Des sicaires et autres faux dévots en Centrafrique

1 – Le faux dévot
L'image vidéo est saisissante. On y voit le président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra s'agenouiller sur un tapis et, au-dessus de lui, une dizaine d'officiants aux crânes rasés, tous des hommes, debout, les bras tendus comme pour un baptême. Hélas, il s’agit d’une confession publique, une supplication :
« Aujourd'hui, je m'agenouille non pas en faiblesse mais en foi. En tant que président de la République centrafricaine, je demande humblement aux hommes et femmes de Dieu de prier pour moi,... etc.
Les micros se tendent et on entend l'un des officiants, sans doute le pasteur de l'église, psalmodier des incantations en Sango, comme on récite un bréviaire. Le président d'une République laïque, au sens de l’article 1er de la constitution du 30 août 2023, se met ainsi en scène dans la posture, peu catholique, d'un criminel réclamant l'absolution. (1)

2 – La conjuration des sicaires
Pendant que le chef de l'Etat se prosterne et prétend s'humilier devant Dieu et les hommes, comme tous les faux dévots, ses sicaires font le sale boulot ! On se souvient de l'emprisonnement du député Dominique Yandocka, accusé d'atteinte à la sûreté de l'Etat, qui s'en est sorti miraculeusement avec une claudication de la jambe comme séquelles de ses mauvais traitements.
Puis ce fut au tour de l'avocat Maître Crépin Mboli-Goumba, poursuivi pour outrages à magistrat, d'être condamné à une amende astronomique, dont il fut libéré grâce aux rebuffades des avocats du barreau national de Bangui.
Récemment encore, on assista à la mise en scène macabre de l'exécution de l'ex-officier Armel Sayo, extradé depuis le Cameroun pour atteinte à la sûreté de l'Etat et tentative de déstabilisation du régime de Bangui. Après maintes pressions de la France, dont il a la nationalité, et du Cameroun qui a signé l'acte d'extradition, le porte-parole du gouvernement fut contraint de taire ses palinodies et le pouvoir dut le présenter à un juge pour une inculpation officielle.
Enfin, alors que l'ancien premier ministre Henri-Marie Dondra lançait publiquement, dès mai 2025, faire acte de candidature aux élections présidentielles, ces petits frères sont inquiétés, poursuivis et écroués pour une hypothétique tentative d'empoisonnement du chef de l'Etat ! La plainte sera déposée, postérieurement à l’acte d’inculpation, par le nommé Euloge Doctrouvé Koi, le biographe officiel du président Touadéra !
Depuis cette date, les hommes de main, les tueurs à gages et autres chasseurs de primes du pouvoir, sont à l'œuvre. Tout est fait pour dissuader et intimider ; aussi bien les leaders de l'opposition démocratique, réunis au sein du bloc républicain de défense de la constitution (BRDC) que les influençeurs ou activistes, établis à l'étranger, qui critiquent ouvertement le régime de Bangui. La conjuration des sicaires du président Touadéra s’est mis en ordre marche depuis longtemps (2).

3 – Une mascarade électorale aux contours déjà figés
Au premier rang des sicaires du pouvoir, le juge Martial Nana Bini a lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre des activistes centrafricains de la diaspora : en Allemagne, c'est le cas du nommé Jean-Baptiste Sauveur Sado (alias général Vaouwan), actuellement en détention préventive ; au Bénin, c’est le cas de Serge Mathurin Mbaïkassi-Tonzeratou, interpellé à Cotonou et sommé par les autorités locales à interrompre ses activités ; en France, il s'agit du nommé Rodrigue Joseph Prudence Mayté, président de l'association « Les 12 Apôtres », dont la tête est mise à prix pour une pléiade d'incriminations, mais on voit mal la justice française y donner suite, tant ces éléments de poursuite sont fantaisistes et relèvent de la liberté d'expression et de la libre opinion (3).
Sur place à Bangui, on assiste aux manœuvres d'instrumentalisation et d'intimidation du pouvoir pour éliminer les différents leaders d’opposition ou les candidats potentiels à la magistrature suprême du pays, après l'appel au boycott total lancé par le BRDC.
C'est ainsi que le 22 septembre 2025, alors qu'il rentrait en RCA après deux années d'exil en France, Dominique Erenon, ancien directeur de cabinet du Premier ministre centrafricain, est arrêté dès l'aéroport et conduit au dépôt de l'OCRB, l'office centrafricain de répression du banditisme de Bangui. Le président du MDSP, mouvement pour la démocratie et le salut du peuple, est sous les verrous depuis le 3 septembre 2025.
C'est ainsi qu'opportunément le pouvoir a rendu public la copie d'un passeport congolais attribué à Henri-Marie Dondra, délivré le 24 mars 2021, alors que ce dernier est un ancien ministre et ancien Premier ministre de l'actuel président Touadéra, et accessoirement député du 1er arrondissement de Bangui dans le cadre de la législature en cours. Comme si le métroxène Dondra, né de père centrafricain et de mère congolaise, devrait choisir entre ses deux parents (4) !

