Bemba et l'axe Centrafrique-Ouganda-Rwanda : racket ou complot ?

Le peuple centrafricain est-il victime d'un complot international ? Ceci ne saurait suffire pour expliquer cela. La responsabilité des gouvernnants centrafricains est sûrement bien engagée. Frappées de plein fouet, les populations subissent au quotidien les défaillances du système en place et les conséquences d'une gestion désormais chaotique dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la sécurité, du travail. Les immenses ressources du pays ne profitent à personne : c'est le gaspillage sous forme dépenses somptuaires, de commerces non contrôlés ou éphémères. La République Centrafricaine est transformée en une plaque tournante internationale pour de multiples opérations. Les victimes innocentes sont les plus nombreuses. Mais "que demande le peuple ?" Paraphrasant l'autre : Que le pays soit géré au mieux dans l'intérêt de tous !

La délicate équation congolaise du président Patassé (AFP, Bangui, 19 juin 2001 - 11h54)
Seti lâche Bemba (L'Eveil, Kinshasa, 19.juin.2001)
Le Président centrafricain passe aux aveux (Le Palmarès, Kinshasa, 19 juin.2001)
On recherche toujours le "soldat Kolingba" (AFP, Bangui, 18 juin 2001 - 17h39Q)


La délicate équation congolaise du président Patassé
(AFP, Bangui, 19 juin 2001 - 11h54)

Le régime de Bangui marche sur des oeufs depuis qu'il a reçu l'appui militaire du mouvement rebelle congolais de Jean-Pierre Bemba après le coup d'Etat avorté du 28 mai en Centrafrique, s'attirant la colère à peine voilée de Kinshasa.

Le président centrafricain Ange-Félix Patassé devra rapidement tenter de résoudre une équation plus que jamais délicate s'il veut éviter une extension larvée ou directe de l'imbroglio congolais à son propre pays.

Il lui faudra déployer des trésors de diplomatie pour rassurer le président congolais Joseph Kabila sur la portée politique de cette l'intervention armée sur son sol et composer avec son puissant voisin rebelle, envers lequel il a noué une dette de survie.

"Patassé n'est pas un aventurier", a-t-il assuré samedi à Bangui, affirmant avoir "toujours été très clair" avec les protagonistes internes et externes du conflit de République démocratique du Congo (RDC).

"Il faut que mon frère Bemba et mon fils Kabila se tendent la main, que les Ougandais et les Rwandais quittent le Congo", a-t-il réaffirmé lors d'une conférence de presse.

Mais dans le même temps, il justifiait la nécessité pour lui de "maintenir un climat de paix sur les deux rives" du fleuve Oubangui, frontière naturelle entre la RCA et le nord de la RDC, contrôlé par le Mouvement de libération de Congo (MLC) de M. Bemba avec le soutien de l'Ouganda.

"Avec Bemba, nous avons plus de 1.000 km de frontière commune. Si on n'applique pas une politique de proximité fiable, on engendrera un foyer de guerre", soulignait-il.

Les relations de bon voisinage entre M. Bemba et le régime centrafricain ne constituent guère de fait une nouveauté. Elles apparaissent presque naturelles au regard des échanges commerciaux existant depuis toujours entre les deux régions via l'Oubangui.

Il est d'ailleurs de notoriété publique que Jean-Pierre Bemba est comme chez lui dans la capitale centrafricaine, où il écoule son café et d'où il a longtemps ravitaillé ses troupes en carburant.

Cette "proximité" fut d'ailleurs été à l'origine d'un premier couac entre Bangui et Kinshasa au printemps 2000.

La RDC, qui préparait une vaste offensive militaire contre les rebelles de Bemba dans la province de l'Equateur, avait suspendu ses livraisons d'essence à la RCA, obligeant Bangui à se ravitailler par camions citernes via le Cameroun et d'accepter des dons... de la Libye.

L'intervention de 300 à 700 éléments rebelles à Bangui après le putsch du 28 mai n'en constitue par moins un précédent fâcheux pour Kinshasa.

Elle s'est déjà traduite par la convocation de l'ambassadeur centrafricain en RDC, reçu le 4 juin dans la capitale congolaise par le ministre des Affaires étrangères de RDC, Léonard she Okitundu. Une délégation congolaise a depuis été reçue vendredi à Bangui.

Dans la capitale congolaise, on estime en effet que Bemba n'a pu intervenir à Bangui sans l'aval de son allié ougandais, désireux de disposer en RCA d'une discrète base arrière dans le cadre d'une stratégie d'encerclement.

"Après l'intervention des hommes de M. Bemba, il y a quelque chose qui gêne ailleurs", a reconnu samedi à Bangui l'envoyé spécial en RCA du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, l'ancien président malien Amadou Toumani Touré.

Interrogé par l'AFP, M. Toumani Touré a jugé "indispensable que le président (gabonais Omar) Bongo puisse organiser une conférence de l'Afrique centrale afin que les sous-entendus et les malentendus puissent être levés".

