Burundi
: qu’est-ce que l’ingoma, classé au patrimoine immatériel de l’Unesco
?
15 juin 2015 à 14h00 - Par Cécile Manciaux - jeuneafrique.com
Les
Burundais ont gagné la bataille de l'ingoma. Depuis la fin de 2014, leur célèbre
danse rituelle est inscrite au patrimoine immatériel de l'Unesco. À eux de faire
respecter la tradition.
Après
quatre ans d’un intense combat diplomatique mené par le ministère de la
Jeunesse, des Sports et de la Culture, la danse rituelle au tambour royal du Burundi
a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de
l’Unesco le 27 novembre 2014. Une immense fierté pour le
pays, même si, en pratique, la préservation de ce patrimoine se révèle
difficile.
Car
le gouvernement souhaite non seulement promouvoir l’instrument à l’intérieur du
pays et à l’étranger, mais aussi protéger son identité et son caractère sacré.
Une dimension qu’il avait quelque peu perdue au fil du temps, notamment auprès
de la jeunesse. À l’origine, l’ingoma – qui signifie à la fois
« tambour » et « royaume » en kirundi -, symbole du
pouvoir et de l’unité de la nation, n’était battu que par les tambourinaires
ritualistes, à la cour royale ou à celles des princes.
« On
le battait le matin pour réglementer les activités de la journée et montrer que
le roi était bien réveillé et au travail. Même chose le soir, pour sonner la fin
de la journée, l’arrêt des activités champêtres et le début de la soirée »,
précise l’étiquette de la dynastie Ganwa. Le tambour résonnait également pour
annoncer un événement, comme le sacre ou les funérailles d’un souverain et, à la
fin de chaque année, pour les cérémonies de l’umuganuro, la fête des semailles
du sorgho, qui marquaient le début de la campagne
agricole.
Invités
de marque
Depuis
l’avènement de la République, l’ingoma n’est plus royal, mais reste sacré, tout
comme les rituels qui lui sont liés. À la fois respecté et populaire,
l’instrument n’est censé battre que pour la nation, notamment lors des
célébrations de l’indépendance ou pour accueillir des invités de marque.
Pourtant, depuis quelque temps, des groupes vendent leurs services pour
agrémenter mariages ou fêtes de famille.
Au
grand dam des tambourinaires. Pour ces derniers, l’apprentissage de l’instrument
et de la danse doit évidemment être encouragé, en particulier auprès des jeunes.
En revanche, les représentations officielles des tambourinaires doivent être
redéfinies et justifiées uniquement par des événements d’importance pour la
nation ou les communautés locales.
Le
gouvernement s’attelle donc à mieux faire respecter les règlements qui encadrent
l’utilisation de l’instrument, aussi bien au Burundi qu’à l’étranger. Ainsi, la
sortie des tambours hors du pays reste soumise à une autorisation officielle. Et
plus question de laisser jouer n’importe quel groupe, à tout bout de champ,
n’importe où. Seuls les orchestres reconnus ont droit de battre tambour lors des
cérémonies nationales ou pour de grands événements.
Enfin,
même si la société burundaise accorde désormais des responsabilités aux femmes,
la fonction de tambourinaire reste l’apanage des hommes.
Héritage
Pour
veiller sur le patrimoine et perpétuer la tradition ingoma, l’État renforce par
ailleurs ses actions de restauration et de protection des sites historiques, à
commencer par le sanctuaire des tambours sacrés de
Gishora.
Situé
dans la première cour du domaine royal, au sommet de la colline de Gishora,
près de Gitega (à 100 km de Bujumbura), ce sanctuaire est placé sous la
tutelle du ministère de la Culture et géré par les batimbos, descendants des
familles ritualistes de la région, qui non seulement jouent, mais fabriquent les
instruments.
Antime
Baranshakaje, gardien du sanctuaire (et de ses deux derniers tambours royaux),
se félicite de la reconnaissance de la tradition ingoma par l’Unesco et des
décisions prises par le gouvernement. « C’est le couronnement de toute une
vie », s’émeut le vieux tambourinaire. À plus de 80 ans, il est chargé
de transmettre l’héritage aux jeunes générations et de « veiller à ce que
les tambours retrouvent leur noblesse d’antan ».
Depuis
quelques mois, celle-ci lui semble à nouveau perceptible. L’État envisage même
de protéger l’umuvugangoma (Cordia africana), l’arbre utilisé traditionnellement
pour la fabrication des fûts de tambour, et qui les fait bourdonner de façon si
particulière. De jeunes plants ont récemment été découverts à Bujumbura et le
gouvernement voudrait engager des programmes de recherche pour assurer la
pérennité de cette essence. Et, avec elle, le savoir-faire et l’art des
tambourinaires.
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Code
et cadences
La
tradition ingoma obéit à des rythmes et à des gestes très codifiés. Le tambour
ne peut être battu – ni même touché – que par des hommes, avec deux
baguettes (imirisho en kirundi). Chaque groupe compte au moins 9 à
11 tambourinaires, toujours en nombre impair, dont un enfant ou un
adolescent, afin de perpétuer le savoir ingoma. Ils jouent pieds nus et disposés
en arc de cercle autour d’un tambour central (inkiránya), qui donne la cadence.
La danse rituelle au tambour royal (umurisho w’íngoma), à laquelle peuvent
participer des femmes, associe le battement des tambours à de la poésie
héroïque, des chants traditionnels et des chorégraphies, individuelles ou
collectives, utilisant des gestes précis et des figures parfois acrobatiques.
Les tambours rejoignent et quittent le lieu de la danse sur la tête des
percussionnistes, posés sur un coussin. Une fois le spectacle commencé, certains
sont battus sur un rythme continu, tandis que les autres suivent la cadence
ordonnée par le tambour central, duquel s’approchent ensuite alternativement les
tambourinaires, seuls ou par groupe de deux ou trois, pour exécuter leur danse
au rythme du groupe. Ces chorégraphies spectaculaires et pleines de rigueur, le
son puissant et le rythme impétueux des percussions (qui sont censés réveiller
les esprits des ancêtres et chasser les esprits maléfiques) soudent la
communauté. La danse rituelle au tambour royal se pratique aujourd’hui dans
toutes les communes du pays, dans les écoles et les établissements
d’enseignement supérieur. Les groupes célèbres se rencontrent surtout dans le
centre du pays, en particulier près des sanctuaires de Gishora, Mugera, Higiro
et Makébuko. L’État organise régulièrement des concours de danse, pendant
lesquels sont sélectionnés les meilleurs groupes de tambourinaires, ceux qui
participent aux célébrations et manifestations culturelles organisées dans le
pays et sont envoyés aux quatre coins du monde pour le
représenter.
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