Centrafrique : la stratégie du tournesol

 

Carte ancienne Oubangui-Chari

 

1 - Le poids des mots, le choc des photos

      Ce 10 juillet 2025, l'image est saisissante : l'accolade entre le président Touadéra et le chef rebelle Ali Darrassa. Elle parachève l'accord de paix scellé le 19 avril 2025, au Tchad, entre le chef d'état-major des forces armées centrafricaines (FACA) et les responsables des groupes armés peulhs de l'UPC et des 3-R, Ali Darrassa et Sembé Bobo, arrivés à Bangui sous escorte tchadienne.

Cette embrassade a un précédent : le 6 février 2019, les deux hommes, Touadéra et Darrassa, étaient tombés dans les bras, l'un de l'autre, pour saluer l'accord politique pour la paix et la réconciliation (APPR) de Khartoum, et tourner la page des conflits, en échange de l'entrée au gouvernement centrafricain du nommé Hassan Bouba, lieutenant d'Ali Darrassa.

Pourtant, quelques mois plus tard les groupes armés reprenaient leurs exactions et violences criminelles. Ali Darrassa fait comprendre aujourd'hui que les accords de 2019 ne lui convenaient pas, alors qu'il les a signés sous l'égide des autorités du Soudan, appuyées par la Russie et confortées par l'ONU, l'Union européenne et l'Union africaine !

 

En ce 10 juillet 2025, les mots qui accompagnent ces images ont leur poids, si on s'en tient aux déclamations du chef de l'Etat centrafricain : « la paix se construit par l'inclusion et la justice » !

Il se trouve hélas que la justice n'a rien à faire à l'affaire...

Le chef rebelle, lui, a ânonné un discours incompréhensible, ayant du mal à lire ses notes en français !

En contrepartie de cet acte de paix, quatre adjoints aux chefs des groupes armés UPC et 3-R font leurs entée comme ministre conseiller, deux au cabinet du président de la République et deux à la Primature (1).

 

2 – La stratégie du tournesol

     Le tournesol est une grande plante annuelle de type hélianthe, dont la caractéristique principale réside dans son héliotropisme, c’est-à-dire sa capacité à rechercher la lumière, à se tourner vers le soleil (2).

La stratégie du tournesol, en la circonstance politique actuelle de la RCA, se traduit par la capacité de ce pays à se tourner vers d’autres Etats pour trouver des solutions à ses problèmes internes (3 les différentes sollicitations).

En signant l’accord du 10 juillet 2025, M. Touadéra, qui se prépare à être candidat pour un troisième mandat, renoue avec une stratégie qui, de son point de vue, le préserve de tout risque insurrectionnel.

Cependant, cette stratégie s’inscrit à court terme. En effet, la constitution du 30 août 2023 prescrit d’écarter les binationaux et les citoyens non Centrafricains d’origine de toute candidature aux élections présidentielles d’une part, et interdit à ces deux catégories de population d’accéder à tout poste dans la haute fonction publique et militaire (4).

 

3 – Pourquoi le Tchad 

     Ce n’est pas la première fois que la Tchad intervient dans les problèmes intérieurs centrafricains, en tant qu’acteur direct ou en qualité de médiateur. Cela a été le cas lorsque, en 2003, le Tchad du président Idriss Deby Itno, a appuyé l’insurrection militaire du général François Bozizé contre le président centrafricain Ange Félix Patassé, en fournissant à celui-là des mercenaires peulhs, appelés « libérateurs », pour renverser celui-ci. Il s’agissait pour le président tchadien de sanctionner les velléités du président Patassé, déçu de ne pas avoir été choisi par la France pour remplacer l’empereur Bokassa, de créer une République indépendante du Logone (5).

En arrivant au pouvoir comme président de la République centrafricaine en 2005, François Bozizé a accordé la nationalité centrafricains à tous ces hors-la-loi, dont le nommé Ali Darrassa au pouvoir, après une transition de deux ans. N’ayant pas réussi à s’incruster au pouvoir comme ils l’espéraient, ces derniers se sont retournés contre l’ingrat en créant les groupes armés qui vont constituer l’alliance Séléka et renverser le président Bozizé et son Premier ministre … Faustin-Archange Touadéra (2013). Face aux exactions commises par la Séléka, créant une situation « pré-génocidaire », le Tchad a dû retirer ses éléments militaires qui composaient les contingents de la Binuca (Bureau intégré des Nations unies en Centrafrique), accusés de connivence avec les groupes armés, après la mise en place de l’opération Sangaris par la France, et de la Minusca par l’ONU.

