« Veilleur, où en est la nuit ? »

Par Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO

 

« Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire » (1)

 

Je n’ai pas la prétention de proposer ici une exégèse de ce cri du prophète Isaïe : « Veilleur, où en est la nuit ? » (Isaïe 21, 11). Il y en a d’excellentes dont une que j’ai eu l’occasion de lire et qui y voit un appel à la vigilance face aux menaces que fait peser sur l’homme un univers hostile.

Aube et crépuscule que nous voyons évoqués ici ont en commun de représenter une absence de clarté. Ils se distinguent radicalement en ceci que le crépuscule marque l’entrée dans la nuit tandis que l’aube ouvre la marche vers l’horizon où le matin s’illumine.

 

Veilleur, où en est la nuit ?

Le Président Sylvanus Olympio proclamant l’indépendance du Togo s’est inspiré de cette parole du prophète Isaîe pour introduire son discours :

« Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? »

L’écho lui a renvoyé ces mots qui rassurent :

« La nuit est longue, mais le jour vient. »

 

L’hymne national de la République Populaire du Congo salue également l’avènement de son Indépendance comme la sortie d’une longue nuit pour l’avènement d’un « grand bonheur »

« En ce jour, le soleil se lève
Et notre Congo resplendit
Une longue nuit s'achève
Un grand bonheur a surgi »…

 

Veilleur, où en est la nuit ?

L’hymne national centrafricain est dans la même tonalité quand il évoque un Peuple longtemps soumis, longtemps brimé par tous, qui, de ce jour, est appelé à briser la misère et la tyrannie. 

L’on y retrouve l’expression mais aussi l’inspiration de cette hymne religieuse toute à la joie de l’entrée du Peuple de Dieu en Terre promise :

 

« Le peuple de Dieu qui se traîne à travers l’immense désert

A fui l’esclavage et la haine ; il s’avance sous un ciel clair

Il va vers la terre lointaine que son Dieu promit aux anciens

Où se guériront toutes peines dans un monde calme et serein. »

 

Veilleur, où en est la nuit ?

L’Indépendance c’est l’entrée sur la Terre promise. Mais si cette interpellation du Prophète peut paraître s’imposer encore en République centrafricaine,

C’est que nous ne sommes pas sortis de la nuit ; 

C’est que le Peuple centrafricain a joué et continue de jouer de malheur.

Son premier et plus grand malheur est, d’avis unanime (3), la disparition de Barthélemy Boganda : à un an de la proclamation de l’Indépendance.

Il s’est battu pour cette Indépendance, mais n’a pas eu l’heur de l’accueillir et de mettre en application sa Politique ou « Plan pour sauver un Peuple ».

 

 

Lorsque le parcours de Moïse devait s’arrêter il s’est tourné vers Dieu et lui a dit :

 « J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Voilà que son pied touche à la terre promise.
De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise,
Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ;
Je lui lègue mon livre et la verge d'airain
(2)

 

 Je l’ai écrit et je reste toujours convaincu que l’histoire aura du mal à démontrer que de Boganda aux suivants il a pu être transmis un programme politique structuré et assorti des moyens à l’efficacité garantie pour le conduire. Tout, semble-t-il, est resté à penser et à organiser. Et c’est cette entreprise inachevée que nous pouvons déplorer comme un grand malheur.

Il n’y a pas eu de « livre à léguer » (2) comme de Moïse à Josué.

Et, pour compliquer ou complexifier un peu plus, les critères pour « léguer la verge d’airain » (2) ou transmettre le pouvoir comme de Moïse à Josué, n’ont jamais été définis. Bien plutôt la voie fut laissée ouverte à toutes les interprétations et supputations et justifia toutes les cupidités et sordides usurpations de tous ceux qui se sont autoproclamés « héritiers ».

J’ajouterai qu’il y en eut qui, ne pouvant d’aucune manière s’inscrire dans la ligne directe et légitime des successions, ont fait le choix de la voie des armes, de la guerre et des coups d’état.

