Ngalandji

« Le Dernier survivant de la caravane » (1) est l’épopée dont Ngalandji (2) est ici à la fois, sans jeu de mots : « héros » et « héraut ». Il est le héraut comme chantre de la tragédie qui s’est abattue ce jour-là, dès potron-minet sur son village de Létrogo encore endormi : une ruée d’envahisseurs tout de noir habillés et manifestement porteurs de sordides et lugubres desseins : ainsi que ceci ne tardera pas à se confirmer ! La mésaventure de son village deviendra une épopée pour le rescapé comme le malheur de Troie pour Enée.

Le cadre du récit est bien planté : Ngalandji,(2) qui ici « décline la geste », porte un nom prédestiné : il désigne le « Bambou » (ngala) réputé pousser haut et droit (ndji). Ce Bambou est suffisamment solide pour entrer dans la confection des échafaudages utilisés dans les constructions.

Ngalandji se tient debout pour que sa voix porte : il a réussi à captiver et à retenir toute l’attention de son auditoire. Mais à mon avis il a manqué, pour l’efficacité totale du rituel, la traditionnelle petite supplique aux Mânes tutélaires pour qu’ils épargnent pour demain et pour toujours le retour des horreurs qui vont être contées. Car c’est ainsi, semble-t-il, qu’on peut assurer que l’histoire ne repasse pas les mêmes plats.

C’est bien aussi, semble-t-il, ce plat que nous a repassé l’Expédition de la Sélèka et ses Mercenaires : une horde de barbares et avec elle un cauchemar.

 

« L’objectif était bien de chasser Bozizé du pouvoir. Mais comment justifier qu’il ait fallu en passer par la mise à sac de villes et villages, le massacre de la population et les pillages divers? Les exactions de la Selèka ont ramené dans l’actualité le récit du vieux Ngalandji, le narrateur du Dernier survivant de la Caravane: une actualité d’autant cruelle et affligeante qu’elle coïncide, par-delà le changement d’époque, dans une parfaite unité de lieu et d’action avec les atrocités des razzias esclavagistes qui ont longtemps sévi dans ces régions : Ippy et les environs. » (3) 

 

Mais au regard de la question –qui, finalement, doit nous préoccuper- portant sur la meilleure stratégie pour construire l’avenir d’un Pays une omission dans le déroulement d’un rituel est, à la vérité, superfétatoire.

Et ce constat nous fait venir à l’essentiel :

 

 « Quelle place le Pays, son Peuple et son avenir ont encore pour un parti capable de semer la terreur et tant de désolations et qui, de surcroît, demande l’impunité et l’amnistie pour ses forfaits ? » (3) 

 

 « Nous sommes en guerre » :

La signature la plus récente et la plus insistante de cette lapalissade est celle de M. NGREBADA, Premier Ministre, qui manifestement s’est rendu compte qu’il prêchait à un Peuple qui, depuis que cela dure, s’est forgé des convictions fortement chevillées au corps : les stratégies du Gouvernement sont de la nature et ont l’efficacité des injonctions et exhortations qui n’empêcheront pas que se noie quelqu’un qui ne sait pas nager et qui est au milieu d’une eau agitée où il n’a pas pied. Les menaces sont du même degré dans l’expression de l’épouvante et de la peur : qu’elles viennent des forces de l’ordre ou des terroristes et « forces du désordre ». Entre le seau d’eau et le picotin d’avoine l’âne de Buridan qui a faim et soif ne fait aucun choix !

Depuis l’entrée de la Sélèka avec sa cohorte de Mercenaires pour prendre d’assaut et en otage tout notre Pays il était évident que nous n’avions pas de choix hors le devoir sonnant comme un impératif catégorique de faire que l’intrus fût bouté dehors ».

Nous nous devions de mettre en place de vastes et ambitieux projets de construction-reconstruction nationale (4) :

 

Faire taire les armes, restaurer la paix et réapprendre aux citoyens à vivre ensemble.

Ramener les déplacés à la maison et recréer la liberté de circulation des hommes et des biens ;

Remettre le peuple centrafricain au travail et recréer les conditions d’une vie dans l’unité et la dignité, le travail et le progrès…

 

 Le Pays est en guerre » : nous le savions depuis l’aube de l’invasion de la Sélèka.

