L'homme qui valait 150 millions CFA a encore frappé

 

     Pendant que les juristes de l'école buissonnière du droit de Bangui ergotent sur les dispositions de l'article 182 de la constitution du 30 août 2023, l'homme qui valait 150 millions de francs CFA, Faustin Archange Touadéra, peaufine sa stratégie et frappe un grand coup (1).

 

1 – Les faits

     Selon les indiscrétions du Palais de la Renaissance, le président Touadéra va animer deux réunions d'importance.

La première rencontre a déjà eu lieu et concerne le Comité spécial chargé de la montée en charge des forces armées centrafricaines (FACA). Il s'agit, en l'occurrence, de recruter 1 800 jeunes âgés de 22 ans, destinés à recevoir une formation militaire de huit mois en Ouganda, avant leur retour en RCA (2).

Comme par hasard, la date de leur retour coïncide avec la fin légale du second et dernier mandat présidentiel de M. Touadéra.

La seconde réunion concerne la convocation, par le directeur de cabinet du chef de l’État, M. Obed Namsio, en date du 8 juillet 2025, d'une conférence tripartite, réunissant les autorités centrafricaines, des représentants de l’État tchadien et les leaders des groupes armés, Ali Darrassa de l'UPC, et Sembé Bobo des 3R, signataires de l'accord du 19 avril 2025 à N’Djamena. Cette conférence est programmée pour ce jeudi 10 juillet 2025 à 11 heures précises.

Outre la présence du chef du gouvernement et des ministres en charge du Programme DDR, de l'intérieur, des affaires étrangères et de l'administration du territoire, on note également l'invitation des représentants de la plate-forme religieuse (3) et des représentants des communautés peuhls (4), en particulier le Lamido Bi Amadou.

Cette cérémonie fait suite à la reprise des hostilités déclenchée par les éléments du groupe armé 3R dans les localités de Koui, Besson et Niem-Yelema, au nord-ouest du territoire.

 

2 – Le coup d'éclat

     Tout porte à penser que le président Touadéra se prépare à imposer une présidence à vie et à prolonger la mainmise de son parti, le MCU, sur le pouvoir en RCA.

Si l'envoi d'une division de jeunes centrafricains en Ouganda étonne par son ampleur (5), c'est « l'acte de paix » avec les deux groupes armés qui choque, tant la contrepartie paraît exorbitante. En effet, selon les indiscrétions, cette contrepartie porte sur l'intégration d'une partie des éléments démobilisés dans les forces armées centrafricaines avec leurs grades respectifs, l'envoi en formation au Maroc d'une cinquantaine de rebelles et, enfin, l'amnistie générale pour l'ensemble des personnes qui seront désarmées et démobilisées !

Théoriquement, la signature de cet acte de paix aurait dû s'accompagner par la désignation du  candidat du MCU aux prochaines élections présidentielles, lors du congrès extraordinaire de ce parti. Ce raout a été reporté du fait de l'absence du secrétaire exécutif, Simplice Sarandji. Le président de l'assemblée nationale participe depuis ce 9 juillet 2025, au 50ème assemblée parlementaire de la Francophonie qui prend fin le dimanche 13 juillet 2025, et dont les thèmes visent à « réaffirmer la promotion de la démocratie et les droits des personnes dans la communauté francophone » ; des falbalas au regard de ce qu'il se passe actuellement en République centrafricaine.

Le MCU dévoilera le nom de son candidat dès la fin de la semaine prochaine, par un coup d'éclat prévisible : la désignation de Faustin Archange Touadéra, malgré sa santé chancelante et flétrissante.

Si l'on en croit un ministre conseiller à la présidence : « avec ou sans l'aide extérieure, ces élections vont avoir lieu et les dispositions sont prises ». En plus du coup d'éclat, il faut donc s'attendre à un coup d’État constitutionnel !

