République centrafricaine : perinde ac cadaver (1) !

 

     La formule se veut didactique : l'éditorial du journal français Le Monde daté du vendredi 8 août 2025 l'exprime avec bienveillance, « Les Africains ont droit, eux aussi, à la démocratie ».

A l'appui de cette déclaration, l'éditorialiste fait le tour des lieux, en Afrique, où la « démocratie » est mise à mal : au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, en Guinée, au Tchad, au Togo et au Cameroun. Pourtant, le journaliste prend soin de ne pas citer la Côte d'Ivoire où l'ami de la France, Alassane Ouattara, brigue un quatrième mandat ; et le Rwanda où Paul Kagamé poursuit le sien... Et de renvoyer le rejet de la démocratie à des causes propres à l'Afrique, qui consiste à « faire passer la démocratie pour une idée purement occidentale ».

C'est peut-être aller trop vite en besogne, en passant par perte et profit un fait historique établi : l'Afrique est habituée « à la palabre », c'est-à-dire à la démocratie directe et à la recherche obstinée du consensus, avant l'arrivée de la colonisation.

C’est oublier que la démocratie n’est pas un état de la nature, mais une création humaine.

Le journaliste le concède lui-même, ce recul de la démocratie en Afrique, au moins en zone francophone, est liée « aux lourdes ambiguïtés de la France, ancienne puissance coloniale, prompte à adouber, jusqu'à aujourd'hui, des satrapes réputés amis et à réduire la démocratie à la tenue d'élections mêmes truquées ».

Il se trouve que cette stratégie française, qui s'appuie sur sa puissance militaire, l'influence de ses réseaux franc-maçonniques et les mécanismes financiers du franc CFA, n'apporte ni progrès social ni bien-être à la masse des populations africaines, mais entretient une élite corrompue et « mafieuse », laquelle se reproduit par cooptation et se conduit perinde ac cadaver, « à la manière d'un cadavre » ! C’est le cas en République centrafricaine depuis soixante-cinq ans (2) !

 

1 – La faute à l'opposition démocratique

     Habitués surtout à produire des communiqués, les partis politiques de l'opposition démocratique (POD) passent leur temps à critiquer les pouvoirs successifs en place, en liant des alliances de circonstance, sans jamais proposer un projet alternatif. Ils oublient que les communiqués servent uniquement à sceller des victoires ou reconnaître des défaites, mais jamais à gagner les guerres.

En face de la stratégie de la peur instillée dans le peuple par le régime au pouvoir, à coups de procès fabriqués, de condamnations par contumace ou de poursuites judiciaires sans preuves, seul un front uni et un bloc homogène sont indispensables. En face d'autorités publiques qui ne comprennent que les rapports de force (3), il ne suffit pas d'adopter la posture de la tortue en se recroquevillant dans sa carapace, qui est une démission.

A faire le tour de cette opposition démocratique, on n'en reste au même point : un gloubi-boulga incohérent et sans saveur. Cela a commencé par le FPRE, puis le COD2020, suivi du CPC et aujourd'hui le BRDC, qui peut être déclaré en mort clinique.

En effet, depuis le boycott du référendum constitutionnel de juillet 2023, les POD présentent un front uni mais n'ont ni projet commun, ni programme de gouvernement, ni stratégie unitaire. Dès lors, on peut craindre les défections et les politiques des transfuges provoquées par le pouvoir en place. La raison de ces défections est simple, au regard de l'objectif de tout parti politique qui est la prise du pouvoir : l'impuissance !

 

2 – La stratégie de la débandade ou la politique du « tous candidats »

    Le 11 septembre prochain, le MLPC organise son congrès pour renouveler ses cadres et, sans doute, désigner ses candidats aux élections générales groupées de décembre 2025. Nul doute que son président actuel, Martin Ziguélé, sera le candidat naturel du parti. Or personne n'oublie que ce dernier a soutenu le président Faustin-Archange Touadéra, tout en se déclarant opposant à son mouvement politique Cœurs unis ! Résultat, outre la défaite de Georges Anicet Dologuélé, la participation de plus d’un cadre du parti au gouvernement successif du président Touadéra ; lequel est candidat à sa propre succession.

Nul doute que le président de l'URCA, Anicet Georges Dologuélé, qui vient de renoncer à sa nationalité française, sera lui aussi dans la course, bien qu'ayant été battu par deux fois, en 2016 et 2020, par le même Touadéra (4).

Il en est de même d’Henri-Marie Dondra, ancien premier ministre de Touadéra, qui a annoncé sa candidature dès le mois de mai 2025, à la tête de son parti dit « centriste », UNIR (5)

Nul n'oublie que Nicolas Tiangaye a été le Premier ministre de la transition sous François Bozizé (2013) et de Michel Djotodia (2014), et fut contraint à la démission en même temps que ce dernier, au plus fort des violences et massacres contre les populations civiles par les éléments armés de l'alliance Séléka. Il en est aussi comptable.

On se souvient qu'en son temps, Crépin Mboli-Goumba, alors ministre des transports dans le gouvernement Tiangaye, n'a pas hésité à avouer dans son livre-témoignage, La nation centrafricaine et les récifs, avoir maintenue une fonctionnaire à son poste, non pour sa compétence, mais parce qu'elle était la sœur de l'ami intime de son frère aîné !

On peut poursuivre ainsi la litanie des critères de disqualification des uns et des autres, sans épuiser la liste de tous les candidats potentiels.