Et j’ai écrit, pour ma part à l’intention de ceux qui nous gouvernent :

 

 « Si tu veux la paix, prépare la guerre. »

Si j’étais Président de la République je serais par priorité un Chef de guerre.

Dans les temps que nous vivons la République Centrafricaine est en guerre.

Il faut donc, pour le moral de la Nation, avec elle et nos alliés, faire la guerre à la guerre.

C’est par la guerre que nous gagnerons la paix, la sérénité et les libertés indispensables pour toutes entreprises de développement économique et d’épanouissement humain. (5) 

 

« Le Pays est en guerre ».

La Communauté internationale s’est émue de cette situation et a décidé de nous prêter main forte et secourable. La France a déclenché dès le 5 décembre 2013 l’Opération Sangaris épaulée par des Forces de l’Union africaine que remplacera très rapidement l’Organisation onusienne (Minusca) pour la stabilisation de la République centrafricaine. (6)

Un beau programme en perspective : procéder au désarmement et démantèlement des milices et lancer les enquêtes requises pour mettre à la disposition de la Cour Pénale Internationale tous ceux qui se seraient rendus coupables de crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité. Mais un programme qui patinera pour payer le prix d’une mauvaise appréciation de la situation. Car un lamentable cafouillage a conduit à prendre les agresseurs musulmans minoritaires, - il est vrai-, pour les victimes à protéger contre un « génocide » imprudemment annoncé. On a occulté de bonne foi, je le concède, que la razzia qui s’est abattue sur la République centrafricaine a été conduite par des Centrafricains musulmans qui ont obtenu le renfort musulman des Pays voisins : Soudan, Dar Four, Tchad, Nord Cameroun jusqu’au Nigeria pour le recrutement des Peulhs…

Le rapport réel des forces en présence :

On a vu en plus grand nombre :  brûler ou détruire des lieux de culte chrétien, tuer des chrétiens et même des prêtres à Alindao –pour ne pas oublier le martyre le plus horrible qui fut perpétré à la Cathédrale et dans les camps de Réfugiés proches par Ali Darassa, le sulfureux tortionnaire au service des Peulhs et de la Sélèka-, à Fatima où des Prêtres ont été abattus pendant la célébration de la Messe, à Seko (le Curé de la Paroisse), à Bambari (le Vicaire épiscopal).

 

« Le Pays est toujours en guerre ».

L’élection de Monsieur Touadéra proclamant sa foi en une République centrafricaine « une et indivisible » n’a pas sonné le retour des institutions ni d’une stabilité retrouvée dans tout le Pays. A y bien regarder le Président élu est le Président d’une République centrafricaine circonscrite dans les limites de Bangui la Capitale, dont il faudrait même encore exclure le bastion musulman du KM5. Quand la France a annoncé son retrait qui est devenu effectif le 31 octobre 2016, les milices qui n’avaient opéré qu’un simple retrait stratégique ont repris du service et on les a vues continuer allègrement à semer la terreur : barrant les routes et écumant tous les centres de profits (gisements de pétrole, extractions d’or, diamant et pierres précieuses diverses) pour installer des points de vente et la perception de taxes et autres prélèvements !

 

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! »

Cette déclaration du Président Jacques Chirac au Sommet de la Terre de 2002 à Johannesburg en Afrique du Sud traduit avec bonheur la situation centrafricaine.

J’y retrouve ce que j’écrivais il y a quelque temps :

 

« Si, comme dans un jeu de miroir, nous cherchions à vérifier leurs angles d’incidence et de réflexion, le temps du Pays et le temps de ses Dirigeants s’ajustent comme la reproduction d’un dessin avec un calque qui a bougé : à la mesure des clivages, qui sont le lot des intérêts divergents ». (7) 

 

Le Pays est en guerre depuis l’invasion de la Sélèka et ses mercenaires. Il y a eu une résistance pour empêcher qu’ils accèdent à la mainmise sur le Pays : totale ou partielle avec la partition du Pays et la création de leur République islamique du Logone.