 

4 – Une histoire coloniale française mal digérée

     L’histoire commence dans les années 1890 lors de la conquête de l’Oubangui-Chari par l’embouchure du fleuve Congo, et du Tchad depuis la côte ouest du continent. Le Tchad et la RCA sont comme deux frères siamois. En effet, pendant la colonisation française, les deux pays constituaient un seul territoire administré par le gouverneur général Félix Eboué.

De 19O6 à 1910, la colonie est une circonscription du Congo français, avec pour chef-lieu Fort-de-Possel, avant que le chef-lieu ne soit transféré à Bangui par un décret du 11 décembre 1906. La colonie devient autonome en 1915 et le reste jusqu’en 1920, avant que le territoire soit séparé en deux régions autonomes. En 1935, la région de l’Oubangui-Chari est constituée par six départements, dont deux sont situés sur le sud-ouest de l’actuel Tchad :

-          La Logone, dont le chef-lieu est Moundou (Bongor, Doba, Laï, Kela, Léré et Manga) ;

-          Le Chari-Bangoura, dont le chef-lieu est Fort-Archambault (Koumra, Moïssala et Ndele).

En 1938, prenant conscience de la déperdition de la population de la colonie du Tchad, provoquée par les morts du chantier du chemin de fer Congo-Océan, l’administration coloniale va séparer les deux départements ci-dessus de l’Oubangui-Chari et les accoler au Tchad, donnant une base économique (grenier à mil) à ce territoire aride.

C’est en prenant en compte ces « fantaisies » de l’administration coloniale française que Barthélémy Boganda plaida pour la création de l’Union des Républiques d’Afrique centrale en 1958 (6). On retiendra simplement, à ce niveau, que la charte de l’Unité africaine de 1963 entérine « l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme » (7).

 

5 – Vers un dépassement de la stratégie du tournesol

     Au plan symbolique, le tournesol se tourne vers la lumière pour chercher l’illumination, la spiritualité et le développement personnel, lorsqu’il s’agit d’une personne.

Au plan botanique, le tournesol est « une plante mellifère majeure pour les apiculteurs », source importante de nectar entrant dans la constitution du miel.

Au plan politique, en Centrafrique, les apiculteurs sont au pouvoir et leur « tournesol », qui est l’aide internationale, est source de richesses matérielles et d’enrichissement personnel : voilà pourquoi les deux ministres conseillers nommés à la présidence sont chargés respectivement de l’élevage et du commerce ; l’élevage parce que depuis le président François Bozizé et Antoine Gambi, son ministre de l’intérieur, le bétail est source de revenus, d’où les conflits avec les éleveurs peulhs (8). Il en va de même, sous le président Touadéra, où la première dame exerce une concurrence déloyale sur le marché de la transhumance et de l’abattage des bœufs ! L’acte de paix du 10 juillet 2025 est une entente commerciale, doublée d’un accord politique et militaire (9).

En l’occurrence, la République centrafricaine n’est pas un pays libre ; parce qu’elle n’inspire ni la crainte ni la puissance, étant sous tutelle de l’ONU et troupes étrangères.

Raison pour laquelle, il faut militer pour le non renouvellement du mandat de la Minusca, qui arrive à échéance en novembre 2025, et exiger le départ des troupes sous accords bilatéraux !

 

Paris, le 19 juillet 2025

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international

 

Post-scriptum (qui n’a rien à voir) : Les 25 et 26 juillet prochains, le Mouvement des Cœurs Unis, le parti du président Touadéra, organise une assemblée ordinaire. Parmi les congressistes convoqués, une quarantaine de ministres ont contribué à hauteur d’un million de francs CFA chacun (une qui se veut anonyme mais dont devine sans peine l’identité a porté son soutien à 10 millions CFA), portant l’ensemble du budget à 108 470 000 francs CFA, dont 66 470 000 en liquide ! Dans un pays où le salaire de base est de 18 000 francs CFA, on en déduit que ces contributions relèvent plus budget de l’Etat, que d’apports personnels. A l’issue de cette réunion, sans doute le président sortant sera désigné par acclamation candidat du parti et on connaîtra alors son intérimaire en cas de pépin ; il suffit de regarder qui est le père ou l’époux de la favorite du moment…

 

(1)   – Les nommés sont : Issa Bi Amadou, ministre conseiller (Elevage) et Idriss Amadou, ministre conseiller (Commerce), au Cabinet de la présidence de la République ; MM. Abdramane Boubacar Jagno, ministre conseiller (suivi  et évaluation de la feuille de route de Ndjamena) et Aldoul Aziz Phesal, ministre conseiller (suivi et évaluation de la feuille de route de Luanda), au Cabinet de la Primature.

