République centrafricaine : le jamboree de la honte

 

     L'assemblée générale ordinaire du Mouvement des cœurs unis, le parti du président Faustin-Archange Touadéra, s'est tenue ces 25 et 26 juillet 2025, et a donné le résultat escompté : la désignation de ce dernier comme candidat aux prochaines élections présidentielles, pour un troisième mandat, mais le premier pour un septennat renouvelable, sans limitation !

Programmé depuis le 25 mai 2025, ce rassemblement aurait pu être reporté par décence, après le drame du lycée Barthélémy Boganda du 25 juin dernier, ou la disparition présumée du chef rebelle Armel Sayo. Le maître d'ouvrage de cette pantalonnade bouffonne n'en a eu cure. L'assemblée générale s'est transformée en une organisation sectaire et mafieuse, un jamboree de la honte, où les congressistes ont festoyé et dansé sur les morts (1).

Comment est-on arrivé à cette extrémité, et que nous réserve l'avenir? Telles sont les questions qui demeurent.

 

1 – Les éléments du contexte

    En 2014-2015, lors des consultations populaires à la base, initiées par le gouvernement de transition de Madame Catherine Samba-Panza, conclues par le Forum inter centrafricain de Bangui du 4 au 11 mai 2015, le peuple centrafricain a fait connaître ses choix prioritaires :

-       non, à la partition du pays ;

-       non, à l'amnistie générale envers ceux qui ont pris les armes contre le peuple et massacrés des populations civiles sans défense ;

-       non, à l'établissement d'un sénat, synonyme de gabegies parlementaire et budgétaire.

C'est à l'issue de ces deux consultations, qui sont autant de conventions citoyennes, que le peuple est allé aux élections présidentielles de 2016.

Entre temps, un projet de constitution est élaboré qui n'a pas tenu compte des vœux exprimés par les Centrafricains. En effet, la constitution du 30 mars 2016 institue la création d'un sénat, qui devait être installé dans l'année qui suit l'investiture du nouveau chef de l'Etat. On attend toujours !

Pourtant, parmi les animateurs des ateliers thématiques du conclave de Bangui, figurent un certain nombre de personnalités qui émargent désormais au gouvernement du président Touadéra. Le principal témoin de ces assises est le ministre d'Etat Jean Willybiro-Sako, en charge du ministère du désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement (DDR-R). Il aurait dû être le porteur de ces trois exigences citoyennes. Hélas, la voix du peuple centrafricain n'a pas été entendue !

-       les Centrafricains ont dit non à la création d'un sénat ? Après celle du 30 mars 2025, la constitution du 30 août 2023 institue une chambre haute parlementaire ;

-       les Centrafricains ont dit non à une amnistie générale envers les responsables politiques des groupes rebelles qui ont massacré des populations civiles ? Les accords de Khartoum du 6 février 2019, la feuille de route pour la Paix et la Réconciliation de Luanda du 18 septembre 2021 et l'acte de paix de Ndjamena du 10 juillet 2025, organisent et promeuvent l'entrée des représentants de ces groupes armés au gouvernement et leur nomination dans les hautes fonctions civiles et militaires de la République (2) ;

-       les Centrafricains rejettent toute idée de partition du pays ? Ne pouvant plus être intégrés, à leur retour de formation dans les hautes fonctions ci-dessus, réservées aux seuls citoyens n'ayant que la seule nationalité centrafricaine, les chefs rebelles exigeront leur rattachement, qui au Cameroun, comme au temps du Lamido de N’Gaoundéré, au nom de leur appartenance à l’ancien territoire allemand, devenu Ouham et Ouham-Pendé sous mandat français ; et qui au Tchad, en souvenir du sultanat de Rabah et de son lieutenant Senoussi, pour la région de l'Aoûk (Gribingui, Bamingui-Bangoran, Vakaga). A l’arrivée, la RCA se recroquevillera sur ses frontières d'avant 1911, celles de la « Terra incognita » !

En désignant Faustin-Archange Touadéra comme candidat naturel du MCU à un troisième mandat, malgré ses deux serments successifs (3), les adhérents de ce parti et leurs sympathisants ont fait le choix implicite ci-dessus. Ils ont créé un monstre qui, à l’image du Minotaure de la mythologie grecque, fils de Minos, l’un des trois juges de l’enfer, abîme, détruit et dévore tout ce qu’il touche ou envie. Sa personnalité et son orgueil démesuré l’ont empêché d’avoir une réaction lucide, sur les êtres et les évènements. Les organisateurs de ce conclave sont les architectes du chaos !

