L'histoire du Centrafrique : une longue trace de sang

Le drapeau de la République Centrafricaine

 

     L'histoire de la République centrafricaine est une longue litanie d'atrocités, dont il n'est pas ici le lieu de retracer toutes les péripéties. C'est une histoire lugubre dont on se rappelle seulement les parties les moins sombres ou les plus grotesques, comme sous Bokassa – « l'ogre de Bérengo » -.

Pourtant, cette histoire est une longue traînée de sang.

Aujourd'hui, elle vient nous heurter une nouvelle fois avec ce qu'il est convenu d'appeler : l'affaire Armel Sayo !

 

1 – Un kidnapping d'Etat

     Au début du mois de janvier 2025, Armel Sayo, ancien officier de l'armée centrafricaine et ancien ministre, en rébellion contre les autorités de son pays, est arrêté et incarcéré, en vertu d'un mandat d'arrêt émis par la justice centrafricaine.

Le 5 mai 2025, la RCA réclame et obtient son extradition. Celle-ci ne peut intervenir qu'accompagner de garanties sur le respect de son intégrité physique et morale, et en vertu des dispositions de l'Accord d'extradition liant les pays membres de la CEMAC du 28 janvier 2004.

A son arrivée à Bangui, le 10 mai 2025, Armel Sayo est détenu provisoirement au Camp de Roux, la prison militaire de la capitale centrafricaine.

Le mardi 15 juillet 2025, il est extrait pour être entendu (par qui?) et conduit dans les services de l'Office central de répression du banditisme (OCRB). Depuis, plus personne ne l'a revu. Seule circule sur les réseaux sociaux une image d'un homme étendu au sol, baignant dans son sang, ressemblant au dit soldat revêtu de sa tenue militaire.

Devant ce photo-choc, son avocat demande à le voir, sans succès.

D'abord silencieuses et coites sur son sort, les autorités locales sont devenues loquaces et prolixes depuis ce dimanche 20 juillet : « Il est en vie, il va bien, il est suivi médicalement », déclame à l'envie le porte-parole du gouvernement, qui est en réalité le ministre porte-mensonges de l'Etat.

Le parquet de Bangui, dont le procureur vient d'être promu à son premier poste, assure la même chose, mais se montre incapable de délivrer un permis de visite entre Armel Sayo et son conseil ; ce qui est contraire à toutes les conventions internationales signées par la RCA, et abusif au regard des dispositions de la constitution du 30 août 2023 dont se prévaut le régime politique de Bangui.

 

2 – Un précédent fâcheux : la mort sans cadavre de Charles Massi

     Entre le 17 et le 19 décembre 2009, un autre officier rebelle centrafricain, le médecin-colonel Charles Massi, ancien ministre des gouvernements du président Ange Félix Patassé, fondateur du FODEM et de la Convention des patriotes pour la justice  et le progrès (CPJP), est arrêté au Tchad et remis aux autorités centrafricaines, sous le régime du général François Bozizé, ancien aide de camp de Jean-Bedel Bokassa, devenu président de la République à la suite d'une insurrection militaire.

Sans nouvelles de son mari, le 10 janvier 2010, Mme Denise Massi, de nationalité française,  se rend à Bangui pour s'enquérir de la situation de son époux. Le 14 janvier, elle est interdite du territoire centrafricain et refoulée manu militari dès son arrivée à l'aéroport de Bangui-Mpoko.

De retour à Paris, elle meure d'un hématome cérébral, sans que Paris ne s'inquiète ni ne se manifeste  de cette mort brutale.

Le procureur de la République de l'époque ouvre une enquête préliminaire qui se conclut par un non-lieu ou, plus exactement, une « présomption d'absence » (1) !

Interrogé par la presse sur cette disparition, le président Bozizé répond par un cynique : « Allez voir sur les champs de bataille »...

Ainsi disparaît, sans sépulture, un officier supérieur de haut rang et homme politique (2).

 

3 – De la responsabilité des différentes autorités concernées par l'Affaire Sayo

     Le rappel des faits ci-dessus permet de circonscrire les responsabilités des personnes, physiques ou morales, impliquées dans la situation actuelle du détenu Armel Sayo.

-        De la responsabilité du Cameroun

Les accords d'extradition de la CEMAC fixe les conditions et modalités pratiques dans lesquelles un individu, détenu par la partie requise peut-être remis à la partie requérante. En l'occurrence, la partie requise est en droit de demander des explications sur le devenir de M. Sayo par les voies de droit.

Le Cameroun l'a exigé par une note écrite en date de ce lundi 21 juillet 2025. Le parallélisme des formes voudrait que la RCA réponde par le même canal et sous la même forme ; ce qui permet au Cameroun de pouvoir dégager sa responsabilité publique.

-        De la responsabilité de la France

M. Sayo a la double nationalité centrafricaine et française. Cette disposition personnelle autorise la France à demander à voir l'intéressé au titre de son droit à une visite consulaire d'un représentant diplomatique de son pays d'adoption (les autorités judiciaires centrafricaines sont tenues d'informer tout Etat étranger de la détention, pour quelque motif que ce soit, de leur ressortissant). M. Foucher, ambassadeur plénipotentiaire et Haut-représentant de la France auprès de la République centrafricaine, qui a fêté le 14 juillet  par anticipation le dimanche 13 juillet 2025 pour complaire à Son Excellence le Professeur Faustin Archange Touadéra, président de la République, chef de l'Etat, ne peut s'exonérer de cette obligation, sauf à ressembler aux bouchers de Bangui, qui égorgent, saignent et détroussent sans vergogne.