Puis, c'est au tour du candidat Anicet Georges Dologuélé, qui a renoncé à sa nationalité française pour s'astreindre aux dispositions de l'article 10 de la constitution du 30 août 2 023, de buter sur le « mur des cons ». Alors qu'il écrit au ministre de la sécurité publique pour s’enquérir du renouvellement de son passeport centrafricain périmé, il lui est fait opposition, sous la signature du ministre de la défense nationale, Rameaux Bireau, neveu du président Touadéra, assurant l'intérim de son collègue de la sécurité publique, (5) que sa démarche ne peut aboutir, « ayant perdu sa nationalité centrafricaine en devenant Français » ... en 1994 ! Comme le lui suggère le ministre conseiller à la présidence Fidèle Gouandjika, il sollicite l'arbitrage du chef de l'Etat Faustin-Archange Touadéra, dans une correspondance enfiévrée par tant de mauvaise foi. C'est le directeur de cabinet à la présidence et ci-devant beau-père par alliance du président par sa fille, du fait des relations incestueuses qui se sont installées au faîte du pouvoir, un certain Obed Namsio, qui lui répond (6). Ce dernier lui reproche de « pécher par la colère », d’avoir le seum, et le renvoie vers ...le Conseil constitutionnel !

Mieux encore, prenant tout le monde de vitesse, c'est le procureur de la République près le TGI de Bangui, le sieur Guy Martial Damanguere, qui produit une ordonnance portant annulation du certificat de nationalité centrafricaine d'Anicet Georges Dologuélé en date du 12 octobre 2012, en invoquant les dispositions du code de la nationalité de 1961 ; décision validée par le juge Okacha Alamine, en sa qualité de deuxième vice-président du TGI de Bangui. Pourtant, le requérant est député de la nation depuis 1999 (7) !

Enfin, il appartient au MCU de clôturer ce bal de faux-culs, sous la signature d’un certain Ernest Mada, agissant au nom du secrétaire exécutif du mouvement, Mathieu Simplice Sarandji, président de l’assemblée nationale, dont il est le directeur de cabinet, invoquant « le retour à la légalité constitutionnelle, le 30 mars 2016 » ! Il sème ainsi la confusion des genres, en faisant volontairement abstraction de la constitution du 30 août 2023, histoire d’éteindre la question de la filiation du président Faustin-Archange, dont rien ne prouve qu’il soit Centrafricain d’origine au sens de l’article 10 de ladite loi fondamentale (8) !

4 - La sarabande des faux-culs
Les principaux candidats étant annihilés, il reste en piste les obligés du régime ; des individus aux profils incertains, chargés d'apporter leurs voix au second tour au président. Ils sont quelques-uns à faire partie de la direction nationale de la campagne présidentielle de Faustin-Archange Touadéra, tout en étant candidats au même scrutin présidentiel, contre le président sortant (9).
De ce fait, les scrutins du 28 décembre 2025 sont une mascarade électorale à laquelle l'opposition ne doit pas participer. Il ne suffit pas seulement d'appeler au boycott ; il ne faut y présenter aucun candidat et convaincre l'ensemble des électeurs de s'abstenir d'aller voter, car les résultats sont déjà préemptés ! Comment dès lors interpréter le comportement de la représentante du secrétaire générale de l’ONU, qui a reçu en audience le ministre de l’intérieur ; « une rencontre couvrant plusieurs secteurs de coopération accrue », aux dires des observateurs ?
Comment dans cette occurrence considérer l’annonce par M. Bruno Foucher, ambassadeur, haut représentant de la France en RCA, d’un prêt de 25 millions d’euros, soit plus de 17 milliards de francs CFA, destiné à « stabiliser les finances publiques et à renouveler le partenariat bilatéral » entre les deux pays ? Quelles sont les contreparties de cet engagement, dans le même temps où le ministre centrafricain des finances demande au parlement l’autorisation de lancer un appel sur le marché obligataire à hauteur de 60 milliards de francs CFA ?
Comment, dans ce contexte, analyser le silence de l’Union africaine, si prompte à sanctionner les militaires ayant pris le pouvoir à Madagascar, alors qu’elle demeure motus et bouche couse devant les présidents qui violent délibérément la constitution de leur pays, et alignent des mandats sans fin ?
Le moment viendra où il faudra bien tirer conclusions de toutes ces interrogations et donner les réponses qu’il convient.

Paris, le 25 octobre 2025

Prosper INDO
Economiste,
Consultant international.