A relire : Un bilan du coup d'état du 28 juin 2001 et premier accroc avec la RDC (juin 2001)


Seti lâche Bemba
(L'Eveil, Kinshasa, 19 juin 2001
)

La tentative de putsch contre Ange-Félix Patassé (27-28 mai) n'a pas seulement démontré la fragilité de son régime. Le soutien libyen, et surtout, des rebelles Congolais de Jean-Pierre Bemba, donne à cette crise une portée régionale, apparaissant désormais clairement comme une pièce supplémentaire du conflit en Rdc.

Mais l'étonnement est venu de l'ancien président centrafricain, André Kolingba, pour son engagement dans une telle aventure, dans la mesure où, lors des soulèvements militaires de 96-97, celui-ci avait toujours tenu à marquer ses distances avec les mutins pour faire pièce à un président Patassé le soupçonnant d'en être le chef d'orchestre. L'opinion s'est interrogée sur les motivations profondes de Kolingba, trouvant du coup une issue que, s'étant, cette fois, engagé ouvertement, le coup allait réussir. Effectivement, Kolingba comptait sur les rebelles FLC (Front de libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba, et sur son beau-frère, Seti Yale, ancien conseiller spécial du maréchal Mobutu et plus grand financier de la rébellion de l'Equateur.

Les intérêts se croisant, Bemba a préféré Patassé à Kolingba, celui-là lui ayant été d'une grande utilité, surtout au début de la rébellion, dans l'approvisionnement en produits pétroliers et en armes. En effet, en 1997, Patassé avait d'abord pris fait et cause pour Laurent-Désiré Kabila, y voyant la constitution d'un axe Tripoli-Bangui-Kinshasa. Mais avec le début de la rébellion anti-Kabila en août 1998 et la présence des troupes de Bemba à la frontière, Patassé a changé de position. Selon le récent rapport des Nations Unies sur le pillage de ressources de la Rdc, la Rca est même une plaque tournante essentielle pour les activités "commerciales" de Bemba et son entourage: "Les amis de Jean-Pierre Bemba, les hommes d'affaires français, Jean-Yves Ollivier, Jean-Pierre Dupont et Jean-Pierre Saber ont tous utilisé Bangui comme base arrière pour leurs affaires de diamants et de café".

Le rapprochement Patassé-Bemba est d'autant plus une alliance de circonstance qu'elle est contre nature. Les troupes de ce dernier étant essentiellement composées de Ngbandi, "frères" des Yakomas. De sources françaises, Jean-Pierre Bemba, dont la position est de moins en moins confortable depuis l'annonce du retrait des troupes ougandaises de Rdc et l'avancée du processus de paix en Rdc, aurait décidé d'aider Patassé dans l'espoir de renforcer ce qui constitue aujourd'hui sa principale base arrière. Une position qu'il payerait toutefois par des divisions au sein de son mouvement à la suite des massacres perpétrés par la garde présidentielle. Des sources concordantes affirment que Seti n'a pas apprécié cet interventionnisme de son protégé qu'il lui aurait coupé les vivres. Ayant compris le danger, Bemba a néanmoins accepté de protéger, à Gbadolite, André Kolingba dont la tête est mise à prix (250 millions CFA) par Patassé.

L'Eveil du 19.06.2001


Le Président centrafricain passe aux aveux

Kinshasa, 19.06.2001 - L'opinion n'a pas encore fini de s'interroger sur les accointances entre le Chef de l'Etat centrafricain et le chef du mouvement rebelle congolais basé dans la province de l'Equateur.

La complicité entre Ange-Félix Patassé et Jean-Pierre Bemba est apparue au grand jour avec l'intervention fort controversée des rebelles du Mouvement pour la libération du Congo (Mlc) pour sauver le fauteuil menacé de Patassé.

Si Bemba Gombo a déjà fait entendre sa voix pour justifier cet état des choses, le Chef de l'Etat centrafricain vient seulement de passer aux aveux. Pour le gourou du Mlc, il s'agissait d'endiguer le mouvement migratoire des éléments armés susceptibles de déstabiliser la sous-région.

Quant à Patassé, les 300 à 500 rebelles congolais du Mlc ont débarqué à Bangui dans le cadre des relations de bon voisinage. Comprenne qui pourra ! Mais toujours est-il que Patassé, à défaut de confondre la politique de bon voisinage recommandée entre deux Etats, se considère comme un rebelle au pouvoir. Ainsi donc, c'est aisé qu'il traite aussi facilement avec une faction rebelle d'un pays voisin.

Comme quoi, Patassé a beau fournir des explications, se confondre en justifications, il s'est déjà brûlé les doigts, en ôtant brutalement le masque qu'il avait si bien porté jusque dans un passé récent. Ce qu'il ignore, ç'est que pareil comportement va se retourner contre lui, tôt ou tard.

