A Bangui, l'école du droit sème la corruption.

 

     Tripatouillages des notes d'examen contre petites enveloppes ou gâteries sexuelles, tel serait le scandale qui court à l'Université nationale de Bangui (UNB).

L'établissement, créé en avril 1969 par le général Jean Bédel Bokassa, alors président de la République centrafricaine, comprend cinq facultés, 9 laboratoires et 6 centres.

     Au total, l'université compte aujourd'hui un effectif total de 20 000 étudiantes et étudiants, dont 10 000 pour la seule faculté des sciences juridiques et politiques - ceci explique sans doute le fait que la RCA ne compte aucun anesthésiste en ce temps de Covid-19 - !

Il semble que le scandale en question soit niché au cœur de cette faculté, où la concurrence doit être rude, vu le nombre des étudiants inscrits dans la filière.

On comprend dès lors pourquoi la justice est gangrenée par la corruption jusqu'au sommet de l’État, où pullulent les anciennes autorités de l’Université nationale de Bangui, et où persiste la pratique des dessous de table et des commissions.

 

1 - Au jeu des petites enveloppes, l’assemblée nationale n’est pas la dernière.

 C’est ainsi que les membres du bureau de cette institution tentent de tripatouiller la constitution du 30 mars 2016 par la voie parlementaire, afin de proroger le mandat présidentiel et celui des députés. Il s’agit de trouver une parade au glissement éventuel du calendrier électoral, si la crise du coronavirus venait à se prolonger. Il s’est trouvé 101 « honorables » parlementaires pour accepter une enveloppe de 2 500 000 francs CFA chacun, en contrepartie de leur vote favorable (1). Ils ont validé le projet de modification constitutionnelle, laquelle a été transmise au gouvernement pour examen en Conseil des ministres ce jeudi 23 avril 2020 (2).

     Pendant que les parlementaires palpent leur pognon, les « juristes » sortis de l’UNB se crêpent le chignon, sur la querelle de la vacation du pouvoir en cas de glissement du calendrier électoral ! A coup d’argumentaires spécieux. L’un, M. Alexis Ndui Yabela, veut modifier les dispositions de l’article 35 de la constitution, qui excluent tout amendement de la durée et du nombre des mandats présidentiels, afin d’y introduire la notion de « force majeure » ; l’autre, M. Dominique Désiré Erenon, certifie que le cas de force majeure est implicitement contenu dans l’article 35 tel qu’il est rédigé. Il se trouve que celui-ci est diplômé de droit constitutionnel et a été ministre directeur de cabinet du premier ministre avant d’être démissionné. Il se trouve que celui-là est spécialiste du droit public de l’environnement et, accessoirement, ancien directeur de l’école nationale de l’administration et de la magistrature !

On comprend pourquoi l’Etat fonctionne si mal et la justice est si malade en Centrafrique (3).

 

2 – La présidente de la Cour constitutionnelle sous protection policière.

A Bangui, l’école du droit donne donc le mauvais exemple. Le procureur de la République ouvrira-t-il une information préliminaire afin de déterminer l’ampleur de la corruption et des fraudes à la faculté des sciences juridiques et politiques, ainsi que leur implication à caractère sexuel ? Cela n’est pas certain.

A voir ce qui se passe à l’université nationale de Bangui, qui a connu plusieurs recteurs dont l’actuel président de la République, on doute que ce dernier ait l’autorité et la conscience pour mettre un terme aux mœurs politiques qui gangrènent son régime (4).

La preuve ? La présidente de la Cour constitutionnelle qui devrait avoir la tâche aisée pour régler ce dilemme – aisée puisqu’il ne saurait y avoir vacance du pouvoir dans les conditions prévues à l’article 153 de ladite loi fondamentale – est désormais placée sous la protection policière des forces internationales de maintien de la paix en Centrafrique (Minusca) pour sa sécurité personnelle. On prie pour elle.

 

3 – Le discours insolite, lugubre et sinistre du général François Bozizé.

