Les frères ennemis tentent de calmer le jeu après une journée sanglante. Et le cas Alassane Ouattare

 

Les frères ennemis tentent de calmer le jeu après une journée sanglante

Les deux partis politiques rivaux de Côte d'Ivoire ont tenté jeudi soir de calmer leurs militants après une journée d'affrontements entre leurs troupes sur fond de confrontation ethnico-religieuse qui a fait plusieurs dizaines de morts dans le pays.

Le secrétaire général-adjoint du Rassemblement des républicains (RDR nordiste libéral), Amadou Gon Coulibaly, et Lida Kouassi, conseiller pour la sécurité du Front populaire ivoirien (FPI - socialiste sudiste) ont appelé au calme sur les ondes de la télévision nationale à l'issue d'une réunion de concertation entre les deux partis.

Mais l'investiture officielle dans la soirée de Laurent Gbagbo à la présidence de la République par la cour suprême risquait de compromettre un retour au calme, les militants du RDR ayant à plusieurs reprises qualifié d'illégitime tant le scrutin présidentiel du 22 octobre que la victoire de M. Gbagbo.

Au moment de cette investiture, dans les locaux de la présidence conquise la veille par les manifestants, Alassane Ouattara, ancien premier ministre et dirigeant du RDR était toujours réfugié à la résidence de l'ambassadeur d'Allemagne, dans le quartier chic de Cocody, à Abidjan, où il avait trouvé abri après l'attaque de sa résidence dans la matinée par des gendarmes ralliés aux partisans du FPI.

Cette investiture met un terme à dix mois de régime militaire, sous la férule de la junte du général Robert Gueï dont on ignorait toujours où il s'était réfugié après avoir été chassé du pouvoir mercredi.

MM. Ouattara et Gbagbo se connaissent bien et ont longtemps co-dirigé le "Front républicain" réunissant depuis 1995 les opposants au régime du président Henri Konan Bédié, renversé par l'armée en décembre 1999.

Les militants du FPI, chrétiens et animistes, avaient mené jeudi matin une véritable chasse à leurs rivaux, principalement musulmans, qui a fait au moins 36 morts pour la seule ville d'Abidjan, où plusieurs mosquées ont été attaquées.

Le bilan des affrontements qui se sont déroulés dans d'autres grandes villes du pays, dont Gagnoa et Daloa dans le centre-ouest, s'élève à au moins quatre morts.

Le couvre-feu, qui devait être levé jeudi, a été prolongé jusqu'au 28 octobre, l'état d'urgence instauré et les forces de sécurité déployées sur l'ensemble du territoire, a annoncé le ministre de la Sécurité, le général Augustin Assaud Akawa.

Au plus fort des affrontements, qui ont pris jeudi des airs de guerre civile entre nordistes musulmans et militants sudistes, animistes ou chrétiens, la Commission nationale électorale avait fini par proclamer la victoire du socialiste Laurent Gbagbo.

Le FPI bénéficiait, depuis la veille, du soutien des forces de l'ordre et notamment de la très légaliste gendarmerie. Le leader du FPI avait en plus reçu mercredi l'allégeance du chef d'état-major des forces armées.

Les militants du RDR entendaient jeudi demander l'organisation d'un nouveau scrutin, leur candidat ayant été exclu du dernier vote par la cour suprême, acquise à la junte.

Le président sud-africain, Thabo Mbeki avait dès mercredi fait la même requête. Il a été suivi, jeudi, par le président en exercice de l'Organisation de l'unité africain (OUA) le togolais Gnassingbé Eyadéma, doyen des chefs d'état du continent, ainsi que par le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.

La France, ancienne puissance coloniale, a, par la voix de son ministère des affaires étrangères, demandé l'organisation d'élections législatives, semblant se satisfaire d'une présidence attribuée à Laurent Gbagbo, membre de l'Internationale socialiste et proche du parti socialiste français qui gouverne à Paris.

Les partisans de M. Ouattara estiment que l'élection de M. Gbagbo est "illégitime", du fait de l'exclusion de leur candidat et puisqu'elle n'a été acquise qu'au prix d'un taux d'abstention de l'ordre de 65%.

Alassane Ouattara, ancien premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, avait participé à la répression des opposants du FPI au début des années 1990.