 

3 – L'illusion d'un dialogue politique inclusif

M. Touadéra se prévaudra de la nomination de son parti pour annoncer sa candidature pour un troisième mandat. Dès lors, l'objectif du dialogue inclusif pour préparer une transition affichée par l'opposition démocratique est une illusion. La conférence de presse animée par ses leaders ce vendredi 4 juillet 2025 en est la preuve. Incapable de tenir son meeting du 30 mai 2025, boycotté par les nervis du pouvoir venus en découdre, armés de gourdins et coutelas ; inexistante sur le terrain lors de la Marche blanche en mémoire des 29 morts du drame du lycée Barthélémy Boganda ; inaudible à l'internationale, l'opposition démocratique incarnée par le bloc républicain de défense de la constitution du 30 mars 2016 donne, pour l'instant, l'image d'une coquille vide : sans projet ni programme commun, sans stratégie politique et sans leader charismatique ; elle donne l'image d'une course où chacun marche dans son couloir...

Dans ces conditions, on voit mal le président Touadéra, dont l'acrimonie à leur égard est manifeste - sans doute le secret de sa naissance - leur accorder la moindre parcelle de reconnaissance, sauf à y être contraint par la communauté internationale, à travers la MINUSCA dont le mandat arrive à échéance fin novembre 2025.

Dans ces conditions, deux voies se présentent après la disqualification de l'ANE :

-        exiger un gouvernement de cohabitation pour préparer les élections en faisant retour à une conception régalienne du processus électoral, en s'appuyant sur des magistrats et fonctionnaires assermentés et l'édition des listes électorales par l'office nationale de l'informatique ;

-        engager dès à présent un boycott actif et généralisé de toutes les élections si le pouvoir persiste dans son refus.

 

Paris, le 9 juillet 2025

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international

 

(1)   – Les 150 millions de francs CFA font référence au coût moyen d'acquisition d'un modèle standard d'un appareil d’hémodialyse à domicile (l'investissement varie entre 20 800 et 37 600 €).

(2)   - Le choix de l'Ouganda, qui n'a aucune frontière avec la RCA, ne semble pas anodin. Le président Yoweri Museveni, qui a renversé le président élu Milton Obote en 1986, à la suite d'une insurrection, est au pouvoir depuis 39 années. De religion pentecôtiste et âgé aujourd'hui de 81 ans, il aura contribué au renversement du président congolais Mobutu, puis à la chute de son adversaire Désiré Kabila, ainsi qu'à celui de son fils Joseph. C'est l'Ouganda qui a recueilli les réfugiés  Tutsis du Rwanda, initiés, encadrés et formés les éléments du Front patriotique rwandais de Paul Kagamé en 1990/95, lequel, arrivé au pouvoir, a vite fait de convertir le Rwanda à l'anglais et à adhérer au Commonwealth !

(3)   - S'agissant d'une cérémonie organisée par un État laïc, on perçoit mal la présence du Cardinal Nzapalaïnga en pareille compagnie, lui qui a souvent été injurié et insulté par un thuriféraire du régime Touadéra, le ci-devant ministre du plan et de l'économie et des relations internationales, le séminariste défroqué Richard Filakota.

(4)   - Les communautés peuhles de Centrafrique sont arrivées sur le territoire dans les années 1943 pour ravitailler en viande les troupes coloniales qui allaient combattre les Allemands à Bir-Hakeim. Elles se sont par la suite sédentarisées autour de Bocaranga, produisant du beurre et du fromage, et vivant en bonne intelligence avec les cultivateurs du cru.

(5)   - Il s'agit de jeunes de 22 à 24 ans, dans la fleur de l'âge, qui risquent de revenir mariés ou fiancés, ce qui contribuerait à modifier la composition sociologique et l'essence anthropologique de la RCA, d'autant que le Soudan projette de construire une autoroute jusqu'en RCA, via le Soudan du Sud, pour conquérir de nouveaux territoires afin de résorber sa surpopulation (46 millions d'habitants pour 241 550 kilomètres-carrés).