 

2 – L'ascension d'un Néron noir

     Dans la Rome antique, ayant été adopté par son grand-oncle l'empereur Claude, Néron fut choisi par ce dernier, de préférence à son fils Britannicus, pour lui succéder.

L'ambition démesurée de Néron le fait accéder au trône à la mort de Claude. Sitôt intronisé, il ordonne l'exécution des personnes pouvant contrarier sa carrière (dont sa propre mère) !

Le règne de Néron est associé à la cruauté et à l'extravagance, voire à la futilité.

Ayant eu à lutter contre l'immense conjuration dressée contre lui, un coup d'Etat des gouverneurs les plus influents de l'empire, le dépossède de son pouvoir en l'an 68.

Tel peut être, dessiné en creux et caricaturé, trait pour trait, le portrait politique du professeur Faustin-Archange Touadéra, actuel chef de l'Etat centrafricain.

Avant de répondre « OUI » à sa désignation comme candidat du MCU, le président Touadéra a évoqué, dans une logorrhée insipide et indigeste, l’état de droit, la démocratie, les principes républicains ; tous concepts qu’il a vidés de leurs sens et contenus, oubliant que la seule présence, à cette assemblée générale ordinaire de son parti, des présidents des institutions de la République – président du Conseil constitutionnel en tête – personnalités censées être neutres, trahit son discours et ses propos. A l’inverse, sous le prétexte d'une politique de « la main tendue », il dresse un pont d'or aux groupes armés, vitupère l'opposition démocratique, transforme ses ministres, les uns en proxénètes, les autres en « marie-couche-toi-là », avec l'appui de la MINUSCA, l'organe chargé de protéger les populations civiles contre les vexations et les violations des droits humains (4), dont l’action est marquée par l'inertie de la Représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU, Mme Valentine Rugwabiza.

 

3 – Les nouvelles règles du RAT

     Les fastes et le décorum déployés au sein du stade omnisports de Bangui (5), durant ces deux jours de congrès, donnent le ton de ce que sera la RCA de demain : un Monopoly géant aux règles nouvelles de jeu, mêlant favoritisme et racket mafieux.

Au centre de ce barnum, Faustin-Archange Touadéra est apparu en chemise bariolée floquée à son effigie, en guise d'écusson. Des écharpes aux casquettes, en passant par les berlingots d'eau en plastique, tout est siglé au portrait du président ; c'est le culte de la personnalité débridé poussé à l'extrême limite de la banalité la plus baroque.

Dans son roman de science-fiction qui revisite le jeu du Monopoly, l'écrivain Philip K. Dick appelle celui qui jour le rôle du banquier, le RAT. Pour que le jeu soit réussi, les joueurs doivent choisir comme RAT, le plus vicieux et le plus inventif en leur sein, capable de changer les règles du jeu à tout moment, sans se justifier ni expliquer pourquoi. C'est le principe de la dictature à l'état pur, la négation de l'idée de droit, le chaos, comme le révèle l’adoption du Sangocoin ou du Memecoin, par le président centrafricain, pour spéculer sur les réserves foncières et les richesses naturelles du pays. En RCA, le président est le RAT !

     Ainsi, ayant réussi, grâce à la constitution du 30 août 2023, à mettre hors-jeu tous ses concurrents potentiels, Faustin-Archange Touadéra pense tranquillement choisir 75 clones, qui viendront à ses frais se porter candidats, pour lui servir de punching-ball et/ou de sparring-partners, afin de gagner les élections à venir. Une fois élu, il pourra les nommer ministres.

Las, en se portant candidat, le président viole le code d’honneur républicain et dispense ses adversaires politiques de toute obligation morale : les binationaux ne peuvent pas être candidats ? Alors nul ne le sera : ceux qui ont le statut de réfugié politique ne le peuvent ; ceux qui ont des cartes de résidents permanents à l’étranger ne le doivent ; ceux dont les familles vivent d’allocations sociales en dehors de la RCA sont recalés ; il en va de même pour tous ceux qui sont nés à l’étranger ou ont un parent d’origine étrangère, voire non déclaré ; etc. (6)

Mieux, on demande que la RCA soit suspendue de toutes les instances de l’Union africaine si Faustin-Archange Touadéra est élu, conformément à la charte de l’organisation (7).

On aurait souhaité avoir un président moins soucieux de sa personne et plus ouvert aux soucis du peuple et de ses desiderata. Tant pis !

