En Centrafrique, le respect des morts n’est plus d’actualité [Juin 2025]
Celui qui
accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui (Martin Luther
King).
Il ne s'agit pas de commenter, au jour le jour, les turpitudes et dérives autoritaires du régime politique au pouvoir à Bangui. Le calendrier lunaire n'y suffirait pas.
Il convient cependant de pointer les faits saillants, susceptibles de constituer une menace pour la démocratie et de la chose publique, afin d'en analyser les conséquences ultimes et d'appeler l'attention des autorités sur les risques encourus.
En l'occurrence, pour la République centrafricaine, le dernier exemple en date concerne l'appel à la mobilisation lancé à la jeunesse de se rendre le vendredi 20 juin 2025 devant l'Assemblée nationale « pour demander des explications sur les acharnements contre le leader Héritier Doneng », ci-devant ministre chargé de la promotion de la jeunesse, des sports et de l'éducation civique.
A l'évidence cet appel est piloté par l'intéressé, naguère coordonnateur général de l'association Les Requins, la milice du pouvoir, responsable de multiples exactions criminelles et de délits de droit commun (1).
Dans le cas présent, c'est en sa qualité de ministre qu'il est convoqué devant la commission d'enquête parlementaire sur les travaux de réhabilitation du complexe sportif Barthélémy Boganda, qui doit être mis aux standards des normes internationales.
Le 20 juin 2025, la commission doit soumettre son rapport au vote des députés.
Il s'agit donc, pour les organisateurs de cette mobilisation, de prendre les parlementaires en otages et de faire pression sur la représentation nationale afin d'éviter la levée d'immunité du ministre ou la censure du gouvernement (2).
Certes l'association Les Requins a été dissoute et ne peut plus ester en justice. Il n'empêche : ce que semble sous-estimer cette « jeunesse » ignorante, c'est qu'il s'agit cette fois d'un acte illégal et séditieux, un coup d’État !
En effet, leur démarche souffre d'un précédent malheureux. A la mort de Barthélémy Boganda dans un accident d'avion, le 29 mars 1959, l'assemblée nationale de la nouvelle République centrafricaine, instituée le 1er décembre 1958, doit se réunir pour élire le successeur du père fondateur de la RCA. Le jour dit, les colons, planteurs de café de la Lobaye, recrutent des villageois, armés de gourdins, de machettes, de sagaies et de couteaux de jet et les convoient sur Bangui, devant l'Assemblée nationale ; ils exigent la désignation de David Dacko, alors ministre de l'intérieur, supposé ami de la France et neveu du président défunt, en lieu et place d'Abel Goumba, le président intérimaire, catalogué « communiste ».
C'est le premier coup d’État du pays, qui ne deviendra indépendant que deux mois plus tard, le 13 août 1960. La République centrafricaine est donc mort-née, ce 30 avril 1959, où David Dacko est élu président du gouvernement. Le pays supporte encore le poids de cette avanie (3).
Dès lors, il n'est pas question de laisser faire ces malandrins. Si le gouvernement du Premier ministre Félix Moloua n'interdit pas ce sit-in, il faudrait se rendre à l'évidence : le président Faustin Archange Touadéra et son ministre conseiller spécial pour les organisations non gouvernementales nationales (4) se rendent complices d'une atteinte à la démocratie et à l'Etat de droit, à moins d'en être les commanditaires et les donneurs d'ordre (5).
Paris, le 11 juin 2025
Prosper INDO
Économiste,
Consultant international.
(1) – On se souvient des menaces de mort ad
hominem proférées à l'encontre des chefs des partis membres du Bloc républicain
de défense de la constitution (BRDC), ainsi que les agressions dont ceux-ci ont
été les victimes le 30 mai 2025, tous faits restés sans réponse de la part du
Procureur de la république près le Tribunal de grande instance de
Bangui.
(2) - Le ministre Héritier Doneng avait déjà
fait l'objet d'un signalement de la part du Premier vice-président de
l'Assemblée nationale, M. Évariste Ngamana, qui a demandé au chef du
gouvernement l'éviction de ce dernier pour injures graves à l'encontre d'un
parlementaire.
(3) - Aussi bien sous la présidence
d'Ange-Félix Patassé que sous François Bozizé, on a vu fleurir les milices
Karakö et Kôkôrô, dont les membres se sont mués en coupeurs de route et autres
Zarguinas, précurseurs des groupes armés qui ont plongé ensuite le pays dans les
différents conflits intercommunautaires et les crises sécuritaires vécus par les
Centrafricains depuis trois décennies.
(4) - Les organisations non gouvernementales
nationales sont devenues des boîtes à outils de captation des subventions
internationales pour les tenants du pouvoir. D'où le conflit qui oppose le
ministre Doneng et la fédération centrafricaine de football à propos
certainement des subventions de la Fédération international de football (FIFA)
pour la mise aux normes des installations du complexe sportif Barthélémy
Boganda.
(5) - Il conviendra de surveiller le
comportement des responsables de la Minusc et des forces intérieures de sécurité
à l'occasion de cette mobilisation.
Demeureront-ils l'arme aux pieds en cas
d'agression des députés, comme ce fut le cas pour les leaders du BRDC
?
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En
Centrafrique, le respect des morts n’est plus d’actualité [Juin
2025]
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En
Centrafrique, le respect des morts n’est plus d’actualité. [Août
2019]
Un vieillard qui meurt, c'est comme une bibliothèque qui brûle, avait prophétisé l'écrivain guinéen Amadou Hampâté Bâ (1). Pour autant, un livre qu'on a fini de lire n'est pas en fin de vie. Il continue d'exister en gagnant d'autres lecteurs ou en attendant des jours meilleurs sur une étagère. Il fait penser au proverbe bantou : « Les morts ne sont pas morts », ils vivent dans la mémoire des vivants. Dès lors, l'Africain entretient un commerce singulier avec ses défunts. L'hymne de la République centrafricaine, La Renaissance, en a fait sa référence : « de nos ancêtres la voix nous appelle ».