 

Je l’ai écrit et je reste toujours convaincu :

« L’histoire de la démocratie centrafricaine nous donne à voir des hommes et des femmes prompts à user de tous les subterfuges et habiletés pour parvenir au pouvoir et pour s’y maintenir. Là où nous attendons des projets clairs et surtout définis dans les moyens susceptibles de les rendre efficaces, l’histoire politique centrafricaine indique que les partis ont tous fait faillite. Notre démocratie est malade d’avoir oublié le Peuple que toute politique s’engage à servir… »

 

Les contacts et collaborations extérieurs s’inscrivent dans cette ligne et cherchent plutôt à servir les intérêts des politiques qui les contractent que ceux du Peuple. Et d’une époque à une autre l’établissement des contrats de coopération toujours assortis de contrats d’exploitation des matières premières (or, diamant, pétrole et bois) a toujours déclenché une ruée ou la curée de « charognards » sans peur ni scrupule.  Et il faudrait être bien naïf pour prétendre déceler chez eux tous sans exception la moindre once d’élan philanthropique. Nous assistons toujours à un jeu subtil, sophistiqué et opaque : bien naturellement. Et s’y attaquer reviendrait à s’exposer à un procès en sorcellerie.

 

Qui est le meilleur ou le pire partenaire ?

Bien malin celui qui s’estime capable de trancher cette question. « Je donne ma langue au chat », mais émets toujours des doutes sur les avis sans nuances qui éreintent les uns et louent les autres.

Les Russes et les Chinois en Centrafrique semblent se marquer mutuellement : ils sont partout et en concurrence dans tous les secteurs. Ils veillent à ne pas perdre pied ni laisser un quelconque avantage à l’une des parties face à l’autre.

Mais ce constat entre dans le jeu et le climat de course à l’échalote et de recherche du profit le plus grand et le meilleur que nous avons connu avec les sociétés concessionnaires. Les temps changent mais l’esprit de ce qui était demeure. C’est un rêve vain là où il n’y a que des jeux d’intérêts de vouloir départager les intervenants sur la scène centrafricaine en invoquant le critère du degré de leur amour ou élan de solidarité avec le pauvre, la veuve et l’orphelin.

 

De surcroît il y en a pour tout le monde dans ce jeu…

Nos Politiques ne s’oublient pas.

L’affaire des châteaux et diamants avec l’Empereur Bokassa a fait des émules. Le Président Ange-Félix Patassé, en fonction comme Président de la République, n’a pas hésité à se proclamer homme d’affaires avisé et à s’afficher parfaitement légitimé dans sa soif de devenir riche. Il a créé des sociétés de commercialisation du diamant centrafricain pour son propre profit. Mais il a eu des procès retentissants avec des condamnations pour lui et ses alliés quand il perdit le pouvoir.

Nous avons écho du jeu de chaises musicales autour de l’exploitation du diamant ou du pétrole sur des gisements où des Chinois -par exemple- ont succédé à des Canadiens et se sont retrouvés avec des Russes.

Et il y a toujours, pour mettre les protagonistes d’accord, l’intervention payante d’un Ministre titulaire ou Conseiller auprès de l’Autorité suprême : comme celui-ci –non le seul ni le premier- qui fut épinglé par les services français du contrôle financier pour un transfert très important et interdit de devises. Il était devenu assez riche pour envisager de se faire acheter un pavillon en France : comme bien d’autres !

 

Veilleur, où en est la nuit ?

Voici évoquées des affaires qui indiquent que la République centrafricaine n’est toujours pas tirée d’affaire.

Mon avis est que nos hommes politiques persistent à s’engager et à nous engager sur des chemins qui ne mènent nulle part. Le savent-ils eux-mêmes ? D’année en année nous voyons les mêmes au-devant de la scène… Et toujours la même obstination dans leurs offres de contributions obstinément et définitivement sans efficacité pour construire le Pays.

L’écho favorable qui peut leur  être réservé sonne comme un « éloge de la folie »

La nuit est bien longue et le jour ne vient pas.

 

 

MANDEKOUZOU-MONDJO

21 février 2021

 

 

(1)  André Gide. Les Nourritures terrestres ;

(2) Alfred de Vigny. Moïse

(3)  Cette assertion peut être signée par le Professeur Abel GOUMBA qui a ainsi expliqué, lors du Dialogue de Réconciliation d’octobre 2003, le retard pris par le développement de la République centrafricaine depuis l’Indépendance.

On a imaginé ce jour-là une interpellation du Président Boganda lui demandant outre-tombe : « Abel, je t’ai confié la République centrafricaine : qu’en as-tu fait ? ». « J’étais plus souvent et longtemps en prison ; »

Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO