« IL NOUS APPARTIENT A NOUS CENTRAFRICAINS D’ABORD DE DEFENDRE NOS INTÉRÊTS » dixit JOSEPH YAKETE, CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE DE 2015

Publié par CENTRAFRIQUE LIBRE le 20 nov 2015

Joseph Yakété Un vent de changement souffle en RCA depuis que le politologue Joseph Yaketé a décidé d’ aller à la présidentielle de ce pays dont l’État s’est effondré depuis le 24 mars 2013.

Inconnu du grand public centrafricain,  non comptable de nombreuses années de la mauvaise gestion de la chose publique qui ont précipité ce pays dans un gouffre, le nom de Joseph Yaketé jugé intègre est actuellement au centre de tous les débats en Centrafrique. Cadre du parti socialiste français, ayant côtoyé de longue date François Hollande qui a préfacé son livre politique « Socialisme sans discriminations », YAjo comme ses partisans l’appellent rejette portant en bloc l’argument selon lequel, il serait mandaté par la gauche actuellement au pouvoir en France.

Ne maniant pas la langue de bois comme on l’observe souvent chez les politiciens en RCA, Docteur Yaketé a osé évoquer les accords de 1960 entre la France et son pays et a rendu responsables, les dirigeants centrafricains qui n’ont pas su négocier dans la transparence et dans l’intérêt du peuple centrafricain les contrats miniers. Joseph Yaketé répond à nos questions.

Bonjour M. Yaketé vous rentrez de Bangui où vous aviez déclaré votre candidature à la présidentielle de 2015, quelles bonnes nouvelles avez-vous pour nos lecteurs ?

Bonjour Monsieur les bonnes nouvelles oui, la bonne nouvelle que le peuple centrafricain a eue, c’est qu’il y a un vent de changement qui a commencé a soufflé avec ma déclaration de candidature. Mais la situation du pays est dramatique. La situation est grave, le peuple centrafricain a beaucoup souffert, il a saigné, c’est un peuple blessé, humilié. J’ai un devoir en tant que homme politique, c’est de lui faire retrouver son honneur, sa dignité et je m’y engage à travers le projet que j’ai à lui soumettre, ce projet qui touche tous les secteurs de l’État sous forme de réformes.

Pourquoi avez-vous attendu aussi longtemps avant de vous lancer dans cette course de la dernière chance pour votre pays ?

J’ai attendu jusqu’au dernier moment parce que je ne voulais pas faire comme beaucoup de ces personnes qui dès le début de la transition avaient déjà déclaré leur candidature. Sachant qu’elle était prévue pour 6 mois, je n’avais pas de projets à présenter au peuple centrafricain, et je ne veux pas mentir à ce peuple. C’est pour cela que je me suis présenté presque en dernier. C’est tout simplement parce qu’il me fallait travailler sur un programme de gouvernement. Un programme qui soit crédible, qui soit adapté au besoin de mon peuple, qui soit réaliste pour le peuple centrafricain, et à partir de là travailler sur les mécanismes de leur mise en application et aller à la recherche des partenaires. Et  là maintenant je me sens prêt pour me présenter, et là au moins, je pourrais dire la vérité au peuple centrafricain, parce qu’on a beaucoup menti à ce peuple et nous avons vu le résultat que cela a donné.

Que diriez à vous à vos détracteurs où à tous ceux qui diront que vous n’étiez pas avec ce peuple durant les moments difficiles et que vous veniez solliciter son suffrage juste pour le pouvoir et rien que le pouvoir ?

Si j’étais intéressé par le pouvoir, je ne me serais pas comporté comme cela. J’aurais déclaré ma candidature comme beaucoup l’ont fait et la présence sur le terrain c’est une chose ; mais présenter un projet au peuple centrafricain, c’est en autre chose. Et je me permets de le dire, vous parlez des détracteurs, mais s’il y en a, je leur dit : qu’est ce qui est important d’être sur le terrain ou présenter quelque chose qui soit une solution pour la crise centrafricaine.

Moi, j’opte pour la deuxième solution et n’oubliez pas que lorsqu’il y avait la crise sous Bokassa où il y a eu des coups de Canon où il y a eu des morts, j’étais aussi présent en Centrafrique, mais je n’étais pas en position de sortir le pays de l’ornière.

Aujourd’hui beaucoup de mes détracteurs s’il y en a, moi je vais vous dire une chose. La question fondamentale n’est pas de dire, étiez-vous sur le terrain pendant que les choses se faisaient et on peut être sur le terrain et ne rien proposé au peuple centrafricain. On peut être sur le terrain et ne pas avoir les solutions.

