Professeur Girard : « La prévention du Covid-19 n'est pas insurmontable »

 

ENTRETIEN. Spécialiste des maladies infectieuses et directeur international de l'Institut Pasteur, Pierre-Marie Girard nous instruit sur le Covid-19 et l'Afrique.

 

 

Propos recueillis par Agnès Faivre - Publié le 21/03/2020 à 17:54 | Le Point.fr

Des passants sont sensibilisés au coronavirus par le biais d'affiches. Ici, elles sont placardées dans la cour d'une église fermée  à Abidjan le 20 mars 
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Des passants sont sensibilisés au coronavirus par le biais d'affiches. Ici, elles sont placardées dans la cour d'une église fermée  à Abidjan le 20 mars 2020. © SIA KAMBOU / AFP

 

 

Plus de 600 cas de contamination, 34 pays touchés sur 54, le coronavirus a gagné du terrain en quelques jours en Afrique. Si les réponses apportées par les États ou les gouvernements varient d'un pays à l'autre, elles restent dans l'ensemble insuffisantes, selon l'Organisation mondiale de la santé. Elle a appelé ce mercredi le continent « à se réveiller » et « à se préparer au pire ». À quel type de menace faut-il se préparer et quelles sont les précautions à prendre ? Le professeur Pierre-Marie Girard a répondu aux questions du Point Afrique entre deux consultations. Ancien chef de service des maladies infectieuses et de médecine tropicale à l'hôpital Saint-Antoine de Paris, il est aujourd'hui directeur international de l'Institut Pasteur. Il gère aussi le réseau des trente-deux Instituts Pasteur disséminés à l'étranger, dont dix sont en Afrique.

 

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Le Point Afrique : Si on regarde la carte de la pandémie du Covid-19 dans le monde, qu'est-ce qui caractérise le continent africain ?

Pierre-Marie Girard : Le continent africain a d'abord été épargné un certain temps par le coronavirus observé en Chine fin 2019. L'apparition des premiers cas est survenue vers la mi-février en Égypte puis en Algérie, et ces cas importés, sont restés stables. Il n'y a pas eu de transmissions de la maladie. Même à l'occasion du Nouvel An chinois, le 12 février, qui représentait un risque en raison des mouvements de population – un million de Chinois ont un lien avec l'Afrique et font des allers-retours – on n'a pas relevé d'importations de cas. Le véritable déclenchement de l'épidémie a lieu en ce moment sur le continent. Et cela ne s'explique pas par le nombre de personnes contaminées en valeur absolue, mais par la multiplication des cas. On s'aperçoit que dans certains pays, à commencer par l'Égypte, l'Algérie, et le Sénégal, où on est, par exemple, à trente-cinq cas contre dix cas, il y a seulement quatre jours, le taux d'accroissement est très élevé et inquiétant. Il nous renvoie à celui qu'on a pu observer dans la ville de Wuhan, en Chine, ou dans certaines zones d'Italie.

 

Qu'est-ce qui distingue ce coronavirus du virus Ebola, qui a touché la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone en 2014-2015, puis, plus récemment, la RD Congo ? Est-il plus agressif ?

La notion de virulence est complexe. Pour simplifier, c'est le mode de transmission du Covid-19 qui la rend particulièrement contagieuse. Il s'agit d'une transmission par voie aérienne. Qu'est-ce que cela signifie ? Lorsqu'une personne est contaminée, elle rejette dans l'air de fines particules d'eau, par exemple en toussant ou simplement en postillonnant. Ces particules humides abritent le virus, qui peut ensuite se transmettre par voie respiratoire (bouche, gorge, trachée, poumons) à une personne située à proximité. C'est ce qu'on appelle la voie aérienne, alors qu'Ebola se transmet par un contact entre les fluides corporels d'une personne infectée et une muqueuse. Autre différence, la létalité. Le virus Ebola s'est avéré beaucoup plus mortel (entre 30 et 60 % de personnes contaminées, selon les épisodes et les zones, sont décédées) que le coronavirus ne l'est jusque-là (entre 0,7 et 4 %).

 

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Comment faire la différence entre le Covid-19 et le paludisme ?

Les symptômes du Covid-19, caractéristiques mais non spécifiques, sont des syndromes grippaux : fatigue, fièvre, toux. Or, la toux ne fait pas partie des symptômes du paludisme. On peut ainsi repérer des diagnostics évocateurs : quelqu'un qui tousse et qui a 40 °C de fièvre, a priori, n'a pas le paludisme. Il peut s'agir de la grippe, de la dengue, du coronavirus… et la notion de contact dans une zone d'épidémie de coronavirus devient décisive pour orienter le diagnostic. Si la personne présente des syndromes grippaux et a été exposée dans une zone épidémique – actuellement, il s'agit de l'Europe, avec une période d'incubation de cinq à sept jours –, on a très peu de chances de se tromper à l'issue d'un examen clinique. Le soignant n'a même pas besoin de faire de test de dépistage du coronavirus.