C'est pourquoi, en matière d'hommages à nos chers disparus, la politique de la municipalité de Bangui est incompréhensible.
1 – De la profanation des
sépultures…
Ces dernières semaines, l'édilité de la capitale centrafricaine a appelé les Banguissoises et Banguissois à prendre possession des dépouilles de leurs parents enterrées au cimetière de Ndrès afin de leur trouver d'autres lieux de repos, sans proposer de solution alternative. Il s'agit de faire face au manque de places qui conduit certains désœuvrés à violer les sépultures anciennes afin de mettre à leur place de « nouveaux arrivants ». Ces profanations de sépultures donnent lieu à un commerce morbide, mais la démarche de la municipalité de Bangui risque d'entraîner, en ses conséquences ultimes, l'éparpillement des lieux de sépultures et pourquoi pas, la naissance de cimetières privés.
Le projet de fermeture du cimetière de Ndrès n'est pas un sujet récent. Porté par la famille Kamach, ce projet a vu le jour sous le régime du général François Bozizé, alors président de la République. Il s'agissait alors d'une vaste opération de spéculation immobilière visant à raser le cimetière afin d'aménager un lotissement résidentiel (1). L'opération n'a pas abouti à cause du renversement du pouvoir par les rebelles de l'alliance Séléka en mars 2013.
Ce n'est pas la première fois qu'un cimetière est désaffecté. Au début des années 1960, au lendemain de l'indépendance du pays, le cimetière européen du centre-ville, situé à l'époque face à l'hôtel des Postes et Télécommunication, avait fait l'objet d'un transfert sous la supervision de l'ambassade de France. D'autre part, pour l'agrandissement du stade Barthélémy Boganda et la construction du campus de l’École nationale de l'administration et de la magistrature, le cimetière indigène situé avenue de France, au quartier SICA I, avait été déménagé à … Ndrès.
A chaque fois, ces opérations de transfèrement de sépultures ont été conduites par les services techniques de la ville dans les règles de l'art, en prenant les précautions d'usage en matière d'hygiène individuelle et collective, de protection sanitaire et de respect des pratiques religieuses.
Dans le cas présent, la municipalité de Bangui, dont l'indigence et l'irresponsabilité sont avérées, se tourne vers les familles pour résoudre un problème de sa compétence ; un autre exemple de la privatisation de l’État.
Pis, l'édile de la capitale, dont la cupidité est désormais établie, exige la somme d'un million de francs CFA par sépulture en contrepartie de son blanc-seing.
2 – A la corruption des mœurs
et consciences.
Comment comprendre cette perte subite de repères et de moralité vis-à-vis d'un problème prégnant pour la société africaine ?
Sans volonté de faire injure à quiconque, l'hypothèse est celle d'un dérèglement de la conscience collective dans la grande ville, provoquée par l'immigration ou, plus exactement, par l'implantation de minorités actives d'origine étrangère (Liban, Syrie, Inde, Pakistan, etc.), pour les besoins du commerce (2).
Ces pays n'ont pas la même conception de l’État, organisé et centralisé, tel qu'il a été instauré en Centrafrique par la colonisation française. L'organisation dans ces pays est basée sur des considérations religieuses (Liban, Syrie) ou sur des castes et sous-castes (Inde et Pakistan) ; ce sont des processus d’auto-ségrégation incompatible avec l'idée de nation. D'un côté, les morts sont incinérés et leurs cendres confiées aux flots du Gange ; de l'autre côté, les morts sont traités selon les rites propres à chaque religion (maronite, chiite, chrétien).
Au contact de ces populations étrangères, certains acteurs de la vie politique centrafricaine cèdent à la tentation de la partition confessionnelle (fédéralisme) ou de l'autonomie ethnique ou tribale (régionalisme).
Dans le cas d'espèce, en ce qui concerne la manière de prendre en charge les morts de Bangui – mais également de chaque communauté urbaine ou villageoise – l'idéal consiste :
– à fermer le cimetière de Ndrès à de nouveaux enterrement, de continuer à l'entretenir par les services techniques municipaux, en définissant par ailleurs des plages horaires d'accès pour permettre aux familles de venir honorer la mémoire et fleurir les tombes de leurs parents défunts ;
– à définir par les services de l’État un texte législatif ou réglementaire fixant les conditions matérielles de prise en charge et de traitement de nos morts, enjoignant à chaque arrondissement, quartier ou village, l'obligation de créer, de gérer et d'entretenir des lieux de sépultures.
Paris, le 23 août 2019
Prosper INDO
Économiste,
Consultant
international.
(1) –
Discours à l'Unesco en 1960 : « Notre sociologie, notre histoire,
notre pharmacopée, notre science de la chasse et de la pêche, notre agriculture,
notre science météorologique, tout cela est conservé dans des mémoires d'hommes,
d'hommes sujets à la mort et mourant chaque jour. Pour moi, je considère la mort
de chacun de ces traditionalistes comme un incendie d'un fond culturel non
exploité ».
(2) La
famille Kamach est d'origine syrienne et s'est développée dans l'import-export.
Le fils est actuellement le ministre de l'environnement dans le gouvernement
inclusif du Premier ministre Firmin Ngrébada.
(3) -
Les migrants du Liban, Syrie, Inde ou Pakistan sont arrivés progressivement en
Centrafrique à partir des années 70, et ont pris la relève des anciens
comptoirs, essentiellement français et portugais, qui ont quitté le territoire
après l'indépendance.