(1) – On aimerait les renvoyer à la première exhortation apostolique du pape de Léon XIV, « Dilexi te » (Je t’ai aimé), qui appelle à un engagement qui ne se limite pas à soulager la pauvreté, mais qui cherche à éliminer les causes. Pour ce faire, il invite les hommes politiques et le professionnels du secteur social à écouter les pauvres, sinon « la démocratie s’atrophie, devient nominalisme, une formalité, perd de sa représentativité, se désincarne en laissant le peuple en dehors, dans sa lutte quotidienne pour la dignité, dans la construction de son destin » ; cf. Frédéric-Marie Le Méhauté et François Odinet : Le pape Léon XIV adresse au monde un message directement politique ; in le journal Le Monde daté du samedi 11 octobre 2025, page 29.
(2) – Depuis lors, pour se prémunir de toute forme d’interpellation, le pouvoir a publié une note sur les conduites à tenir en six points : éviter les rumeurs, sécuriser votre domicile (stock de produits alimentaires), limiter vos déplacements, préparer un plan B d’évacuation d’urgence familial, adopter une attitude neutre et prudente, rester prudent jusqu’à ce que la stabilité soit confirmée après les élections… (3) – Le mandat international en date du 18 octobre 2025 vise plutôt le reproche fait à ce dernier d’avoir fait un signalement de la situation centrafricaine décrite plus haut à l’attention de la Cour pénale internationale (CPI).
(4) – La date de renoncement à la nationalité congolaise et de restitution du passeport afférant est datée du 3 juillet 2024, soit 15 mois après la promulgation de la constitution du 30 août 2023, et l’attestation de réception du passeport et libérant Henri Marie Dondra de la nationalité congolaise par l’ambassadeur de la RDC est datée du 4 juillet 2024, tous documents non revêtus d’une quelconque signature ! Pourtant, l’article 8 de la loi n° 1961.212 du 20 avril 1961 portant Code de la nationalité centrafricaine est formel : « Est Centrafricain l’individu né hors du territoire de la République Centrafricain d’un parent centrafricain » !
(5) – Le ministre de la défense nationale intervenant sans doute dans le cadre d’un décret muet, autorisant les ministres candidats aux prochaines élections groupées à se déporter et à se mettre en retrait de leurs fonctions respectives, en démissionnant, pour ne pas utiliser leurs prérogatives et les moyens de l’Etat au service de leur campagne. L’information n’a jamais été rendue publique, pourtant c’est la situation d’une dizaine de ministres !
(6) – Cette propension, à mêler épouse, maîtresses, concubines et courtisanes, n’est pas nouvelle. On se souvient en effet des déclarations du conseiller spécial du président Touadéra, Fidèle Gouandjika, à l’arrivée des mercenaires de la société privée russe de sécurité à Bangui : « si les Wagner veulent nos filles et nos femmes, nous les leurs donneront ». Depuis, les jeunes filles de la jeunesse du mouvement des Cœurs unis (MCU), baptisées « Les sucrettes », du nom de ce succédané du sucre que l’on donne aux diabétiques en phase de dialyse pour leur café. En la circonstance, les Sucrettes ici, c’est le début de l’initiation … avant leur mise sur le marché, et de devenir membres de l’ « association des femmes républicaines » !
(7) – Sans doute allons-nous avoir la saisine du bureau de l’assemblée nationale aux fins d’examiner une procédure de levée d’immunité et de radiation du député Dologuélé, comme cela a été le cas pour l’ancien président du parlement Karim Meckassoua en 2018.
(8) – C’est-à-dire être Centrafricain, né de père et de mère eux-mêmes centrafricains d’origine ! L’affaire Dologuélé est un imbroglio juridique savamment entretenu pour taire la question de l’inéligibilité de Faustin-Archange Touadéra, en promouvant une nouvelle théorie de la race pure, ici baptisée Centrafricain d’origine. Ce concept avait déjà éclos sous le magistère du président Ange Félix Patassé lorsque le président de l’assemblée nationale de l’époque, Apollinaire Luc Dondon, qualifiait les Centrafricains de l’ethnie Yakoma d’ « éléments exogènes »… Il convient cependant de rappeler quelques dispositions du Code la nationalité centrafricaine visé plus haut : Article premier, « la loi détermine quels individus ont à leur naissance la nationalité centrafricaine à titre de nationalité d’origine » ; Article 6, « Est centrafricain tout individu né en République centrafricaine » ; Article 7, « N’est pas centrafricain l’individu né en République Centrafricaine dont les deux parents sont étrangers. Toutefois cet individu pourra pendant le temps de sa minorité acquérir la nationalité centrafricaine par déclaration selon la procédure énumérée aux articles 18 à 24 de la loi 61/212 du 20 avril 1961 ; Article 18, « L’enfant mineur, né en République Centrafricaine de parents étrangers, peut réclamer la nationalité centrafricaine par déclaration dans les conditions fixées aux articles 55 et suivants, si à la date de sa déclaration, il a en République Centrafricaine, sa résidence depuis au moins cinq ans » ; Article 55, « Tous les décrets concernant la nationalité sont pris en Conseil des Ministres » ; Article 57, « Toute déclaration de nationalité souscrite conformément aux articles précédents [toute déclaration de nationalité doit être souscrite devant le juge de paix du ressort dans lequel le déclarant à sa résidence], doit être, à peine de nullité, enregistrée au Ministère de l’Intérieur ». Etc.
(9) – Parmi les 90 membres de la direction nationale de la campagne du président Touadéra, dont seulement 8 femmes (adieu la parité et l’égalité homme/femme), figurent les principaux contempteurs d’Anicet Georges Dologuélé, comme Ernest Mada (région du Fertit) ou le candidat à l’élection présidentielle Roméo Gribingui (région du Bas-Oubangui), etc.