Si une « récupération » et la réinsertion dans tous leurs droits de ceux qui sont d’authentiques fils du Pays sont et demeurent envisageables, la suite logique de notre résistance aurait dû conduire, en revanche, à organiser le désarmement et le rapatriement des Mercenaires étrangers dans leurs pays respectifs. Ils nous ont montré à suffisance leurs visages d’authentiques voleurs et criminels.

Nous n’avons rien fait et le payons au prix fort avec les Généraux autoproclamés : Abbas Sidiki des 3R et Ali Darassa de l’UPC.

Des Terroristes notoires sont chargés de l’organisation de la Paix comme se désigne le mouvement UPC de Darassa : Union pour la Paix en Centrafrique.

Une guerre stupide bloque le développement de notre Pays.

La Sélèka et ses Mercenaires ont ouvert les chemins de l’exil à tous ces Centrafricains réfugiés dans les Pays voisins. Les années s’ajoutent aux années sans le moindre espoir pour eux de revoir leurs toits ou ce qui peut en rester après une si longue absence !

Quand reviendront-ils chez eux ?

Ceux qui nous gouvernent s’en soucient comme d’une guigne.

« Ils regardent ailleurs » : courant, comme ils l’ont fait en allant à Khartoum, après des rendez-vous où ils se font imposer des négociations absurdes sur des questions sans urgence ni nécessité. L’intégration et l’insertion des Mercenaires devraient être définitivement classées comme ne répondant, en tout état de cause, à aucune logique.

Et, au hasard d’une liste qui est loin d’être exhaustive :

L’Etat n’est pas représenté dans nos Provinces :

Où commence et où s’arrête la République centrafricaine ?

Je doute que cette question empêche nos dirigeants de dormir !

Les Ecoles sont fermées quand elles ne sont pas tout simplement brûlées ou détruites. Les centres de santé, -là où on peut encore en trouver-, sont ceux des Organisations non gouvernementales internationales quand elles sont tolérées. Ils fonctionnent là où ils ne sont pas vandalisés.

L’Etat-civil est détruit et la République centrafricaine des Provinces et même de Bangui, la Capitale, renouera bientôt avec les jugements supplétifs d’acte de naissance.

Si tout ceci n’est pas une régression qui se généralise pour nous faire retrouver « l’état sauvage » ou « la sauvagerie » dont nous étions censés être sortis avec l’Indépendance : à quoi ressemble une impasse ?

 

 

MANDEKOUZOU-MONDJO

13 mars 2021

 

Notes :

 

(1).  Le Dernier Survivant de la Caravane, Etienne Goyémidé. HATIER PARIS, Janvier 1985.  (2).   Une petite leçon de Banda que j’assume et qui me paraît refléter l’inspiration qui a conduit Etienne Goyémidé à nommer notre héraut.

(3). MANDEKOUZOU-MONDJO : « La Guerre est au cœur de toutes choses. Un point de vue sur la crise en Centrafrique », 18 janvier 2013.

(4) MANDEKOUZOU-MONDJO : « Le Babélisme politique en Centrafrique » (13 juin 2015)  

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. »

(Nicolas Boileau, L’Art poétique, Chant I)

(5). MANDEKOUZOU-MONDJO :

Plaidoyer pour qu’advienne la Paix en République centrafricaine. (30 novembre 2015)

(6). Déclaration des Autorités françaises : « Le Conseil de sécurité vient d’adopter une résolution, à l’unanimité, donnant mandat à une force africaine pour apporter la sécurité, rétablir la stabilité en Centrafrique et protéger la population…La France soutiendra cette opération. C’est son devoir, devoir d’assistance et de solidarité à l’égard d’un petit pays, la Centrafrique, bien loin d’ici, pays ami, pays le plus pauvre du monde. Pays qui nous appelle au secours…J’ai pleine confiance en nos soldats pour mener cette opération. Je sais leur sens du devoir, leur grande qualité professionnelle. Cette intervention sera rapide, elle n’a pas vocation à durer. Je suis sûr de son succès. »

(7). MANDEKOUZOU-MONDJO : Un Centrafrique à l’encan. (6 octobre 2014)