Lettre ouverte au président Emmanuel Macron

Ne prêtez pas votre nom à une infamie !

 

Monsieur le Président,

 

Vendredi 8 mai 2020, alors que la France commémorait l'armistice de la grande guerre, un avion-cargo chargé de 8 tonnes de matériel médical, quittait le tarmac de l'aéroport de Lyon, la capitale des Gaules, en direction de Bangui-Mpoko, l'aéroport de la capitale centrafricaine. L'aéronef, affrété par les ONG Médecins du monde et Handicap international, sous le parrainage de l'Union européenne (UE), comprendrait également 75 personnes, dont 70 humanitaires. Ces derniers auraient pour mission de fournir les personnels soignants locaux en masques, gants, et médicaments pour faire face au Covid-19, et expliquer aux populations comment se protéger !

Cette sollicitude étonne à plusieurs titres, y compris par son opacité. Tout se passe comme si, depuis un siècle, la France a lié son nom au sort funeste qui accable l'Afrique noire, par une litanie d'interventions mortifères.

 

1 – Une litanie d'interventions mortifères.

     Au commencement, sous la tutelle du général Charles de Gaulle, la France déclenchait en 1967 la sécession du Biafra, région sud-est du Nigeria, afin d'inscrire les réserves pétrolières du delta du fleuve Niger sous pavillon français, celui de la société Elf-Aquitaine.

Avant hier, c'est sous le président Giscard d'Estaing que la France intervenait dans la sécession du Katanga, la province minière de l'ancien Congo belge, avec l'opération La légion saute sur Kolwezi.

Hier, sous le régime socialiste du président François Mitterrand, ce fut le déclenchement du génocide des Tutsis, un massacre de masse à la machette qui fit près d'un million de victimes, et qui traumatise encore des millions de survivants.

En 2001, Jacques Chirac se commit dans la crise ivoirienne en soutenant le libéral Alassane Ouattara contre le socialiste Laurent Gbagbo, président élu. La crise entre le nord et le sud du pays fera des milliers de morts, dont 10 soldats français. Elle se prolonge en ce moment par le mandat d'arrêt contre Guillaume Soro lancé par le gouvernement du président Ouattara, même si cette procédure a été désavouée par la Cour africaine de justice.

En 2010, c'est au tour de Nicolas Sarkozy, pour des raisons depuis longtemps battues en brèche par le parlement britannique, de provoquer le désastre que l'on sait en Libye, suivi de l'assassinat de  Mouammar Kadhafi. Depuis cette date, c'est la guerre sans fin et ses atrocités dans ce pays africain.

Aujourd'hui, si l'on évacue le déclenchement de l'opération Barkhane dans les cinq États du sahel, à l'initiative de votre prédécesseur François Hollande, il semble que ce soit votre tour d'endosser la tunique de Voldemort (1).

 

2 - Une bien étrange mission en Centrafrique.

     En passant sous silence le retrait précipité, et contre la volonté des autorités de la transition de l'époque, des militaires de l'opération Sangaris qui avait permis de sanctuariser les groupes armés en Centrafrique, la présente mission paraît bien étrange (2).

Sur place, les autorités locales, théoriquement compétentes pour autoriser l'accès de l'aéroport Bangui-Mpoko, n'en ont informé ni les représentants du peuple centrafricain ni le peuple (3).

On s'étonne ensuite, pour une mission sanitaire de cette importance, que le Conseil national de l'ordre des médecins et pharmaciens ne soit pas consulté, lequel syndicat a engagé depuis le début de l'épidémie une politique de prise en charge, de suivi et d'accompagnement conforme aux préconisations de l'organisation mondiale de la santé (OMS). On observe par ailleurs qu'aucun expert autochtone, bon connaisseur de ces infections en milieu tropical, à l'exemple du docteur Luisa Dologuélé-Potolot (4), ne soit associé à cette entreprise.

Enfin, pourquoi dépêcher cette mission humanitaire dans un pays enclavé, à l'écart des routes internationales de tourisme de masse, où il n'est enregistré que 197 cas de contamination au Covid-19 dont zéro décès à ce jour, au lieu de viser des pays comme le Cameroun (2 267 cas dont 108 décès) ou le Gabon (504 cas dont 8 décès) ?

Veut-on capitaliser au profit de ces organisations non gouvernementales et de l'union européenne un probable contingentement réussi de la pandémie ou bien favoriser la propagation d'une pandémie qui a fait mentir les pronostics les plus alarmistes concernant l'Afrique ?

Ces questionnements sont d'autant plus importants que la mission aura des suites au Burkina-Faso, au Niger et au Cameroun (5).

 

3 – Ne prêtez pas votre nom à une infamie.

