Centrafrique : A Bangui, le pouvoir perd la tête
Avant même que les fleurs déposées au mausolée Barthélémy Boganda, à l'occasion du soixante-sixième anniversaire de la mort dans un accident d'avion du père fondateur de la république centrafricaine, ne se soient fanées, le pouvoir de Bangui, la capitale, avait programmé des manifestations monstres pour célébrer la neuvième année du régime du président Faustin Archange Touadéra. Des cérémonies qui ne sont pas allées sans vices ni caprices, mais pas sans couacs, en bafouant quelques principes républicains élémentaires.
1 – Un déni des principes de la
République
Intitulé « Célébration de l'An 9 de l'accession à la magistrature suprême de l’État de son Excellence Professeur Faustin Archange Touadéra, Président de la république, Chef de l’État », la cérémonie s'est déroulée dans l'hémicycle de l'assemblée, violant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs entre exécutif, législatif et pouvoir judiciaire. Au cours de cette même matinée, ponctuée de multiples prises de parole des « représentants des partis politiques et associations » affiliés au pouvoir, un documentaire devait retracer le bilan des deux mandats du président !
On attend de voir les réalisations projetées, n'ayant pas en mémoire un seul projet abouti, alors que les populations sont, depuis des mois, sevrées d'eau potable, privées d'électricité, accablées des prix exorbitants des carburants, que les élèves s’assoient et écrivent à même le sol, etc. (1)
Pis ! Dans l'après-midi, cette célébration s’est poursuivie par la finale de la coupe de la ligue de football de Bangui, histoire de profiter de la présence des supporters des deux clubs finalistes pour avoir des spectateurs. Il était prévu, avant le coup d'envoi de la finale de la « Coupe du Président Touadéra » (2), une cérémonie de bénédiction par les serviteurs de Dieu (sic), rompant ainsi avec le sacro-saint principe de la séparation de l'église et de l'Etat ! A cette occasion, les spectateurs présents eurent droit à la prière de bénédiction de son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l'Etat - le protocole oublia pour la circonstance le titre de Professeur, mais n'osa pas afficher celui, mensonger, de diacre – ainsi qu'à une « Déclaration prophétique sur la République centrafricaine », comme hier on lisait les oracles dans les entrailles d’un mouton (3) !
2 – Une mafia à la tête de l'Etat
Pour couronner de fastes cette journée de célébration, et nonobstant les dérives ci-dessus dénoncées, qui sont la marque de fabrique de la frénésie du culte de la personnalité dont s'entoure le tyran, les adhérents et militants du parti au pouvoir, le Mouvement cœurs unis (MCU), ont été invités à contribuer au financement de ces manifestations.
Surprise ! Du Premier ministre aux ministres en passant par les différentes institutions « républicaines », chacun y alla de son écot. On récolta 13 millions deux cents mille francs CFA auprès du gouvernement, 40 100 000 CFA auprès de l'assemblée nationale, 6 250 000 CFA pour le cabinet présidentiel, dont 6 000 000 CFA pour le seul ministre d’État conseiller Sani Yalo et, enfin, une participation incongrue de 2 500 000 CFA de la part du gouverneur de la BEAC (banque centrale des États de l'Afrique centrale), une personnalité théoriquement indépendante qui semble ainsi racheter ses frasques au Gabon.
Nul besoin d'être devin pour suspecter la provenance de tout cet argent : un détournement de fonds publics. Telle une mafia à la tête de la RCA, le « capo » Touadéra récolte les dons de ses « capi » ! Les fonctions officielles sont devenues des charges qui se monnayent (4).
En cette engeance, le président de l'Assemblée nationale, Simplice Mathieu Sarandji, et l’inénarrable Sani Yalo ont profité des circonstances pour remettre au président Touadéra, devant tous les spectateurs réunis, un chèque de 15 000 000 de francs CFA, au profit de sa déclaration de candidature à un troisième mandat de président ; ce que lui interdit formellement la constitution.
Prudent, le pressenti réserva sa réponse, sans doute pour prolonger un suspense éventé d'avance. Bien lui en a pris.
En effet, pour couronner cet instant suspendu, en pleine saison sèche, ce 30 mars vit le courroux du ciel se déverser à seaux d'eau sur Bangui. Les habitants du quartier Yapéré, au sud de la capitale, furent les victimes impuissantes d'une vague d'inondations inattendues.
Dieu voulait sans doute rappeler au président professeur et à ses sbires, la vanité de leur pouvoir et leur inutilité, après neuf ans de pouvoir. En écoutant un satrape du régime prétendre doctement que l'absence d'eau potable était due à l'assèchement des nappes phréatiques, la nature s'est vengée !
Quant aux populations de Bangui, excédées par tant de négligences, de fantaisies et de dépenses somptuaires, alors qu’elles tirent le diable par la queue et vivent d’expédients, elles envisagent une démonstration de force le 4 avril 2025, à l’occasion d’une marche pacifique qui partira devant le siège de la mission intégrée des Nations unies pour la sécurisation du Centrafrique (MINUSCA), afin d’attirer l’attention des bailleurs de fonds et autres partenaires techniques et financiers sur les dérives mafieuses et tyranniques du régime de Bangui.
Une manifestation tout aussi symbolique se tiendra le lendemain, 5 avril 2025, en soutien, place de la République à Paris, pour rappeler la France du président Emmanuel à ses propres responsabilités.
Paris, le 31 mars 2025
Prosper INDO
Economiste,
Consultant international
(1) – En fait de bilan, les invités présents
virent défiler sur l’écran une palanquée de courtisans, laudateurs, vantant les
mérites d’un président nombriliste, spectateur de sa propre
réussite.
(2) – Jusqu’alors, la Coupe de la Ligue
centrafricaine de football portait le nom de Barthélémy Boganda, tout comme le
stade 20 000 places. Apparemment la frénésie mégalomaniaque du président
Touadéra a pris le dessus. Aux dernières nouvelles cependant, le stade n’a pas
été débaptisé.
(3) – On se demande si Nostradamus ou Machiavel
ont été consultés. Sans doute non, puisque les organisateurs de cette
célébration n’ont pas lu les tables météorologiques du moment. Dans le cas
présent, il faut se méfier des hommes politiques qui prennent Dieu à témoin, ils
mentent. Effrontément ! Kolingba a initié le mouvement, Patassé l’a suivi,
Bozizé l’a imité, Touadéra le surpasse… Monseigneur Ndayen Joachim nous l’a
enseigné : l’homme politique est comme un prêtre ; il n’est pas un
dignitaire, mais « un serviteur inutile », le frère de
tous !
(4) – D’où la difficulté de se séparer des
incompétents, des nuisibles et autres vauriens. Mais s’il est vrai que c’est au
président de la République de fixer les grandes orientations du pays, il n’en
demeure pas moins que le premier responsable de cette cacophonie politique n’est
autre que le Premier ministre Félix Moloua, chargé de « déterminer et
conduire la politique du gouvernement ». En l’espèce, il a tout faux,
n’ayant aucune influence politique ni pouvoir sur ses ministres et les
institutions placées sous son autorité. C’est le fidèle Ndougourou du président,
son Scapin, un valet, un laquais, qui n’ose se rebeller ; ce qui lui permet
de durer.