     Il est donc temps, pour ce qui reste du BRDC, de se fixer un objectif, d'adopter une stratégie unitaire, un programme commun de gouvernement et un candidat de coalition, respectant tous les critères d'exclusion édictés par la constitution Touadéra !

 

3 – Pour une stratégie de la victoire

      En décidant de nouer un dialogue politique inclusif (6), le pouvoir reconnaît qu’il allait dans le mur en demeurant sur son Aventin, alors que l’l’Autorité nationale des élections (ANE) patine et semble incapable de tenir les délais pour aller aux élections groupées du 28 décembre 2025. Autant se mettre au volant d'une voiture sans phares une nuit sans lune.

Dès lors, il faut adopter une stratégie de combat contre un régime dévoyé, animé par des êtres pervers et malhonnêtes auxquels on ne peut concéder une once de confiance.

L'objectif est de prendre le pouvoir par la voie démocratique en s'appuyant sur la puissance des masses. Pour les mobiliser, il faut pointer du doigt  (7) :

-        l'absence d'eau potable pour 90 % de la population centrafricaine ;

-        l'absence d'électricité et d'énergie pour au moins 80 % de la population du pays ;

-        l'absence de budget de fonctionnement pour 80 % des communes (mairies) du pays ;

-        60 % des sous-préfectures sont sans administration ;

-        90 % des services déconcentrés sont inexistants, ce qui oblige les fonctionnaires affectés en province de faire le voyage de Bangui pour tenter de toucher leurs salaires, etc.

Pour enclencher une telle mobilisation, il convient d'installer partout, sur l'ensemble du territoire et parmi les Centrafricains qui vivent et travaillent à l'étranger, des comités unitaires d'actions concertées sur le terrain, avec des mots d'ordre et un argumentaire unique de campagne.

Afin de protéger ces groupes de mobilisation et défendre, si besoin est, les militants et sympathisants rassemblés lors des meetings et marches pacifiques, il convient de recruter et de former les membres d'un service d'ordre capables de faire défiler une multitude de personnes sans bousculades ni agressivité.

Enfin, il y a lieu d'élaborer dans les semaines à venir, avant l'ouverture des dépôts de candidatures, un programme commun instituant un gouvernement de salut public fondé sur la taxonomie édictée par Barthélémy Boganda : nourrir, instruire, soigner, habiller et loger !

 

 

 

Paris, le 1er septembre 2025

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   - « Perinde ac cadaver » : comme un cadavre ; locution employée pour traduire un comportement qui se manifeste à travers une obéissance aveugle à une autorité hiérarchique supérieure, ici celle de la France.

(2)   - La France vient de le démontrer une fois de plus en accordant la garantie de l'Etat à un prêt de 250 000 000 € au pays, soit la somme pharaonique d'environ 175 milliards de francs CFA, représentant 80 % du budget annuel de l'Etat centrafricain ! Par cette décision, prise le 1er août 2025, la France a choisi, sinon son camp, au moins sa posture : on garde la main !

(3)   - Le gouvernement centrafricain a signé le 19 avril 2025 un acte de paix avec trois groupes armés, acceptant d'inclure leurs cadres dans la haute administration publique, civile et militaire, en contradiction avec les dispositions de la constitution du 30 août 2023, promulguée par le président Touadéra.

(4)   - En renonçant à sa nationalité française pour se conformer aux critères d'exclusion édictées par la constitution du 30 août 2023 que ne reconnaît pas le BRDC, Anicet Georges Dologuélé fait une entorse à sa signature et adhère implicitement à la loi fondamentale du président Touadéra, qui lui-même ne la respecte pas, depuis deux ans ! C'est presque une trahison. Il avait déjà posé le même acte en 2020 lorsqu'il a fait le voyage de Bossangoa pour faire allégeance à l'ancien président François Bozizé, qui avait pris la tête du groupe armé CPC (Coalition pour le changement) dont les éléments ont été défaits aux portes de Bangui par les mercenaires de la société de sécurité militaire privée russe Wagner. Aujourd’hui, le pire dans « le cavalier éclair » de M. Dologuélé n’est pas son renonciation, mais la formulation insultante, humiliante, avilissante voire raciste et raciale empruntée par le ministre français de l’intérieur pour le « libérer de son allégeance à l’égard de la France » !

(5)   - Henri-Marie Dondra vient opportunément de soutenir une thèse de doctorat en Administration des affaires, intitulée « La gouvernance, la décentralisation et la gestion des collectivités en république centrafricaine ». Le voici désormais affublé du titre de Docteur, si prisé en Afrique !

(6)   - Lors de son adresse à la Nation à l'occasion du soixante-cinquième anniversaire de l'indépendance de la République centrafricaine, le président Touadéra s'est engagé à prendre une initiative de rassemblement. A l'évidence, à écouter les dissidents du MLPC et de l'URCA, l'initiative consiste à regrouper ces derniers autour du MCU afin de créer un parti unique, et non d'engager un vrai dialogue politique avec l'opposition démocratique pour aller aux élections dans la paix et l'harmonie. La recherche du dialogue vrai est la position exprimée par le BRDC lors de la rencontre inaugurale avec le Premier ministre Félix Moloua ce mardi 2 septembre 2025.

(7)   - Elie Ouéfio : « La République centrafricaine doit-elle toujours dépendre des autres ? », août 2024.