 

4 – Des anniversaires au goût amer     

     Dans une semaine, le 5 août 2025 très précisément, la ville de Bangui célèbrera le quarantième jour du décès des martyrs du lycée Barthélémy Boganda et la mort mystérieuse du président de ce centre d'examen ; que grâce et bénédictions leur soient rendues !

Une semaine plus tard, soit le 13 août 2025, la République centrafricaine fêtera le soixante-cinquième anniversaire de son indépendance ; telle une potion non magique au goût amer.

Une bonne nouvelle cependant, ce 30 juillet 2025 : après deux semaines d’atermoiement, le gouvernement centrafricain a plié sous la pression de la mobilisation citoyenne : le commandant Armel Sayo que l’on croyait disparu, a été présenté ce jour au doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Bangui. Il est sain et sauf ! On ne dira jamais assez que la mobilisation paie ! Aussi bien du côté du Cameroun que de la France, aussi bien que du côté de l’ONU que de la société civile centrafricaine et du BRDC, toutes les voix se sont réunies pour exiger le respect de l’état de droit. Qu’importe les défauts de M. Armel Sayo ou les crimes qu’il aurait commis, il s’agit de respecter la loi et de faire droit à sa défense, dans le respect de son intégrité physique et morale. La cause est entendue : « la puissance de la masse est plus forte que le pouvoir des armes ou la force du pouvoir » !

Ainsi va le quotidien des Centrafricains, depuis deux décennies !

 

Paris, le 30 juillet 2025

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1) – Pendant que les partisans du Mouvement des cœurs unis festoient, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) condamnaient, la veille 24 juillet 2025, les sieurs Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yekatom, respectivement à 12 ans et 15 ans de prison ferme, au titre de leur responsabilité à la tête des groupes armés Antibalaka (littéralement, anti balles à Kalachnikov), pendant que les vrais agresseurs de la population centrafricaine réunis au sein de l’ex alliance Séléka ne sont pas inquiétés !

(2) – Article 10, alinéa 4, de la constitution du 30 août 2023.

(3) – Par deux fois, le 30 mars 2016 et 2021, le président Touadéra a juré « devant Dieu et devant la Nation d’observer scrupuleusement la constitution ». Celle-ci limite à deux, le nombre de mandats consécutifs du président de la République. En s’affranchissant de cette disposition, Faustin-Archange Touadéra commet un sacrilège et une trahison ; le premier est une condamnation à l’enfer, la seconde vaut la pendaison. Malgré sa désignation, il aurait pu, soit se récuser, au nom de ses deux serments, soit se désister, en invoquant des convenances personnelles ou pour raison de santé (art.67 de la constitution du 30 août 2023).

(4) – On se souvient que la MINUSCA n’est pas intervenu pour protéger les leaders du BRDC et leurs militants, menacés de mort et agressés par les sbires du régime Touadéra, lors de leur meeting du 30 avril 2025 sur les terrains de l’Ucatex ; de même qu’elle s’est faite discrète lors de la Marche blanche organisée par les associations de la société civile à la mémoire des victimes du drame du lycée Barthélémy Boganda, arrosée de gaz lacrymogènes par la police. C’est le paradoxe de l’ONU : faible devant les puissances, puissante devant les faibles ! Venue pour mettre fin à une situation initiale pré génocidaire, la MINUSCA s’est rangée du côté d’un régime politique qui entend perdurer et qui foule aux pieds les règles élémentaires de la démocratie et les principes républicains. Elle doit partir !

(5) – Don de la République fédérative socialiste de Yougoslavie du temps du président Josip Broz Tito, pour honorer les prouesses de l’équipe nationale centrafricaine de Basket-ball, le Stade omnisports de 3 000 places est devenu, tour à tour, une cathédrale pour le sacre de l’empereur Bokassa, la chambre mortuaire pour les obsèques de certains caciques du pouvoir et, aujourd’hui, la salle de congrès du MCU !

(6) – Il ne s’agit pas de réclamer une élection présidentielle « inclusive » ou un quelconque principe d’inclusivité, mais des règles de droit, des principes d’égalité, de justice et d’équité, afin que la ruse ne supplée pas l’intelligence !

(7) – La charte de l’Union africaine interdit toute prise du pouvoir par la force, et toute modification de la constitution dont le bénéficiaire serait le président maître d’ouvrage, et non son successeur. En d’autres termes, Faustin-Archange Touadéra ne peut pas tirer avantage de la constitution du 30 août 2025 !