Et si nous nous étions tous trompés ?

 

La République centrafricaine fête aujourd'hui son 61ème anniversaire. Le 1er décembre 1958, les territoires de l'Oubangui-Chari devenaient une République au sein de la communauté française. Cependant, en faisant de ce jour la fête nationale du pays, les successeurs de Barthélemy Boganda se sont trompés sur sa vision ; à cette date, le pays n'est pas encore indépendant et l'essentiel des pouvoirs demeure aux mains du gouvernement français. Il n'empêche ! C'est un triste anniversaire car le pays est divisé, meurtri, agonisant.

 

1 – Une corruption devenue endémique et impunie.

Dans le même temps où le président Touadéra prononce son discours à la Nation, les livraisons de la presse en provenance de Bangui font état d'un vaste détournement de fonds publics au ministère de la défense nationale. Le montant de cette escroquerie avoisine le milliard et demi de francs CFA. Les militaires qui défilent ce matin doivent demander des comptes. Le ministre de la défense, Mme Marie-Noëlle Koyara, au gouvernement depuis une quinzaine d'années, n'est pas Bécassine. Celle qui fut ministre du développement rural, de la défense nationale, puis de l'agriculture, avant de revenir une nouvelle fois à la défense nationale, prive nos soldats des moyens de défendre la souveraineté et l'intégrité de la nation en jouant à Harpagon. Elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité et doit démissionner. Mais l'affaire est plus grave, tant la corruption est devenue endémique en RCA. C'est l'ensemble du gouvernement Ngrébada qui est frappé de kleptomanie. Le chef de l’État lui-même donne l'exemple de la prévarication lorsqu'il prend le temps de présider un jury de thèse de doctorat en mathématiques, pour de dérisoires indemnités. Le poisson pourrit par la tête !

 

2 – Nous nous sommes trompés !

L'affaire remonte loin dans le temps, au moment où l'université de Bangui, créée en avril 1969 par le général Jean-Bedel Bokassa, est le repaire des mouvements activistes qui vont provoquer la chute de l'ex-empereur en septembre 1979,  et alimenter les crises politiques qui perdurent encore aujourd'hui. Il s'agit pour l'essentiel des enseignants, opportunistes petits-bourgeois, qui ont fait de « l'entrisme » leur doctrine. Partisans de la théorie de « l'appui tactique et de la démarcation stratégique », leur objectif consiste à intégrer les interstices du pouvoir afin de l'étouffer. Nommé recteur de l'université de Bangui en mars 2003, en remplacement du professeur Abel Goumba, Faustin Touadéra s'entoure de ses amis et fidèles compagnons du quartier Boy Rabbé, parmi lesquels les partisans nostalgiques du sultanat de Rabah et Senoussi. Une communauté de destin se noue avec les musulmans du KM5. Le nouveau recteur baptise le grand amphithéâtre de cette institution du nom du général François Bozizé, un homme qui n'a aucune appétence pour les études supérieures, arrivé au pouvoir à la faveur d'une insurrection militaire. Ce dernier le nomme  premier ministre en 2008. Le nouveau locataire de la Primature se souvient et fait appel à ses anciennes amitiés, désormais regroupées au sein d'une rébellion armée, l'alliance Séléka. Elles mettront la République en coupes réglées, jusqu'à provoquer la chute de François Bozizé en 2013. A l'issue d'une transition politique de deux ans, le chef de l’État de la transition, Mme Catherine Samba-Panza, vend le nom de Faustin Touadéra à la communauté internationale, et avouera plus tard avoir donné des ordres pour modifier les résultats du scrutin présidentiel en faveur de son poulain !

C'est donc un ancien de l'alliance Séléka qui entre au Palais de la Renaissance en mars 2016, une maison qu'il connaît et où il a ses habitudes. Nous nous sommes tous trompés sur l'impétrant.

 

3 – Le « désarmement concerté » n'est pas une mesure de confiance.

L'hypothèse de travail ci dessus vérifié permet de comprendre le choix stratégique du nouveau chef de l’État pour gérer la crise centrafricaine.

Le président du « désarmement concerté » connaît bien tous les protagonistes du conflit en cours, pour les avoir côtoyés, fréquentés et dirigés comme chef du gouvernement. Cette politique de la main tendue est la suite logique de la politique dite des « mesures de confiance » édictée par le général français Soriano, chef de l'opération « Sangaris », et destinée à mettre fin aux exactions pré-génocidaires entretenues par les groupes armés ; les mesures de confiance visent à cantonner le troupes rebelles, musulmanes notamment, derrière la Ligne rouge Batangafo-Kaga-Bandoro-Bria, destinée à sanctuariser les réserves pétrolières du nord du pays, convoitées par le groupe Total.

Le retrait précipité des militaires français de l'opération Sangaris fait échouer cette stratégie.

Sans ressources, les rebelles du FPRC ont rapidement concédé ces réserves aux entreprises chinoises qui en assurent l'exploration et l'exploitation. Dans le même temps, les différents groupuscules armés se disputent le leadership du tringle diamantifère Ndélé-Bria-Bangassou ; la zone de Nola étant sous contrôle des anti-Balaka.

C'est une partition de fait du pays. Les troupes de la Minusca ne font qu'entretenir l'illusion d'un statu quo instable, en attendant les élections et la fin des accords de Khartoum, en février 2021.

 

Paris, le 1er décembre 2019

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.