-        De la responsabilité des autorités de Bangui

En obtenant l'extradition du nommé Armel Sayo, les autorités de Bangui, en l'occurrence le garde des sceaux, ministre chargé de la justice, des droits de l'homme et de la bonne gouvernance – c'est son titre complet – s'est engagé à ce que le prévenu soit traité conformément au droit international et, en particulier, de manière conforme aux prescriptions du Titre II de la constitution du 30 août 2023, en particulier les dispositions en ses articles 16 à 19.

Toute inobservation de ces dispositions, en particulier tout traitement inhumain et/ou dégradant l'expose au parjure et à sa traduction devant la haute cour de justice de la République.

En ce qui le concerne, le président de la République, chef de l'Etat, garant de l'indépendance de la magistrature et de la constitution, est responsable du sort de tout citoyen à être traité conformément à la loi et, plus particulièrement, aux dispositions des articles 16 à 19 de la constitution citée ci-dessus. A défaut de cette vigilance, il se rend coupable de haute trahison vis-à-vis des serments qu'il a prononcés lors de ses investitures successives, le 30 mars 2016 et le 30 Mars 2021. Ces manquements lui seront opposables à la perte de son immunité en qualité de président de la République, sauf à courir le risque d'une destitution.

-          De la responsabilité des autorités russes

Selon les rumeurs qui circulent, Armel Sayo aurait été extrait de sa cellule et conduit à Bérengo, le centre de formation et d’entraînement des éléments russes de la société militaire privée Wagner. Il convient de rappeler que cette société n’existe plus depuis la mort de son propriétaire, Evgueni Prigojine. Les activités de cette structure sont reprises par Africa Corps, une entité du ministère russe de la défense. La fédération de Russie est un grand pays qui s’honore d’avoir inscrit le nom du leader africain Patrice Lumumba au fronton de l’université de l’Amitié entre les Peuples de Moscou. Ce n’est pas un Etat colonialiste. Au contraire, elle a permis la libération de nombreux peuples d’Afrique, comme l’Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau et, par ricochet, débarrassé le Portugal de la dictature salazariste ! Il n’est donc pas dans la mission d’Africa Corps d’exécuter les basses œuvres d’un régime honni. Le président Vladimir Poutine doit donner l’ordre à l’ambassadeur Alexander Bikantov de veiller au bon comportement des troupes russes placées sous autorité, et d’adjoindre au directeur de la Maison de Russie à Bangui, Dmitry Sytyi, de s’en tenir aux actions humanitaires et culturelles de sa mission, sans ingérence aucune dans les affaires intérieures du pays hôte.

 

     En résumé et pour conclure, lors de son discours prononcé le 18 juillet 2025, à l'occasion de la rentrée judiciaire 2025-2026 des cours et tribunaux, le président Touadéra a tenu un principe qui ne souffre pas la contradiction : « Dans le cadre des efforts concertés en vue de la restauration de l'Etat, la justice est l'épicentre de la confiance brisée par les divisions, la haine et la méchanceté », a-t-il dit. Soit ! Il est temps de passer de la théorie à la pratique, des principes aux réalisations (3).

 

Paris, le 21 juillet 2025

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – La présomption d'absence ouvre une période de 10 ans qui court depuis la date de la décision du tribunal (8 janvier 2010) où l'intéressé est considéré comme vivant. Cette période est forclose depuis l'année 2020. Malheureusement, l'avocat de la famille Massi, Mathias Barthélémy Morouba, a été élu président de l'agence nationale des élections (ANE) le 26 décembre 2020, une semaine avant la fin de la période considérée. Il ne peut donc plus ester en justice et faire droit à la mémoire de Charles Massi.

(2)   - En 2013, après la fuite du général François Bozizé devant l'entrée des éléments de la Séléka dans Bangui, et à la suite de la destruction de sa résidence privée, des ossements ont été retrouvés dans les fondations de l'immeuble. Dommage que des recherches génétiques n'aient pas été entreprises pour déterminer la nature, la provenance de ses restes d'os et leur datation. Il n'empêche, les autorités concernées par cette disparition  sont encore en vie, ils pourraient être entendues en qualité de témoins assistés. Il s'agit en particulier du président François Bozizé, de son Premier ministre Faustin Archange Touadéra, de son fils Jean-Francis Bozizé, ministre délégué à la défense nationale, et du conseiller spécial du président Fidèle Gouandjika, etc.

(3)   – On espère que le président de la République Faustin Archange Touadéra, accompagné de son épouse Tina et des membres du gouvernement, dont le Premier ministre Félix Moloua, qui a participé ce samedi 19 juillet 2025 au grand Culte d’action de grâce au terme de trois jours de jeûne et de prière pour la repentance de la Nation centrafricaine, sous l’égide de l’Alliance des Evangéliques en Centrafrique (AEC), aura reçu l’Esprit Saint en l’Evangile selon Saint Matthieu : « Quand Judas, qui l’avait trahi, vit que Jésus avait été condamné, il eût des remords et rapporta les 30 pièces d’argent aux prêtres en chef et aux anciens. Il leur dit : « J’ai péché en livrant un innocent ». Ils répondirent : « Qu’est-ce que cela peut nous faire ? C’est ton problème ». Alors il jeta les pièces d’argent dans le Temple. Puis il partit et alla se pendre. Traduction du profane : la repentance précède le jugement dernier !