(2)   – Il semble que ce ne soit pas la fleur qui se déplace mais la tige qui pousse de manière inégale.

(3)   – Entre 1990 et 2013, le Centrafrique a connu plusieurs médiateurs dont les principaux sont : le président Omar Bongo du Gabon ; le général Amadou Toumani Touré, président du Mali ; le major-général Pierre Buyoya, ancien président du Burundi ; le président Denis Sassou Nguesso de la République du Congo ; le président Oumar El Béchir du Soudan, avec l’implication active de la Russie ; le groupe international de suivi RCA (GIS-RCA) composé de l’Angola, Tchad, Congo, RDC, Union africaine (commission Paix et sécurité) et pays des Grands lacs (CIRGL) pour la feuille de route de Luanda ; etc. L’acte de paix de Ndjamena est le dixième accord du genre !

(4)   – cf. Article 67 de la constitution du 30 août 2023.

(5)   – M. Patassé qui est né en 1937 à Paoua (Oubangui-Chari) n’a pas oublié que son grand-père Ngakoutou était chef du village éponyme, alors que la région de la Logone relevait du territoire de l’Oubangui-Chari, actuelle RCA.

(6)   – Il convient de signaler qu’en 1972, prenant acte des mécanismes défavorables du franc CFA dans le cadre de l’Union douanière et économique en Afrique centrale (UDEAC), les présidents Tombalbaye du Tchad et Bokassa de la RCA, ont quitté cette union pour former avec le Zaïre du président Mobutu, l’Union économique en Afrique centrale, dans le cadre de la politique de l’authenticité, laquelle a rencontré l’hostilité farouche de la France et de l’occident en général, ce qui a conduit à l’assassinat du président Tombalbaye en 1973 (coup d’Etat du général Félix Malloum), à la chute de Mobutu en 1974 (arrivée au pouvoir de Désiré Kabila avec le concours du Rwanda) et à la tentative de coup d’Etat de 1976 contre Jean-Bedel Bokassa, qui sera renversé par la France en septembre 1979 (Opération Barracuda).

(7)   – Sur la question des frontières de la République centrafricaine, on se rapportera aux travaux d’Yves Boulvert. Ainsi, il découvrit que le secteur situé au Nord-Est de Sido, frontalier avec le Tchad, n’était pas administré. En longeant le côté sud de la rivière Sarh, théoriquement frontière, et en parvenant à Maikouma, localité centrale de l’ethnie Lutos, il constata que ce secteur était administré par le Tchad depuis l’indépendance. On était en 1966 ! En revenant à Bangui, il fit la remarque de cette situation à Ange Félix Patassé, alors ministre du développement. Ce dernier le rassura : « Ne vous tracassez pas, nous avons une commission mixte centrafricano-tchadienne qui se réunit chaque année pour les petites querelles de voisinage » ! Le problème dure toujours … à ce jour. Il en va de même en 1977 lorsqu’il voulut découvrir les sources de la rivière Mbomou. Il remarqua que « la route stratégique » construite par le Soudan, avait été aménagée sur le territoire centrafricain. Signalant cette particularité au ministre des affaires étrangères de l’époque, ce dernier rétorqua : « Ce ne sont pas vos affaires » et lui raccrocha au nez ! La même situation se retrouve au Nord-Ouest du pays, autour des chutes de Lancrenon. On ne peut y aller directement depuis la RCA ; il faut passer par le Cameroun, etc.

(8)   – Prosper Indo : Le bétail est de l’argent. Inédit, 13 novembre 2016, Sangonet.com

(9)   – L’aspect militaire se traduit par l’adoption, le 17 juillet 2025, du décret n° 25.272, portant organisation et fonctionnement des forces armées centrafricains.

 

 

Centrafrique : la stratégie du tournesol. Par Prosper Indo