Centrafrique plongée dans le gouffre pour plusieurs générations

Dans toute catastrophe il faut un temps pour se rendre compte de l'état réel de la situation, pour mesurer l'ampleur des dégâts, et si possible que prennent conscience de leur responsabilité les acteurs et les auteurs. Autrement dit, plus grave, il y a l'art de tourner en rond et de chercher le bouc émissaire ailleurs. Tant que la "racine du mal" ne sera pas extirpée, la République Centrafricaine continuera à souffrir des maux de toute sorte. Souvent, l'on s'appesantit sur les effets.

Les victimes toutes désignées qui sont les populations font les frais. Des querelles de personnes, des querelles autour "d'un gâteau à partager" plongent un pays entier dans le chaos. Les protagonistes n'ont pas le droit d'hypothéquer l'avenir des générations futures qui aspirent à vivre en paix.

Les Centrafricains quels qu'ils soient cherchent à vivre en symbiose avec le voisin. Toutes expériences basées sur la sélection élitiste, clanique ou clientéliste, échoueront lamentablement mais, malheureusement et inévitablement provoquent le désastre économique, la lutte fratricide et une fracture durable dans la société. Nous voilà emportés par la tourmente.

Du rêve de Boganda, "Zo kwe Zo", il ne reste plus ou presque rien. C'est le déséquilibre. Les lamentations et les mesquineries ne peuvent combler le vide. Souhaitons que les nombreuses missions de bons offices nous aident à y voir clair et à retrouver une porte de sortie, sinon c'est l'abîme et personne n'en sortira indemne.

(14 juin 2001)


Le putsch de trop pour une économie malade
(AFP, Bangui, 14 juin 2001 - 11h24)

Le putsch avorté du 28 mai et les dix jours de combats qui ont suivi à Bangui ont porté un nouveau coup à une économie centrafricaine malade, qui ne s'était jamais totalement remise des trois mutineries militaires à répétition de 1996-97.

Investissement privé en panne, crise sociale, finances publiques exsangues, faibles performances de régies financières gangrenées par la corruption d'agents indélicats: le tableau n'était déjà guère brillant.

Pourtant les autorités pouvaient nourrir quelques motifs d'espérance. Les nuages de la très grave crise sociale de la fin 2000-début 2001 s'étaient dissipés.

Grâce à un déblocage d'argent frais du Fonds monétaire international (FMI), fin janvier, le gouvernement avait pu payer trois mois de salaires à des fonctionnaires cumulant jusqu'à 29 mois d'arriérés sur plusieurs années, mettant progressivement fin à leur grève marathon observée de novembre 2000 à mi-février 2001.

Au plus fort de la crise, en décembre, certains avaient redouté "un scénario à la Gueï", explique un observateur: des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue. Un jour, des barricades avaient été érigées. L'opposition récupérait le mouvement et le pouvoir dénonçait ses velléités de coup d'Etat.

Mais les choses étaient finalement rentrées peu ou prou dans l'ordre. Et la nomination le 1er avril d'un nouveau Premier ministre, Martin Ziguélé, un modéré de bonne volonté, avait apporté un peu d'oxygène et de sérénité. Depuis, les trois derniers mois de salaires des fonctionnaires avaient été payés.

En outre, en ce dimanche 27 mai, alors que toute la capitale célébrait la fête des mères, sacrée dans le pays, un événement était passé inaperçu: une délégation du Fonds monétaire international (FMI) quittait Bangui sur une note positive.

Après avoir reconnu les efforts effectués au cours des dernières semaines, les experts étaient tombés d'accord avec les autorités sur les grandes lignes d'une lettre d'intention pour un nouveau programme d'ajustement, promesse d'argent frais.

Il était 23 heures quand il quittèrent Bangui pour Paris et Washington. Quatre heures plus tard, des tirs d'armes lourdes résonnaient près de la résidence du chef de l'Etat.

"C'est la pire catastrophe qu'on pouvait imaginer pour ce pays en ce moment", a commenté mercredi le Premier ministre devant les ambassadeurs accrédités à Bangui, les représentants des agences onusiennes et des institutions financières internationales.

"Pendant deux semaines, l'Etat n'a perçu aucune recette et il faudra peut-être attendre le début du mois de juillet. On espère que tout le monde sera au travail vers la fin de la semaine, mais il va bientôt falloir payer les salaires", ajoutait-il lors d'un entretien avec un journaliste de l'AFP.

Pour le moment, l'heure n'est même plus à l'assainissement des finances, mais à la charité internationale en faveur des blessés et des quelque 88.000 personnes déplacées qui ont fui les combats et regagnent la capitale dans des conditions de dénuement extrêmes.

Médicaments, nourriture, eau potable, vêtements, couvertures, savon: les besoins sont multiples. Dans son programme humanitaire d'urgence présenté mercredi au corps diplomatique, le gouvernement les a chiffrés à 2,463 milliards de francs CFA (24 M FF).

La société centrafricaine n'avait guère besoin d'une telle crise. Déjà en 1999, elle avait subi une longue pénurie de carburant due à la rupture des livraisons de République démocratique du Congo voisine.

S'y ajoutaient les inondations, les récoltes irrégulières de café, un commerce du diamant échappant à tout contrôle de l'Etat, un tissu industriel chétif, des routes infestées de brigands et des importations coûteuses liées à l'enclavement du pays.

Les mutineries de 1996-97 avait déjà miné la confiance des investisseurs. Depuis lors, la seule réalisation tangible avait été la reconstruction par le groupe français Bolloré de l'usine à cigarettes de Bangui, ravagée par les mutins.


Actualité Centrafrique - Dossier 5