Exaspérés par les tueries de la Séléka, les centrafricains ont fait appel à la France. Aujourd’hui, ils sont majoritairement déçus de la Sangaris, et accusent parfois ce pays. Ils considèrent les politiciens de leur pays comme des marionnettes à la solde de la France. En tant qu’élu, cadre du parti socialiste français, n’aviez-vous pas peur que vos compatriotes centrafricains vous mettent dans le même sac ?

Les centrafricains ont le droit de porter leur jugement. C’est un peuple libre, un peuple digne, un peuple qui se respecte et qui a de la lucidité dans tout ce qu’il fait.

Maintenant dire que c’est la France qui est derrière tout ce qui se passe dans notre pays, quelque part je crois que c’est un raccourci. Je vais vous dire pourquoi. Je suis socialiste et je ne m’en cache pas. J’ai été un élu socialiste en France, j’ai demandé le suffrage des français, ils ont voté pour moi, j’ai été élu en France. Je sais une chose c’est qu’il nous appartient à nous centrafricains d’abord de défendre nos propres intérêts, c’est une réalité car je suis témoins de beaucoup de choses. Nous en Afrique ou en Centrafrique il y a un problème lorsqu’il s’agit de défendre nos propres intérêts.

Et c’est trop facile d’accuser à chaque fois le voisin et dire que la France a fait ceci, la France a fait cela. Moi, ayant vécu et fait de la politique en France, je crois que ce pays serait bien content et heureux que la RCA soit forte, qu’elle ne soit pas un poids pour la France puisqu’elle est elle-même confrontée à beaucoup de défis au niveau européen, au niveau mondial, pour garder sa place, son rang au sein des grandes puissances. Une RCA forte, des pays africains francophones forts, çà ne peut qu’être qu’une joie pour la France, une solution pour elle pour être forte dans l’Europe et le monde.

Vous dites que ce sont les centrafricains qui ne savent pas défendre leurs intérêts. Durant la crise, des leaders centrafricains étaient incapables de répondre aux dirigeants français sur les plateaux des télévisions françaises. Ces derniers affirmaient que la France intervient en RCA, un pays pauvre parmi les pauvres. Et pourtant ce pays est victime d’un scandale géologique à l’origine de ses déboires, votre avis s’il vous plait ?

Lorsqu’il y a eu le conflit centrafricain, d’ailleurs je tiens à remercier la France car les autres pays européens ne se battaient pas pour aller mettre fin aux tueries. La France au nom de l’amitié qu’elle a toujours liée avec la RCA s’est levée pour aller stopper ce qui n’était qu’une autre chose qu’un génocide et c’est le peuple centrafricain qui lui avait crié au secours. L’ONU l’a mandatée pour intervenir à travers l’opération Sangaris pour mettre fin à ce début de génocide et je l’en remercie.

Maintenant dire que la France est partie là-bas pour nos richesses, la France n’a pas besoin de créer une guerre pour exploiter les richesses de ce pays. Elle peut le faire en période de paix, il nous appartient à nous centrafricains au vu des accords que nous avons eus avec la France ; les accords de 1960 qui ont été signés par nos premiers chefs d’État de renégocier. Il nous appartient aujourd’hui en homme politique responsable de négocier notre part, de défendre notre part pour que nous ne puissions pas vivre avec des miettes. Quand je suis allé faire ma déclaration en RCA, j’ai vu mon pays, je ne l’ai pas reconnu. Le pays est tellement tombé bas, la misère ça s’écrit avec un grand M majuscule, et pourtant je vais vous dire à l’indépendance, la RCA était la première puissance économique de la sous-région devant le Cameroun. Comment nous en sommes arrivés là ? C’est la RCA qui exportait ces meilleurs spécimen de café et de cacao vers la Côte d’Ivoire qui est devenue aujourd’hui une des puissances mondiales qui exportent ces matières premières.

Au vu de la situation chaotique de la RCA, on a l’impression que la classe politique n’existe que de nom. Vous voulez dire que tous les politiques qui sont sur le terrain notamment ceux qui ont  chassé  Bozizé ont tous échoué ?

