La stratégie politique des 3 V est en mouvement, chez
les Cœurs Unis.
Victoire, violence, vengeance ! C'est par ces trois mots qu'Ange Félix Patassé a pris le pouvoir en Centrafrique en 1993. La victoire s'est transformée pour le peuple en une litanie d'actes anticonstitutionnels, d'irrégularités administratives, de spéculation économique et de dilapidation des ressources naturelles du pays. Il fut le premier président de la République à faire appel à des mercenaires étrangers sur le sol centrafricain.
Il sera délogé dix ans plus tard, en mars 2003 par le général François Bozizé, son homme de main, successivement ministre de la défense nationale puis chef d'état-major des forces armées centrafricaines (FACA). Ce dernier perpétuera la même logique, avec l'appui des « libérateurs » tchadiens, jusqu'en mars 2013, date de sa désertion devant les hordes rebelles de la Séléka, soutenues par les Soudanais !
1 - La politique de capitulation du
président Faustin Archange Touadéra.
Victoire, viol, vol pourrait être le cri de guerre de l'actuel chef de l’État centrafricain Touadéra. Victoire pour tenir compte de son élection, dans des conditions discutables, à la présidence de la République après les élections présidentielles de mars 2016. (1)
Viol de la constitution, pour tenir compte de l’intégration des représentants des factions terroristes dans le gouvernement inclusif du premier ministre Firmin Ngrébada. Ces nominations sont contraires aux dispositions de l'article 28 de la Constitution centrafricaine du 30 mars 2016, qu'il a lui-même promulguée et sur laquelle il a prêté serment (2). Par ce biais, le président Touadéra offre l'immunité judiciaire aux seigneurs de guerre et devient, de facto, le co-auteur de leurs crimes (3). Ces derniers le soutiendront, mordicus, comme la corde suspend le pendu, afin d'échapper aux mailles du filet de la CPI et de la CPS de Bangui, si inactives depuis lors !
Vol enfin, car en contrepartie de sa protection, le président Touadéra peut compter désormais sur ces alliés de la onzième heure pour installer son parti, le Mouvement Cœurs Unis, dans leur zone d'influence respective, dans la perspective des élections générales de la fin de l'année 2020. C’est ce qui s’est passé le 5 mai dernier à Ndélé (4). On s'achemine donc vers une violation manifeste des résultats des élections présidentielles et législatives à venir, comme en témoigne déjà le nouveau Code électoral qui est en soi une machine à exclure ; elle comporte des dispositions extra constitutionnelles.
2 – Quelle stratégie pour l'opposition
démocratique ?
A l’heure actuelle, où de grands bouleversements se poursuivent vers la partition de facto du pays, l’opposition démocratique est amorphe, si l’on excepte les batailles de communiqués en son propre sein. Seule la société civile fait preuve d’une activité civique respectant l’article 29 de la Constitution !
Au Bloc des connivences (5) que représente la majorité présidentielle avec le MCU, le MLPC, le PATRIE, le KNK et ce qui reste du MESAN, l’opposition démocratique est divisée entre un Front « régionaliste » représenté par la coalition entre le CRPS, le MDREC et le RPR, et une Alliance objective entre l’URCA et le RDC.
Au sein de cette opposition démocratique, seul le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) a la consistance d’un parti politique, du fait de son ancienneté (32 ans), de son implantation nationale sur toute l’étendue du territoire et de son poids électoral (entre 12 à 20 % aux différentes présidentielles). Malheureusement, les ennuis judiciaires en cours de son président actuel affaiblissent ce parti (6). C’est la raison pour laquelle le RDC doit rapidement se renouveler, au plan doctrinal, stratégique et organisationnel afin de faire face aux enjeux du moment.
Au plan doctrinal, le refus de la partition doit être réaffirmé et l’intégrité territoriale consolidée. La nature laïque de l’Etat doit être préservée, son statut libéral sauvegardé au plan économique et son caractère universel étendu à l’ensemble des populations au plan social.
Au plan organisationnel, l’alternative démocratique autour du pôle RDC doit rassembler largement et reconstruire l’alliance des populations du fleuve, de la brousse et de la forêt, telle qu’elle prévalait à l’époque de Barthélémy Boganda (7). Pour y parvenir, le parti doit renouveler ses cadres et ouvrir ses instances dirigeantes à de nouveaux talents.
Au plan stratégique enfin, la République Centrafricaine doit s’inscrire définitivement dans le cadre du panafricanisme et porter résolument le projet de création des Etats-Unis d’Afrique équatoriale sur les fonts baptismaux, en reprenant la vision prophétique du président fondateur de la République Centrafricaine (8).
Après soixante années de descente aux abysses, l’année 2020 doit être le tournant d’une nouvelle ère ; celle de l’indépendance, de la puissance économique et de la prospérité sociale, pour vivre ensemble dans la paix.
Paris, le 14 mai 2019
Prosper INDO
Economiste,
Consultant international.
(1) – Le chef de l’Etat de la transition,
Catherine Samba-Samba a en effet affirmé avoir donné des ordres en
conséquence !
(2) – L’article 28 alinéa 1 de la loi fondamentale dispose que « l’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé non démocratique constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes aura déclaré la guerre au peuple centrafricain. [ …] Les auteurs, co-auteurs ou complices des actes visés … sont interdits d’exercer toute fonction publique dans les Institutions de l’Etat ».
(3) - L’article 28 alinéa 2 dispose que « toute personne physique ou morale qui organise des actions de soutien, diffuse ou fait diffuser des déclarations pour soutenir un coup d’Etat, une rébellion ou une tentative de prise du pouvoir par mutinerie ou par tout autre moyen, est considéré comme co-auteur ». Il est établi que la présidence de la République n’a pas manqué de financer les chefs rebelles.
(4) – Le chef rebelle Abdoulaye Hissène, membre du
FPRC de Noureddine Adam a ainsi été coopté superviseur du Mouvement Cœurs Unis
de la région de Ndélé. Ce seigneur de guerre a été par le passé, conseiller à la
présidence sous le régime de l’Etat de la transition. On notera par contre que
le bataillon des forces armées centrafricaines (FACA) qui devait s’installer à
Kaga-Bandoro, a rebroussé chemin à la demande du chef de guerre Al Khatim,
ministre conseiller du premier-ministre pour la région nord, pour s’établir à
Dékoa.
(5) – Le Bloc est dit de connivences car il
s’agit d’une alliance hétéroclite de circonstance pour s’accaparer le pouvoir.
Elle est instable et peut à tout moment voler en éclats si jamais, par exemple,
le président déchu François Bozizé s’inscrivait dans une perspective de retour à
Bangui où il serait arrêté et traduit en justice comme Jean-Bedel Bokassa en son
temps.
(6) – Le président du RDC, Désiré Kolingba, est
poursuivi devant le TGI d’Orléans (France) pour une facture non honorée de sa
campagne électorale aux dernières présidentielles de 2016, aux dires du
promoteur de cette campagne.
(7) – Barthélémy Boganda a toujours mis en
garde : « l’égoïsme, le tribalisme et nos divisions ont fait notre
malheur dans le passé ; l’égoïsme, le tribalisme et nos divisions signeront
notre échec à l’avenir » !
(8) – Victor Bissengué et Prosper Indo :
Barthélémy Boganda, Héritage et Vision, L’Harmattan, Paris
2018.