C’est dans ces conditions qu’intervient la prise de parole de l’ancien président François Bozizé. Elle était attendue. Mais à l’arrivée, ce fut un discours terne, lugubre et sinistre. Le général est apparu sous les traits d’un homme malade accroché à un déambulateur. L’ombre de la mort plane sur le KNK, son parti. En effet, sur la forme, outre les bruits de la basse-cour de sa concession privée, l’ancien président de la République apparaît fatigué, sans ressort et sans énergie. Rien qui puisse insuffler dynamisme et enchantement. Sur le fond, il a plaidé sa cause et la sauvegarde de ses intérêts personnels. Il ne pense, ni à l’avenir de son parti ni au devenir de la RCA, mais à son statut d’ancien président de la République et à sa candidature programmée aux prochaines élections présidentielles (5). Lui, l’un des principaux acteurs politiques du pays depuis 40 ans, dont le parcours ne fut qu’une succession d’actes de trahison, au moins vis-à-vis du général André Kolingba et d’Ange Félix Patassé, semble oublier avoir été président de la République centrafricaine pendant dix ans !

Ce discours, qui semble tomber à pic, s’accompagne de l’autodissolution du Front uni pour la défense de la nation – le mouvement « E Zingo Biani » - et le retrait temporaire des groupes armés de l’accord de Khartoum, le PPR-RCA. Une raison à ce charivari : la résolution n° 2127 du Conseil de sécurité de l’ONU qui prolonge et renforce les sanctions contre les responsables de cette descente aux enfers du pays : François Bozizé, Nouraidine Adam, Abdoulaye Miskine, Abdoulaye Hissène et consorts.

 

Paris, le 27 avril 2020

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

1 – Il semble que les parlementaires centrafricains se comportent plus en hommes d’affaires avisés qu’en députés éclairés par l’intérêt général.

2 – Lors du conseil des ministres, le gouvernement ait préféré reporter l’examen de ce projet, et non son retrait, pour ne pas froisser la susceptibilité du représentant personnel du Secrétaire général de l’ONU, M. Mankeur Ndiaye, qui a confirmé que la mission de la Minusca était bien d’organiser des élections générales transparentes et pacifiques dans les délais constitutionnels, après que les membres du bureau de l’assemblée nationale, promoteurs du projet de révision, aient été reçus par le G5 (Minusca, UE, UA, France, Russie, Etats-Unis).

3 – En l’occurrence, à défaut d’avoir des ailes, les élites centrafricaines fonctionnent comme des sauterelles à élytres : ça vole bas, ça fait beaucoup de bruit et cause d’énormes dégâts.

4 – On comprend pourquoi, dans une lettre datée du 20 avril dernier, le vice-président du FPRC, Nouraidine Adam, réclame 32 postes dans l’appareil d’Etat au profit de son mouvement. Parmi ces fonctions, celles de vice-recteur de l’UNB et de doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques, sans doute pour les pots de vin, ainsi que les postes d’ambassadeur au Koweït, Qatar et Arabie saoudite, pour la représentation ! Accepter, c’est reconnaître l’islamisation du pays et sa partition de fait. A l’évidence, entre l’Etat et les groupes armés, il s’agit d’une collaboration : Touadéra et les siens sont à la RCA, ce que le Maréchal Pétain et Pierre Laval étaient à la France sous l’occupation allemande : des « Collabos » !

5 – François Bozizé n’est pas le seul à se préoccuper des prochaines élections présidentielles. La situation dramatique du pays n’empêche pas le président Touadéra de commencer à réunir les conditions matérielles de sa campagne électorale (cahiers d’écolier à son effigie, bus de campagne personnalisé, etc.), aux frais de l’Etat sur fonds spéciaux interposés. Ce en quoi, celui qui se prétend « le choix du peuple », apparaît dorénavant sous les traits d’un usurpateur et d’un imposteur, incapable de sortir le pays de l’ornière.