 

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Le Dr Socé Fall, directeur général adjoint de l'OMS chargé de la réponse aux urgences, a tiré la sonnette d'alarme ce mercredi, en appelant les pays africains à se préparer. L'Afrique n'est-elle pas suffisamment préparée ?

C'est surtout un message à l'attention des dirigeants, afin qu'ils mettent en œuvre les moyens nécessaires pour faire face à cette épidémie. Vu que le coronavirus n'a pas gagné immédiatement l'Afrique, la préparation a toutefois pu être enclenchée à certains niveaux, avec l'appui de l'aide internationale. Une formation régionale des virologistes (biologistes, techniciens de laboratoires) à la gestion des cas suspects de coronavirus s'est tenue mi-février à Dakar. L'accent a aussi été mis sur le renforcement des capacités des laboratoires de référence rattachés aux ministères de la Santé et chargés de la veille épidémique, et sur l'accès aux tests de dépistage du Covid-19. Un test développé par l'Institut Pasteur de Hongkong a d'ailleurs été mis à disposition très rapidement dans les pays africains demandeurs pour permettre aux personnels médicaux de se familiariser avec cette technique de détection (prélèvement naso-pharyngé qui consiste à récupérer des liquides muqueux à l'arrière du nez).

Mais les défis restent nombreux. Il s'agit de poursuivre la formation des médecins et des soignants en vue d'améliorer le diagnostic – moins facile à réaliser qu'en France –, d'avoir une politique de repérage des patients suspects notamment à leur arrivée dans le pays, de vérifier à ne pas centraliser les tests de dépistage dans une seule zone géographique pour répondre au besoin de diagnostic rapide à l'échelle du pays. Il faut aussi informer les populations.

 

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Quels sont les messages à faire passer en priorité à la population ?

Encore une fois, cette maladie est très contagieuse. Une personne contaminée transmettra en moyenne le virus à deux autres personnes. Il convient donc de repérer rapidement les individus suspectés d'avoir été contaminés, et d'organiser leur isolement pour protéger l'entourage. Chacun doit aussi prendre un minimum de précautions : se laver les mains toutes les deux à trois heures avec du savon et de l'eau non souillée – c'est l'arme numéro un pour se protéger –, éviter les contacts cutanés, la promiscuité. C'est certes plus compliqué à mettre en œuvre dans des villes à forte densité de population, mais c'est nécessaire. Enfin, il faut être particulièrement vigilant envers certaines catégories d'individus : les personnes plus âgées, touchées en majorité par les formes graves du Covid-19, mais aussi les patients atteints d'obésité, de diabète, ou de maladie faisant l'objet de traitements.

 

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Peut-il y avoir des freins d'ordre culturel à cet isolement nécessaire pour limiter la propagation du virus ?

Je parlerais plutôt de barrières sociales. Les logements où plusieurs personnes vivent dans la même pièce, par exemple, favorisent le contact et donc la transmission du virus. Dans un autre registre, lié à la représentation d'une maladie potentiellement mortelle (il n'est pas souhaitable d'être le véhicule d'une maladie qui peut tuer), certaines personnes diagnostiquées positives au Covid-19 peuvent être amenées à se cacher, ce qui va empêcher la détection des personnes qu'elles ont pu contaminer. Mais il faut affronter la réalité, accepter le principe du test et de l'isolement.

 

La prise en charge médicale des patients les plus gravement atteints par le Covid-19 pose de sérieux défis dans certains hôpitaux européens (manque de places, de matériel, de personnel). Comment les structures médicales des pays africains, moins bien dotées, peuvent-elles faire face à l'aggravation des cas ?

Il faut rappeler qu'environ 85 % des individus contaminés par le coronavirus s'en tirent avec une « petite » grippe de 5 jours. Mais si l'infection s'aggrave, les enjeux médicaux sont d'une autre envergure. Quand le patient commence à avoir des difficultés à respirer, en raison d'une inflammation des poumons, il doit alors être mis sous assistance respiratoire. Or, le parc d'équipement en respiration artificielle est assez limité dans l'ensemble des pays africains. Si l'épidémie prend de l'ampleur, on risque donc d'être confronté à des problèmes d'accès à ce type de prise en charge, ainsi qu'à une pénurie de personnels soignants. D'où l'importance des mesures de prévention. Une fois encore, ce n'est pas simple, mais ce n'est pas insurmontable non plus. Et il ne faut surtout pas se dire que, parce qu'elles ne seront pas appliquées dans des conditions optimales, ces précautions seront inutiles.

 

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