Je n’ai pas besoin de le dire vous savez je suis un homme neutre, je n’ai pas à porter un jugement sur ce qui s’est passé, mais je sais une chose, c’est qu’il y a un échec puisque nous sommes arrivés au fond du gouffre. Il a été dit au conseil de sécurité de l’ONU que l’État n’existe plus. Comment on est on arrivé là ? Peut-on dire que c’est une victoire que l’État centrafricain n’existe plus ? Non, ce n’est pas une victoire, c’est un échec. Et dans ce sens, tenons compte de ce qui a été dit au conseil de sécurité de l’ONU. Je pense qu’en tant que homme politique responsable, je dois prendre conscience que l’État n’existe plus et qu’il va falloir le rebâtir, voilà en quoi je m’engage.

Devons-nous retenir d’après vous que la RCA souffre d’un problème chronique de gestion  de la chose publique plutôt que de l’ingérence constante de l’ancien pays colonisateur ?

Vous savez en termes de responsabilité il y a deux choix : soit c’est le peuple centrafricain qui a mis le pays en faillite ou c’est ceux qui l’ont dirigé qui l’ont mis dans cet état. Il n’y a pas mille choix. Si vous voulez mon avis là-dessus, je pense qu’une bonne gestion de ressources d’un pays en développement est accompagnée de bons accords acquis grâce aux bons négociateurs afin de défendre ses intérêts.

Voilà ce qui peut nous amener à un réel développement si quelque part dans l’un des processus que je viens d’annoncer. S’il y’ a quelque chose qui ne tient pas, cela va inévitablement nous tirer vers le bas, nous amener dans la pauvreté. Il faut des hommes politiques responsables qui ne privilégient pas seulement l’éthique de la conviction mais qui mettent en avant l’éthique de la responsabilité.

Que dites-vous à tous ceux qui pensent que vous êtes le candidat de la France ?

Je ne suis pas mandaté par la France et si c’était le cas, j’aurais demandé le suffrage des français. Ce ne sont pas les français qui vont aller voter  pour moi  en Centrafrique. Il m’est arrivé dans ma vie de solliciter le suffrage des français. Ils avaient voté pour moi, ils m’avaient fait confiance, mais maintenant je vais devant le peuple de mon pays d’origine pour demander son suffrage parce que je sais que ce peuple a souffert, j’en suis témoins.

Justement c’est l’occasion de lever l’équivoque sur le terme du candidat de la Gauche présidentielle qui a choqué un bon nombre de vos potentiels électeurs ?

Je suis un homme de gauche. C’est quoi la Gauche ? C’est la défense des intérêts des classes qui sont pauvres s’il faut parler terre à terre. C’est la défense des intérêts des pauvres. Aujourd’hui en RCA même un fonctionnaire est pauvre. Quelqu’un qui travaille et qui n’est pas payé depuis plusieurs mois ou plusieurs années n’a pas de pouvoir d’achat, il s’appauvrit. Et les pauvres en RCA représentent 90% de la population voire plus, tout simplement parce qu’une petite poignée des hommes politiques ou des affairistes détiennent 90% des richesses de ce pays. Le reste, ce sont des pauvres. C’est comme cela qu’il faut nommer les choses. Il ne faut pas avoir honte de le dire.

Et moi je suis venu défendre les intérêts de ces 90% des centrafricains qui sont des pauvres. L’un des objectifs de quelqu’un qui se dit de gauche, c’est d’arriver à faire la redistribution des richesses.

Vous voulez donc être le pionnier de la politique des courants de pensées en RCA ?

Oui c’est vrai, on n’arrive pas à distinguer les courants de pensée politique dans mon pays. J’ai vu beaucoup de choses en France. Il y a des gens en Afrique qui sont de gauche quand le président français est de gauche et qui deviennent de droite quand le président est de droite.

Vous avez toujours été de gauche ?

En France je suis un élu de gauche, un élu socialiste. Ce n’est pas pour rien que j’ai créé l’Union de la Gauche pour la Présidentielle Centrafricaine, c’est parce que je veux apporter une clarification et ceux qui disent qu’il n’y a pas de droite et de gauche en RCA, c’est faux. Je le dis pour que les centrafricains le comprennent. Il y a une petite poignée de personnes qui détiennent toutes les richesses du pays. Ceux-là ce sont des capitalistes. Certains hommes politiques centrafricains quand ils viennent en France, ils font des réunions avec des capitalistes, des gens qui détiennent les pouvoirs financiers. Les 90% de la population comme je l’ai tantôt dit sont des pauvres, ce sont des gens qui sont à gauche et je m’engage à être rigoureux pour faire en sorte que les richesses de mon pays soient redistribuées à cette majorité de la population, voilà ce qui fait de moi un homme de gauche. (A suivre)

Interview réalisée par Wilfried Maurice SEBIRO