Selon le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI qui avait été au pouvoir de 1960 jusqu'au coup d'état militaire de décembre 1999), comme d'ailleurs le FPI, M. Ouattara, d'origine burkinabè, n'est pas éligible à la présidence ivoirienne.

(AFP, Abidjan, 26 octobre 2000 - 21h08)

 

Alassane Ouattara, révélateur des crispations politiques ivoiriennes

Alassane Dramane Ouattara, 58 ans, qui s'est réfugié jeudi matin dans la résidence de l'ambassadeur d'Allemagne à Abidjan, cristallise depuis des années sur sa personne les plus forts clivages de la vie politique ivoirienne.

Ses ambitions présidentielles ont rencontré l'opposition d'une grande majorité de la classe politique, pouvoir et opposition confondus, mais ont aussi fait craindre une fracture ethno-religieuse du pays, entre le nord musulman et le sud animiste et chrétien.

Lui-même originaire du nord, il a fait la majorité de sa scolarité au Burkina Faso, avant de faire l'essentiel de sa carrière à l'étranger.

Parti aux Etats Unis, avec une bourse au titre du Burkina, il obtient en 1967 un doctorat en économie et entre au Fonds monétaire international (FMI) en 1968, puis en 1973 à la Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), dont il deviendra vice-gouverneur en janvier 1983. En 1984, il retourne au FMI où il occupe le poste de directeur du Département Afrique, avant de devenir en 1988 gouverneur de la BCEAO.

Il reconnaît lui-même avoir occupé plusieurs de ces postes au titre de la Haute Volta (actuel Burkina).

En 1990, le président Houphouët-Boigny, malade, l'appelle à Abidjan pour s'occuper de l'économie ivoirienne en crise.

Houphouët-Boigny lui crée le poste, sans précédent sous sa présidence, de Premier ministre. Ouattara mène une politique d'austérité et devient l'"homme des privatisations" qui donneront lieu à de premiers affrontements avec Henri Konan Bédié, alors président de l'assemblée nationale.

A la mort d'Houphouët, fin 1993, le "dauphin constitutionnel", Henri Konan Bédié, le soupçonne déja de convoiter son siège.

M. Ouattara retourne à Washington où il devient directeur général-ajoint du FMI. Ses partisans du courant "rénovateur" de l'ex-parti unique, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), forment le Rassemblement des Républicains (RDR).

Pressenti pour être candidat à la présidentielle de 1995, M. Ouattara renonce à se présenter. Le RDR, comme le FPI socialiste de Laurent Gbagbo, boycotte le scrutin, remporté par M. Bédié.

Dès lors, le camp Bédié va mener une guerre politico-juridique pour prouver l'inéligibilité de M. Ouattara, accusé d'être d'origine burkinabè.

En août 1999, il démissionne du FMI et revient à Abidjan pour se lancer dans la course à la présidentielle d'octobre 2000.

La tension monte entre les deux camps.

C'est dans ce contexte qu'a lieu le coup d'Etat de décembre 1999, portant au pouvoir le général Robert Gueï.

Au mois de mai, la lune de miel entamée avec la junte s'achève et le pouvoir militaire, soutenu par une partie de la classe politique, se lance à son tour dans la bataille contre l'éligibilité de M. Ouattara.

La nouvelle Constitution, adoptée par référendum fin juillet, semble taillée sur mesure pour l'éliminer de la course à la présidence, mais il appelle néanmoins ses partisans à voter "oui".

Le 6 octobre, comme prévu, le couperet tombe. M. Ouattara appelle ses partisans au calme, mais dénie par avance toute légitimité au scrutin.

Après l'immense mobilisation populaire du Front populaire ivoirien (FPI) du socialiste Laurent Gbagbo pour empêcher le "putsch électoral" du régime militaire, M. Ouattara décide le 25 octobre de lancer lui aussi ses partisans dans la rue pour réclamer un nouveau scrutin.

L'affaire tourne vite à l'affrontement rangé, avec des relents religieux, plusieurs mosquées étant la cible d'attaques.

M. Ouattara est marié, en deuxièmes noces, à une Française, Dominique Folloroux, PDG d'une grande société immobilière qui possède des agences en France et Côte d'Ivoire et a longtemps géré une part du patrimoine du "vieux" Houphouët-Boigny.

(AFP, Abidjan, jeudi 26 octobre 2000 - 14h34)


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