La prochaine étape de cette mission aura donc pour théâtre le Burkina-Faso. Cet État enclavé de l'Afrique de l'ouest présente la même configuration et des caractéristiques géostratégiques similaires à la RCA. Ce choix est tout aussi curieux car il s'intéresse à l'un des pays africains où les travaux de recherches sur l'Apivirine d’une part, et le protocole de soin associant l’hydroxy chloroquine à un antibiotique d’autre part, sont les plus avancés. Des entreprises pharmaceutiques fabricant de la chloroquine y ont déjà vu le jour, comme au Bénin. Il est envisagé de lancer des essais cliniques pour la fabrication des tests.

Dès lors pourquoi un tel choix et une telle précipitation, alors que la France et l'Europe n'ont pas résolu tous les problèmes liés à cette pandémie, en particulier le fait que l'intubation des malades ne serait pas nécessaire et donc nul besoin de respirateurs ?

Il vous appartient, Monsieur le Président, de tirer ce mystère au clair puisque le sol français est l'aire de départ de ces vols sanitaires.

Il y a quelques semaines, des médecins et scientifiques français ont proposé de prendre les Africains, en particulier les prostituées de Lagos au Nigeria, comme cobayes afin d'expérimenter les prochains vaccins à naître. Ils ont ainsi renié leur serment d’Hippocrate (6), en se mettant sous la coupe des multinationales pharmaceutiques, à l'exemple d'un de vos prédécesseurs qui s'est fait le champion épistémicide de l'Afrique noire, et principalement en dénigrant le Nigeria !

 

Monsieur le Président, il vous faut rompre avec ces stigmates du passé, au risque demain de voir votre nom associé à une infamie.

 

Paris, le 13 mai 2020

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Lord Voldemort ou « le Seigneur des Ténèbres » est un personnage de la saga Harry Potter. C'est un sorcier doté de pouvoirs considérables qui cherche à s'imposer sur le monde des sorciers afin de remodeler celui-ci selon ses idéaux (Wikipédia).

(2)   - Invoquer le principe de l’aide humanitaire d’urgence à « une population en détresse absolue » fait plutôt penser en la circonstance au concept de « diplomatie carnivore », tel que défini par Piotr Smolar (Le Monde du 13 mai 2020). Il s’agit de faire concurrence aux autres puissances présentes sur place (Russie, Chine, USA) et de mener parallèlement une action de propagande à usage interne et externe.

(3)   – La question est de savoir qui a pris la décision d’autoriser ce vol. En effet, l’espace aérien centrafricain est fermé aux vols commerciaux depuis le 17 mars 2020, en raison de la pandémie du Covid-19, lequel décret interdit également les rassemblements de plus de 10 personnes ainsi que les déplacements entre la capitale et les provinces. Le parallélisme des formes voudrait que la décision d’ouverture de l’aéroport de Bangui-Mpoko soit prise par le président de la République, chef de l’Etat. Invoquer la rotation des personnels humanitaires, alors que des milliers de ressortissants français sont bloqués au Maroc et des milliers d’étrangers sont confinés depuis deux mois dans l’hexagone, prête à sourire. Accepter cette humanitaire sans examen ni précaution, alors que les trois-quarts du territoire sont aux mains des groupes armés et les ONG victimes d’agressions et d’actes de brigandage, trahit plutôt une certaine promptitude à la servilité de la part des autorités locales.

(4)   - Le docteur Luisa Dologuélé-Potolot est membre de l'association « La Maison de l'Artémisia » qui milite en faveur de cette plante dans le traitement du paludisme.

(5)   – Il eut été plus judicieux, semble-t-il, de permettre à l’ICAT (industrie centrafricaine du textile) ou aux artisans locaux de fabriquer les masques et gants nécessaires, et/ou de subventionner les étudiants de la section TGA 72 du lycée technique de Bangui, qui ont développé le robot humanoïde Exocia Technica Sabonga, afin qu’ils mettent leur science au service du développement des tests de dépistage de la pandémie. Il eût été plus profitable, alors que les enseignements scolaires et universitaires sont suspendus, de permettre aux étudiants en médecine d’animer, dans les quartiers et villages, des petits groupes de sensibilisation des populations aux gestes de protection individuelle et/ou collective.

(6)    - A lire le philosophe allemand Jürgen Habermas (Le Monde du 11 avril 2020), on peut dire que toutes les constitutions du monde garantissent le principe « chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique » et à la stricte égalité de traitement sans considération pour le statut social, l’origine, l’âge, etc. Et de conclure : « quel médecin pourrait se permettre de comparer la valeur d’une vie humaine avec la valeur d’une autre, et s’ériger ainsi en une instance ayant droit de vie ou de mort » ? Ainsi, la déontologie médicale doit se montrer conforme à la constitution et satisfaire au principe voulant qu’il n’y a pas à « choisir » une vie humaine contre une autre.