Patassé accuse la France

Tenant à tout prix à se donner bonne conscience, le Chef de l'Etat centrafricain n'est pas allé par quatre chemins pour accuser la France d'avoir fourni des armes et des munitions à André Kolingba. Le pouvoir de Bangui persiste à dire que le putch manqué a été l'oeuvre de cet ancien Chef de l'Etat.

Entre-temps, le Gouvernement centrafricain qui déclare n'avoir aucune nouvelle de Kolingba, décline toute responsabilité à propos de l'exécution de deux proches de l'ancien Président.

LP, Le Palmarès du 19.06.2001


On recherche toujours le "soldat Kolingba"
(AFP, Bangui, 18 juin (AFP) - 17h39)

Trois semaines après le putsch avorté du 28 mai en République centrafricaine (RCA), on est toujours sans nouvelles de l'homme du coup de force, l'ancien président André Kolingba, dont la tête a été mise à prix par le régime d'Ange-Félix Patassé.

"Le soldat Kolingba", comme les autorités désignent désormais l'ex-général déclassé au rang de soldat de 2ème classe, s'est fondu dans la nature au cours de la semaine qui a suivi son dernier baroud.

La rumeur l'a dit réfugié dans sa ferme de Kembé, à environ 500 km à l'est de Bangui, à Gbadolite, le fief du rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, dont les troupes ont prêté main forte au régime de Bangui, ou encore en chemin vers Brazzaville.

Mais, pour les observateurs centrafricains, aucun de ces refuges ne paraît probable ou offrir des garanties suffisantes pour le fugitif auquel l'ambassade de France à Bangui a refusé l'asile, selon des sources officielles concordantes.

Son fief de Kembé est en effet quadrillé par l'armée. En novembre 1999, un commando armé y avait en outre tué six anciens mutins reconvertis en bandits de grand chemin lors d'une opération punitive restée gravée dans les mémoires.

Gbadolite, situé de l'autre côté du fleuve Oubangui, frontière naturelle de la RCA avec la RDC, apparaît également comme un refuge peu sûr, eu égard à l'intervention des rebelles congolais aux côtés des forces loyalistes.

Selon certaines sources, André Kolingba pourrait cependant y bénéficier de la protection du groupe ethnique Ngbandi, du défunt maréchal Mobutu, assimilé à l'ethnie yakoma de M. Kolingba. Le soutien du chef rebelle au président Patassé n'aurait pas été du goût de ces populations riveraines de l'Oubangui.

Le président centrafricain, qui a offert 25 millions de francs CFAde récompense pour la capture "mort ou vif" du "lâche", se refuse à toute indication sur sa localisation.

Mais certains proches et officiers centrafricains estiment que le militaire vieillissant, rongé par la maladie, qui vivait reclus dans des retraites spirituelles, n'a pu fuir très loin. Il serait toujours caché en brousse, près de Bangui.

Sa capture ou sa reddition arrangerait à plus d'un titre le régime, qui promet un "procès équitable".

Elle mettrait fin aux rumeurs de préparation d'une contre-attaque et persuaderait peut-être les officiers putschistes en fuite de rendre les armes, dont certains disent toujours "attendre des ordres de Kolingba", selon des sources militaires.

En attendant, le mystère continue d'entourer les motivations du général semi-retraité, propriétaire d'une centaine de titres fonciers à Bangui, où ses trois villas ont été rasées, même si l'aventure a avorté de peu, grâce aux renforts du MLC et de la Libye.

Personne n'a en particulier compris pourquoi il avait revendiqué la paternité du putsch deux jours plus tard en parlant d'"opération salutaire", alors que l'échec semblait consommé.

Ce faisant, il signait en outre aux yeux du régime sa culpabilité dans les mutineries de 1996-97, qu'il avait toujours contestée.

Selon un proche du président, M. Kolingba a toujours conservé "une volonté sourde d'en découdre avec Patassé". La réconciliation "arrachée aux forceps sous la pression de l'ONU" après les mutineries ne fut qu'un leurre. "L'abcès était toujours là".

"Nous venons de vivre le deuxième tour de l'élection présidentielle de 1999", remportée de justesse au premier tour par M. Patassé et dont M. Kolingba a toujours contesté les résultats, analyse pour sa part un observateur étranger.

Reste enfin à savoir si le vieux général, dont certains continuent à penser qu'il a pris le train du putsch en marche, a agi pour son seul compte, dans une région troublée par l'imbroglio congolais.

Fort de la découverte d'armes françaises à son domicile, le président Patassé dénonce l'intrusion des réseaux mercenaires français.

Les autorités ont par ailleurs évalué entre 8 à 10 millions de FF le coût de l'opération. Elles estiment que, malgré sa relative aisance, André Kolingba n'en avait pas les moyens.


Actualité Centrafrique - Dossier 5 | Actualité internationale et africaine 2