexuelle.

 

J’avancerais, par liberté, un certain devoir de coresponsabilité entre l’homme et la femme et non un rapport de forces. En déculpabilisant la femme, dont Nietzsche à la suite de Schopenhauer puis de l’exégèse biblique accable de délinquance générique, l’anthropologie africaine déplace le pessimisme de l’homme vers le développement des forces productives.

Pessimisme partagé par Jean Jacques Rousseau dans son Discours sur les sciences et les arts : « Les sciences et les arts ne sont pas en eux-mêmes mauvais mais, de fait, au sein de la société telle qu’elle est, ils véhiculent l’égoïsme, la vanité, le goût du pouvoir et de la domination de l’homme sur l’homme » (sic). L’U.R.S.S. (CCCP en russe) fut l’acronyme de l’union des républiques socialiste soviétiques, un état fédéral situé en Europe orientale et en Sibérie. Il fut proclamé le 30 décembre 1922 à la suite de la Révolution d’octobre 1917. La fédération de l’U.R.S.S. éclata en 1991. Les quinze républiques socialistes dont elle fut composée recouvrèrent leur indépendance. L’écrivain ne nous dépeint pas le sort de Natacha en Russie actuelle? Le progrès technologique n’a pas provoqué chez l’homme soviétique, chez l’homme tout court, la félicité.

Quelles sont les conditions de vie des femmes soviétiques en Afrique, mères d’enfants métis ? N’est-ce pas une quête de liberté que la jeune étudiante soviétique Natacha poursuivait auprès de l’étudiant congolais ? « Enfin, grâce à Joakim, j’avais appris à aimer la musique noire américaine, [...]. J’aimais la cuisine de Joakim ; cela l’enchantait de me nourrir de délices. » (Zounga B., op. cit., p. 32).

 

M’BOKA KIESE

 

 

6. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

 

Sigmund Freud, Totem et Tabou, Paris, Payot, 1965.

 

Tchaïkovski, La Dame de Pique, Paris, Avant-scène opéra, n° 119-120, p.6. Wilheim Reich, L’irruption de la morale sexuelle, Paris, Payot, 1972.

 

Jean Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, Paris, Garnier Flammarion, 1971.

 

Léon Tolstoï, Résurrection, Paris, Gallimard, 1951.

 

Zounga bongolo J. C., Un africain dans un iceberg, éditions Paari, Paris, 2006.

 

M’Boka Kiese, “L’accumulation récursive du capital”, Revue Paari, vol. 4, 2003-2004, p. 107.

 

 

(1). Les phrases couvertes par des guillemets sont des propositions (proverbes) kongo exprimées en français. Voici l’expression kongo de ces proverbes.

 

Dans un champ de maïs, nous portons tous la barbe, Kimfumu ku nsitu masangu, beto kulu, ye nzefo, ye nzefo.

 

Ils n’appartiennent pas à la même classe, même s’ils sont de même origine clanique, Ka bena nkunku imosi ko, ni ba tuka kuma kumosi.

 

La famille n’est pas un champ de maïs où tout le monde porte la barbe, Kanda ka kimfumu ku nsitu masangu ko, na bakulu, nzefo yi nzefo.

 

Le malheur du hérisson fut occasionné par le chien, Bunsana bua nsibizi, mbua wa sa bo.

 

Pour hériter du chien, il faut au moins être de l’espèce des canidés comme le chat, Fua dia mbua biadila mbuma.

 

Pour hériter de la fouine, il faut être né de l’espèce des mustélidés comme la belette, Fua dia mfuenge biadila m’baku.

 

La chauve-souris est un commis sur terre de la roussette, Lumpfikini, Ngembo kua ka yizi tudisa ga ntoto-nsi.

 

L’héritage échu à la chauve-souris sera réversible sur la tête de mon cousin, le léopard, Fua dia Lumpfikini ya ngo biadila dio.

 

Nous confisquerons l’autorité des coqs sous couleur de défense des poussins, Luyalu kua lenda kudisa bana ba nsusu ; Nsusu batele nsusu ia mbakala, ni yi ba na menga, ka yilenda ya vutu kuba ga gata ko.

 

Nous placerons le sexe de la poule sous la patte des pintades, Nsusu ia nkento mu sompana, fuete lomba luve kue ma Nkelele.

 

La vache et le taureau sèmeront la débauche dans vos lieux de prière. Au point où le peuple élèvera au rang de pasteurs les plus vicieux d’entre eux. L’homme dansera à la sueur de ses infidélités, Ma Ngombe kua na Ta Mpakasa, mu diambu bagu buyala bua saka, balenda biala mu kinganganzambi. Muntu mbo ka kina na bunsuza buandi.

 

Pour la graphie du kikongo, notre source est la suivante :

«Propositions pour l’orthographe des langues congolaises », Professeurs Josué Ndamba et B. Nkunku, Département de linguistique et de littérature orale, Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Marien Ngouabi, Brazzaville, CONGO, 24 novembre 1979, 12 pages.

 

Notes de lecture - sangonet